Vrai ou faux #TouchePasAuComté : le fromage est-il meilleur ou moins bon que la viande pour l'environnement ?

Article rédigé par Linh-Lan Dao
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 9min
Une planche de charcuterie et de fromages de Franche-Comté à déguster. (PHILIPPE ROY / AURIMAGES / AFP)
Une planche de charcuterie et de fromages de Franche-Comté à déguster. (PHILIPPE ROY / AURIMAGES / AFP)

En pleine polémique autour du comté, l'empreinte environnementale de la production du fromage interroge. Des études montrent que, s'il est bien moins émetteur de CO2 que le bœuf, il reste plus polluant que le porc, le poulet, ou encore les aliments végétaux.

Le comté, l'un des fromages préférés des Français, est au cœur d'une polémique. Au point qu'un hashtag visant à le défendre a gagné en popularité sur les réseaux sociaux ces derniers jours. "Le comté, c'est bien plus qu'un fromage : c'est le fruit d'un terroir, d'un savoir-faire et d'une fierté française. #TouchePasAuComté", a ainsi plaidé la ministre de l'Agriculture, Annie Genevard, lundi 12 mai sur X, partageant un article du Figaro. "Quand les écologistes veulent interdire... le comté", titrait la veille le quotidien, qualifiant les défenseurs de l'environnement de "khmers verts".

Deux semaines plus tôt sur France Inter, l'activiste animaliste et écologiste Pierre Rigaux avait dénoncé la pollution des sols et des cours d'eau francs-comtois engendrée par la filière. Il avait alors appelé à se passer de ce fromage : "Le comté, si c'est mauvais écologiquement, et terrible pour les animaux, est-ce que notre petit plaisir à se faire une tranche de fromage, ça vaut plus que tout ça ?" 

Avec 26 kilos de fromage engloutis par habitant chaque année, selon le ministère de l'Agriculture, les Français font partie des plus gros consommateurs au monde. Alors que l'alimentation représente près d'un quart des émissions de gaz à effet de serre des Français, franceinfo s'est penché sur l'empreinte environnementale du fromage en interrogeant plusieurs spécialistes de l'analyse du cycle de vie, une méthode permettant d'évaluer les impacts environnementaux d'un produit sur l'ensemble de son existence, de sa culture à l'assiette, comme l'explique Radio France.

Plus émetteur de CO2 que le porc ou le poulet

Une des publications faisant référence en matière d'impact environnemental de la production alimentaire est une analyse de grande ampleur, publiée en 2018 dans la revue Science. Par "impacts", les auteurs entendent l'empreinte carbone ou les émissions de gaz à effet de serre, l'usage des terres, le prélèvement de l'eau douce, la pollution de l'eau, les effets sur la biodiversité ou encore la pollution de l'air.

Compilant les données de plus de 38 000 fermes dans 119 pays, cette analyse conclut que les aliments d'origine animale polluent beaucoup plus que les aliments végétaux. Selon la plateforme affiliée à l'université d'Oxford Our World in Data, qui a exploité ces données, le fromage présente une empreinte carbone moyenne de 23,88 kg d'équivalent CO2 pour un kilo produit, contre 99,48 kg pour la vache à viande et 39,72 kg pour le mouton et l'agneau. Cet impact est cependant largement supérieur à celui de viandes moins émettrices en CO2, comme le porc (12,31 kg) ou le poulet (9,87 kg).

En termes d'impact environnemental, "le fromage, toutes variétés confondues, se situe en dessous des viandes bovines, mais au-dessus des viandes de porc et de volaille", résume Hayo van der Werf, ingénieur agronome et chercheur à l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae).

"Les produits végétaux (protéines de pois, de haricots ou de blé...) ont une empreinte encore plus faible."

Hayo van der Werf, chercheur à l'Inrae

à franceinfo

Ces tendances mondiales se vérifient également en France. "Tous les fromages [français] ont un impact carbone moins élevé que celui du bœuf", confirme Caroline Pénicaud, directrice de recherche en écoconception pour des systèmes alimentaires plus durables à l'Inrae. L'ingénieure se fonde sur les mesures réalisées par Agribalyse, base de données de l'Agence de la transition écologique (Ademe), analysant les répercussions de la production des aliments français sur l'environnement. "L'ensemble des viandes et poissons ont un impact plus important que le comté, qui a lui-même un impact plus fort que tous les aliments d'origine végétale, sauf le chocolat", souligne Audrey Rimbaud, ingénieure à l'Ademe et l'une des pilotes d'Agribalyse.

Un impact variable selon les fromages

"A partir du moment où le fromage provient de ruminants, que ce soient des bovins, des moutons ou des chèvres, le fromage a un fort impact, explique Carine Barbier, économiste de l'environnement au CNRS-Cired. La digestion des ruminants est en cause dans la production du méthane, qui est un gaz à effet de serre."

Cependant, "il y a une variabilité selon le type de fromage", précise Caroline Pénicaud, qui a publié en 2021 une étude sur l'impact environnemental de 44 fromages AOP français. Celui du fromage le plus polluant peut être jusqu'à quinze fois supérieur à celui du moins polluant. Plusieurs facteurs sont responsables de ce coût environnemental : la quantité et la nature du lait utilisé (le lait de vache a moins d'impact que ceux de chèvre ou de brebis), le type d'élevage, l'alimentation fournie aux animaux laitiers, leur digestion et leurs déjections (source de méthane), les déchets générés, mais aussi l'affinage.

"Les fromages les plus secs sont ceux pour lesquels il va falloir le plus de lait pour produire un kilo de fromage."

Caroline Pénicaud, directrice de recherche à l'Inrae

à franceinfo

La fabrication d'un kilo de comté requiert dix litres de lait, contre huit pour la même quantité de camembert, d'après le site Les produits laitiers, affilié au Centre national interprofessionnel de l'économie laitière (Cniel), qui défend les intérêts de la filière. "Un fromage à pâte pressée cuite (abondance, beaufort, comté, emmental…) nécessite (...) plus de lait qu'un fromage à pâte molle (camembert, brie, munster, maroilles…), le second étant plus riche en eau et contenant donc proportionnellement moins de lait que le premier", expose le Cniel sur son site. Les fromages à pâte dure ont besoin de "plus de matières premières, plus de fermentation, plus d'énergie" que ceux à pâte molle, résume Sophie Marbach, chercheuse au CNRS et auteure en 2021 d'une analyse de l'empreinte carbone des protéines issues de la viande et des produits laitiers.

Dans l'assiette, "tout est une question d'équilibre"

L'affinage, dernière étape de fabrication du fromage pendant laquelle celui-ci mature dans une cave, est notamment un processus émetteur : "Il faut réguler la température et l'humidité de la chambre d'affinage. Les installations nécessaires sont très coûteuses en énergie", explique Caroline Pénicaud. "Les fromages affinés plus longtemps vont avoir plus d'impact que les fromages peu affinés", constate-t-elle, sauf pour les professionnels exploitant une cave naturelle, sans installation électrique. Un des leviers proposés par la chercheuse, pour diminuer cette empreinte, est l'usage de caves d'affinage mutualisées, que se partageraient plusieurs producteurs.

Côté consommateur, faut-il aller jusqu'à bannir la viande et les produits laitiers ? Les avis des spécialistes ne sont pas tranchés. "Il n'y a pas d'aliment 'mauvais', à exclure totalement, ni 'bon', à consommer sans limite : tout est une question d'équilibre", plaide l'ingénieure Audrey Rimbaud. "Certains aliments sont meilleurs pour la santé ou ont moins d'impacts. D'autres ont moins de vertus nutritionnelles ou plus d'impacts environnementaux. Les premiers sont à privilégier, ou à augmenter les parts dans l'assiette. Les seconds sont à consommer avec modération, voire à limiter."

Un affichage visant à informer les consommateurs sur les impacts environnementaux des produits ou services qu'ils consomment existe. Si son déploiement est en cours pour les vêtements, son application à l'alimentaire reste à l'état de chantier, selon l'Ademe. Le gouvernement a déjà dévoilé Ecobalyse, un calculateur mesurant l'impact de ces produits.

Une "tendance" à "remplacer la viande par du fromage"

Selon une étude du Réseau action climat et de la Société française de nutrition, publiée en 2024, diviser par deux notre consommation de viande est nécessaire pour atteindre les objectifs climatiques, à savoir la neutralité carbone d'ici 2050. Pour autant, "il ne faut pas remplacer la viande par du fromage, avertit Caroline Pénicaud. C'est une tendance assez largement observée. Mais en termes de bilan carbone, ce n'est pas si bénéfique que ça, voire pas du tout." "Les nutritionnistes considèrent qu'on peut être végétarien sans problème (...) On peut imaginer un régime à 80% végétal et à 20% animal, avec un peu de produits laitiers pour le calcium et du poisson", suggère de son côté Carine Barbier.

"D'un point de vue de l'apport en protéines, il faut globalement éviter le fromage, et préférer les petits animaux [poulet ou petits poissons] et les œufs."

Sophie Marbach, chercheuse au CNRS

à franceinfo

"Eviter de consommer des produits animaux est bien plus bénéfique pour l'environnement que d'essayer d'acheter de la viande et des produits laitiers issus de sources durables", estime auprès du Guardian Joseph Poore, coauteur de l'analyse publiée en 2018 et chercheur à l'université d'Oxford. Selon son analyse, la viande et les produits laitiers occupent, au niveau mondial, 83% des terres agricoles et contribuent à hauteur de 60% aux émissions de gaz à effet de serre. Elles ne fournissent pourtant que 18% des calories et 37% des protéines consommées dans le monde.

Végétalien, Joseph Poore estime que sa diète est "probablement le meilleur moyen de réduire son impact sur la planète, non seulement sur les gaz à effet de serre, mais aussi sur l'acidification, l'eutrophisation [déséquilibre d'un milieu aquatique à cause d'une concentration en azote ou phosphore trop élevée], l'utilisation des terres et de l'eau à l'échelle mondiale".

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