"C'est un caméléon, il adapte son discours à ses interlocuteurs" : Sébastien Lecornu peut-il bénéficier de la mansuétude du Rassemblement national ?
Même s'il est apprécié humainement par le RN, Sébastien Lecornu ne devrait pas compter sur un soutien politique de Marine Le Pen, qu'il ne cherche pas pour l'instant.
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A priori, Sébastien Lecornu n'a pas grand-chose à attendre du Rassemblement national. Jordan Bardella a fixé ses règles mercredi 10 septembre lors d'une conférence de presse au Parlement européen. S'il souhaite d'abord écouter la déclaration de politique générale du nouveau locataire de Matignon et ne veut pas "le censurer a priori", il réclame "un durcissement de la politique migratoire et s'oppose à toute hausse de la fiscalité pour la France qui travaille. (...) Soit il y a rupture, soit il y aura censure", prévient le président du RN, lui promettant "un bail très précaire".
Dès mardi soir, la nomination du nouveau Premier ministre a été saluée par des piques ironiques de la part des responsables du parti d'extrême droite. Sur son compte X, Marine Le Pen a, elle, continué d'évoquer la dissolution comme perspective politique.
Elle devrait continuer à marteler ce message lors de son discours de dimanche aux "Estivales de Bordeaux", rendez-vous qui s'apparente à la rentrée politique de son mouvement. Sa cible prioritaire reste le président de la République. Pas le Premier ministre. Depuis sa nomination, Sébastien Lecornu est systématiquement associé à Emmanuel Macron par les cadres du mouvement nationaliste. "C'est surtout le premier et le dernier soldat de la macronie", appuie Sébastien Chenu, vice-président du mouvement, sur France 2. Il s'agit de couper court à l'idée que Sébastien Lecornu pourrait être RN-compatible. En tout cas, bénéficier de la bienveillance de ses députés, au motif que les liens personnels pourraient infléchir les positionnements politiques.
Sébastien Lecornu et ses dîners avec Marine Le Pen
Car le nouveau Premier ministre parle avec Marine Le Pen et Jordan Bardella. Le journal Libération a révélé dans un article de juillet 2024 qu'il a rencontré à plusieurs reprises les responsables du Rassemblement national de façon séparée lors de dîners chez son ami Thierry Solère. Cet ex-député des Républicains et ancien conseiller spécial d'Emmanuel Macron à l'Elysée servirait de facilitateur mondain et politique entre la macronie et l'extrême droite.
Selon Le Canard enchaîné, les deux têtes dirigeantes du RN ont aussi été reçues au ministère des Armées le 24 avril dernier. Le nouveau locataire de Matignon reconnaît avoir rencontré à deux reprises la triple candidate du parti à l'élection présidentielle pour discuter de la situation en Ukraine. Des dîners que Marine Tondelier, la patronne des Ecologistes, a tout de suite rappelés pour attaquer politiquement Sébastien Lecornu le jour de sa nomination, sur le plateau de LCI.
"A la fin, la copie qu'il rend est toujours macroniste"
Qu'en est-il réellement des liens entre Sébastien Lecornu et les députés RN ? Laurent Jacobelli, porte-parole du parti à la flamme, est également membre de la commission de la défense à l'Assemblée. Il a donc travaillé avec l'ancien ministre des Armées lors du débat parlementaire sur la loi de programmation militaire. "Il faut être honnête, c'est quelqu'un qui prend le temps d'écouter", reconnaît-il pour franceinfo. "Mais c'est un caméléon, il adapte son discours à ses interlocuteurs et à la fin, la copie qu'il rend est toujours macroniste." Cette courtoisie est-elle suffisante pour échapper à la censure ? "Non, répond Laurent Jacobelli. Il dit toujours bonjour, merci et au revoir. Très bien. Mais ce n'est pas cela qui va forger notre décision ou nous empêcher de le censurer. La fonction dépasse l'homme."
Le Premier ministre est notamment obligé de garder un contact avec le RN à cause de la situation politique locale de l'Eure, département qu'il présidait avant d'entrer au gouvernement. Sur les cinq circonscriptions de ce territoire, quatre ont été remportées par des députés du groupe de Marine Le Pen. L'un d'entre eux, Kévin Mauvieux, considère "comme très parlant politiquement", et "comme un signe de déconnexion par rapport aux aspirations des Français", qu'Emmanuel Macron l'ait choisi comme Premier ministre. "C'est un élu issu d'un département où la vague RN a été l'une des plus fortes en 2022, marquant l'échec de l'alliance des anciens LR comme Bruno Le Maire avec la macronie alors que c'était un territoire de centre droit auparavant."
Il confirme la courtoisie de Sébastien Lecornu, mais tempère l'influence politique qu'elle pourrait jouer. "Il coche la première case, celle du respect à notre égard. Ce n'est pas le seul critère. Il lui reste à cocher la case la plus importante, celle de la rupture avec le macronisme et je suis pessimiste là-dessus."
Un accord de non-censure avec le PS
De toute façon, Emmanuel Macron n'a pas confié à son Premier ministre la mission d'aller chercher un accord avec le RN. Selon des témoignages recueillis par le service politique de la radio franceinfo, le président a ciblé le groupe Liot, le groupe PCF, le groupe PS et le groupe des Ecologistes comme forces avec qui "trouver un accord de non-censure". Dans l'entourage du président, on juge que "la clarification politique en cette rentrée concerne la stratégie du RN. Marine Le Pen veut tous nous dégager : le bloc central et la droite".
Pour le bloc central, le RN n'est pas considéré comme un interlocuteur fiable depuis la décision de censurer in extremis Michel Barnier en décembre dernier. Et beaucoup des députés du parti Renaissance reprochent à François Bayrou d'avoir été trop naïf en escomptant une abstention du RN sur le vote de confiance qu'il a engagé. "Depuis la condamnation de Marine Le Pen, les populistes ont repris la main au RN. Ça s'accélère depuis trois semaines", juge le macroniste Charles Sitzenstuhl, député EPR du Bas-Rhin . Il considère que "sur la forme, les députés du RN sont versatiles et, sur le fond, il faut rester fidèle au front républicain du deuxième tour des législatives de 2024".
Le RN divisé en coulisse sur la dissolution
Reste que la neutralité du RN et de ses alliés, avec 142 députés, peut permettre une stabilité politique au nouveau Premier ministre, s'ils ne s'associent pas aux motions de censure diverses qui pourraient être déposées lors de la reprise des travaux parlementaires. Surtout si, parallèlement, les négociations à venir avec le PS échouent. "C'est arithmétique", constate un élu LR. "Des micro-négociations sont toujours possibles avec eux. Je trouve qu'on leur fait un mauvais procès quand on dit qu'ils ne sont pas fiables. Ils sont quand même plus sérieux qu'avant, depuis trois ans", ajoute-t-il, validant "la stratégie de la cravate" engagée par Marine Le Pen.
Un cadre du RN confie à franceinfo que, sur le sujet de la censure du prochain budget, en coulisse, tout le monde n'est pas aligné. Face aux "dégagistes" qui prônent la dissolution comme seul horizon, d'autres admettent que, si le nouveau locataire fait des gestes, même petits, en direction du RN, il faudra laisser passer "dans un esprit de responsabilité afin que la France dispose d'un budget. Ça dépendra aussi de l'état de l'opinion publique", ajoute cette source.
Mais pour l'heure, il s'agit publiquement de maintenir la pression sur le Premier ministre et de se montrer inflexible "d'autant qu'on n'est pas certain qu'il puisse arriver à constituer un gouvernement". Dans la perspective du lancement de la campagne des municipales, "il faut se situer clairement dans l'opposition frontale à Emmanuel Macron", poursuit ce cadre du RN. "Même si sur le plan humain, Sébastien Lecornu nous va, on ne peut pas être plus souple avec lui qu'on ne l'a été avec Michel Barnier ou François Bayrou, parce qu'il est issu directement de Renaissance et que c'est un proche du président."
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