Procès des soupçons de financement libyen : "J'ai été candide", se défend Brice Hortefeux, qui dit avoir été piégé par Ziad Takieddine
A la barre, mercredi, l'ancien ministre a banalisé sa visite en Libye fin 2005 et a chargé au passage l'homme d'affaires franco-libanais en fuite, comme l'avaient fait Nicolas Sarkozy et Claude Guéant avant lui.
/2021/12/14/61b8b99cec1d8_violaine-jaussent.png)
/2025/01/22/000-36uu6hm-6791414269220221034503.jpg)
Il était "la petite touche sur la palette", selon sa propre expression. Brice Hortefeux a choisi avec attention ses mots, mercredi 22 janvier, pour dépeindre du mieux possible les objectifs de son voyage à Tripoli, en Libye, organisé le 21 décembre 2005, deux mois après la rencontre très médiatisée entre Nicolas Sarkozy et le colonel Mouammar Kadhafi. "La Libye souhaitait revenir dans le concert des nations. Par petites touches, ils invitaient les Français, les Italiens, j'étais un des éléments", a déclaré, en costume sombre, face au tribunal correctionnel de Paris, l'ancien ministre délégué, chargé des Collectivités territoriales à l'époque.
Jugé depuis trois semaines pour "association de malfaiteurs" et "complicité de financement illégal" de la campagne électorale de Nicolas Sarkozy en 2007, Brice Hortefeux est soupçonné d'avoir agi comme intermédiaire, à travers le réseau de l'homme d'affaires franco-libanais Ziad Takieddine. Ainsi, l'accusation estime que sa visite en Libye fin 2005 a participé à "la mise en œuvre du pacte de corruption".
Mais à l'audience, l'ancien ministre, proche de Nicolas Sarkozy, avec lequel il entretient une amitié depuis des années, s'est évertué à démonter cette thèse. "Je n'étais pas demandeur, je n'ai rien sollicité pour ce déplacement", explique Brice Hortefeux, qui affirme être allé en Libye parce qu'"il y avait un creux" dans son emploi du temps et par "devoir". De fait, les collectivités locales n'étaient pas une préoccupation majeure en Libye, comme il le reconnaît lui-même. "Il n'y avait aucun enjeu particulier", assure-t-il, les deux mains appuyées à la barre, arc-bouté au-dessus du pupitre.
"En 2005, je suis un jeune ministre"
Pourtant, au cœur de ce déplacement éclair d'à peine 24 heures, une rencontre est organisée avec Abdallah Senoussi, condamné en 1999 à la perpétuité en son absence par la justice française pour son rôle dans l'attentat contre le DC-10 de la compagnie UTA, dans lequel 54 Français sont morts. Or, cet ancien chef du renseignement militaire libyen est le beau-frère de Mouammar Kadhafi. "Je me suis retrouvé de manière totalement imprévue chez M. Senoussi. Pas de manière cachée, mais de manière officielle, avec une voiture et un chauffeur. C'était un domicile, ce n'était pas dans une grotte", explique, face à la présidente du tribunal, Brice Hortefeux. Lui qui pensait rencontrer Mouammar Kadhafi se dit "stupéfait".
"On m'aurait prévenu, je peux vous dire que les Libyens n'étaient pas près de me voir !"
Brice Hortefeuxdevant le tribunal
"On m'a conduit en voiture officielle. Quelqu'un me dit : 'C'est Abdallah Senoussi' et c'est dans la voiture que je me suis souvenu qu’un membre de la famille Kadhafi était impliqué dans l'attentat. C'est à ce moment-là que j'ai fait le rapprochement", expose Brice Hortefeux. "Vous n'avez pas idée de dire 'Non, je n'y vais pas, de faire marche arrière' ?", interroge la présidente Nathalie Gavarino. "En 2005, je suis un jeune ministre, un ministre délégué, c'est vrai que je ne me suis pas senti investi d'une autorité suffisante pour remettre en cause ce qui avait été initié", plaide-t-il. Mais aujourd'hui, l'accusation considère que l'amnistie d'Abdallah Senoussi était l'une des contreparties au financement de la campagne de Nicolas Sarkozy. Ainsi, d'après les déclarations d'Abdallah Senoussi, Brice Hortefeux lui a communiqué lors de cette rencontre fin 2005 "un numéro de compte sur lequel envoyer les fonds promis". Une thèse qualifiée de "fable" par l'ancien ministre.
Les "élucubrations" de Ziad Takieddine
"C'était un piège", lâche Brice Hortefeux. Le prévenu n'a de cesse de répéter ce mot tout au long de son interrogatoire, mercredi. Et l'auteur de ce "guet-apens" n'est autre que Ziad Takieddine, présent, ce soir-là, au domicile d'Abdallah Senoussi, quand l'ancien ministre y arrive. "Ziad Takieddine était en Libye du 19 au 22 décembre, en même temps que vous", souligne la présidente du tribunal à l'intention de Brice Hortefeux. "Il m'a dit qu'il était sur place, confirme-t-il. Il allait très régulièrement en Libye." "Tout ceci était très clairement organisé", estime aujourd'hui l'ancien ministre. "Avec Monsieur Takieddine, j'ai été candide", déclare-t-il à plusieurs reprises, alors que six jours auparavant, son coprévenu Claude Guéant a plaidé la "naïveté" et "l'imprudence" à la barre. Car lui aussi a affirmé que l'intermédiaire franco-libanais l'avait piégé en lui faisant rencontrer, hors de tout circuit officiel, Abdallah Senoussi, lors de sa visite à Tripoli le 1er octobre 2005.
"De votre point de vue, vous êtes piégé par qui ?", insiste l'un des trois magistrats du parquet national financier. "Je pense que c'est Ziad Takieddine, qui avait besoin, pour ses propres intérêts, de démontrer aux autorités libyennes qu'il avait du poids, du crédit", répond Brice Hortefeux, alors que l'homme d'affaires, visé par un mandat d'arrêt et jugé en son absence à ce procès, est aujourd'hui en fuite. "Il fallait qu'il nous affiche comme caution, comme gage", martèle-t-il, fustigeant les "élucubrations" de Ziad Takieddine lors de ses interrogatoires.
"Je ne fais que répéter la vérité"
Pourtant, les deux hommes, présentés à la fin des années 1990 par Thierry Gaubert, collaborateur de Nicolas Sarkozy également jugé dans ce procès, ont été proches pendant une décennie. Mais Brice Hortefeux assure avoir arrêté de le fréquenter dans les années 2000 et ne l'avoir vu qu'à deux reprises entre 2005 et 2007. "Je ne fais que répéter la vérité, à aucun moment je n'ai cherché à cacher quoi que ce soit", argue Brice Hortefeux, qui aimerait plutôt être interrogé, dès maintenant, sur le financement de la campagne de Nicolas Sarkozy.
Car selon les juges, l'ex-ministre a "organisé" et réceptionné des "transferts de fonds" depuis la Libye, notamment via Ziad Takieddine. "Effectivement, Monsieur Senoussi a fait un virement à la suite de votre visite, mais on en parlera plus tard", rétorque l'un des procureurs, qui fait référence à un virement en janvier 2006. "Madame la présidente ne veut pas brûler les étapes." Une manière de dire que Brice Hortefeux sera à nouveau appelé à la barre pour s'expliquer, en temps voulu. Le procès est prévu jusqu'au 10 avril.
À regarder
-
un objet percute un Boeing 737 et blesse un pilote
-
Cambriolage au Louvre : où en est l'enquête ?
-
Vol d’or au Muséum : une femme mise en examen
-
Jean-Yves Le Drian défend l'image de la France
-
Chine : 16 000 drones dans le ciel, un nouveau record du monde
-
Donald Trump lance de (très) grands travaux à la Maison Blanche
-
Glissement de terrain : des appartements envahis par la boue
-
Emmanuel Macron sème la confusion sur la réforme des retraites
-
Tornade meurtrière : scènes d'apocalypse dans le Val-d'Oise
-
Nicolas Sarkozy : premier jour en prison
-
La lutte sans relâche contre les chauffards
-
L'OMS alerte sur la résistances aux antibiotiques
-
Les frères Lebrun, du rêve à la réalité
-
Que disent les images de l'incarcération de Nicolas Sarkozy ?
-
Algospeak, le langage secret de TikTok
-
Une Russe de 18 ans en prison après avoir chanté des chants interdits dans la rue
-
Cambriolage au Louvre : d'importantes failles de sécurité
-
"Avec Arco, on rit, on pleure..."
-
Wemby est de retour (et il a grandi)
-
Arnaque aux placements : la bonne affaire était trop belle
-
Une tornade près de Paris, comment c'est possible ?
-
La taxe Zucman exclue du prochain budget
-
Un ancien président en prison, une première
-
Normes : à quand la simplification ?
-
La Terre devient de plus en plus sombre
-
Cambriolage au Louvre : d'importantes failles de sécurité
-
Louis Aliot, vice-président du RN, et les "deux sortes de LR"
-
Nicolas Sarkozy incarcéré à la prison de la Santé
-
Décès d'une femme : les ratés du Samu ?
-
Louvre : cambriolages en série
Commentaires
Connectez-vous ou créez votre espace franceinfo pour commenter.
Déjà un compte ? Se connecter