Au procès des soupçons de financement libyen, Nicolas Sarkozy expose sa version de sa rencontre avec Mouammar Kadhafi à Tripoli en 2005

Article rédigé par Violaine Jaussent
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Nicolas Sarkozy arrive au tribunal judiciaire de Paris, le 20 janvier 2025. (BERTRAND GUAY / AFP)
Nicolas Sarkozy arrive au tribunal judiciaire de Paris, le 20 janvier 2025. (BERTRAND GUAY / AFP)

L'ancien chef de l'Etat était, à l'époque de sa visite, ministre de l'Intérieur. Il est soupçonné d'avoir à ce moment-là évoqué un financement de sa campagne pour la présidentielle de 2007. Des accusations qu'il a qualifiées de "grotesques" à l'audience, lundi.

La vidéo est mise en pause. Le reportage de France 2, diffusé sur l'écran de la salle d'audience, se fige. Sur l'image, on voit Nicolas Sarkozy assis dans un fauteuil en cuir couleur crème, mains sur les genoux et tête légèrement inclinée. C'était le 6 octobre 2005 et, à l'époque, il était ministre de l'Intérieur, en visite à Tripoli, en Libye, pour échanger avec le dictateur libyen Mouammar Kadhafi. La rencontre est organisée sous une tente, avec une délégation, dont l'interprète officielle de la France, qui apparaît à droite de Nicolas Sarkozy. Près de vingt ans plus tard, l'ancien ministre, entre-temps devenu chef de l'Etat, scrute l'écran avec attention, lundi 20 janvier. Renvoyé devant la justice pour des soupçons de financement libyen de sa campagne présidentielle de 2007, il est sommé de s'expliquer sur ce déplacement, face au tribunal correctionnel de Paris.

"Est-ce que vous avez, à un moment donné, sous la tente, évoqué une demande de financement ?", l'interroge la présidente du tribunal, après la diffusion du reportage. "Madame, c'est pour moi douloureux de répondre à une question pareille", soupire Nicolas Sarkozy, qui annonce pourtant vouloir développer son argumentation. Car cette première rencontre entre Mouammar Kadhafi et Nicolas Sarkozy est cruciale dans ce dossier : selon l'accusation, c'est lors de cette visite que s'est noué "un pacte de corruption" pour le financement de la campagne présidentielle. "Grotesque", balaie Nicolas Sarkozy, qui hausse les épaules et agite les mains.

"C'est complètement démentiel !"

"Je n'ai pas eu l'idée de ce déplacement en Libye, c'est une invitation", affirme-t-il d'emblée. "Est-ce qu'un ministre de l'Intérieur doit voyager ? On ne gère pas uniquement les flux migratoires en restant à l'intérieur des frontières", se défend Nicolas Sarkozy, en faisant à la fois les questions et les réponses. "J'ai écrit à mon homologue ministre de l'Intérieur pour lui annoncer que j'étais d'accord pour venir, pour fixer la date et qu'il y aurait une visite préparatoire de monsieur Guéant, qui a fait l'objet d'un courrier officiel. Voilà dans quelles conditions j'ai été amené à me rendre en 2005 en Libye", expose le prévenu. Nicolas Sarkozy affirme être arrivé à 13 heures à Tripoli et en être reparti le soir même.

Dans l'intervalle, il s'est rendu sous cette fameuse tente pour rencontrer Mouammar Kadhafi. "Il était difficilement audible et nous étions à 2 mètres ou 2,50 mètres de distance", décrit-il, photo à l'appui, expliquant n'avoir jamais été juste à côté du "guide" libyen, ni en tête-à-tête. "Il y a eu un dîner de rupture du jeûne [pour le ramadan], nous sommes partis avant les sucreries et nous étions dans l'avion à 21 heures", détaille-t-il. "J'ai quand même un cerveau ! Ce n'est pas mon idée d'y aller [en Libye]. Je n'y suis jamais allé, j'ai une interprète officielle et je vais lui demander de me verser 30, 40, 50 millions ? C'est complètement démentiel !", s'exclame l'ancien président de la République.

"Le pacte de corruption sous la tente, c'est impossible"

Alors que Ziad Takieddine, renvoyé lui aussi devant le tribunal correctionnel de Paris, est soupçonné d'avoir mis en contact Claude Guéant avec les hauts dignitaires libyens pour favoriser "le pacte de corruption", Nicolas Sarkozy affirme que le 6 octobre 2005, l'homme d'affaires n'était pas présent. "Il y avait des journalistes. Personne, personne, n'a vu, ni croisé, ni aperçu monsieur Takieddine. Il n'a jamais été présent dans un endroit où je me trouvais." "Il disait qu'il faisait très attention à ne jamais être sur les photos…", rétorque alors la présidente. "Oui, ça, c'est nouveau. Là, il a vraiment fait attention ! Il n'était pas là", martèle le prévenu. Il charge le Franco-Libanais, actuellement en fuite, comme il l'a fait une semaine auparavant. "Je ne l'ai jamais aimé parce qu'à partir du moment où vous copiniez avec ce manipulateur, le risque de manipulation était grand", lâche l'ancien chef de l'Etat.

De son côté, Claude Guéant a répété, jeudi, que Ziad Takieddine l'avait piégé en lui faisant rencontrer l'ancien patron du renseignement militaire libyen Abdallah Senoussi, condamné à perpétuité en son absence par la justice française en 1999, pour son rôle dans l'attentat du DC-10 d'UTA. Or, le dîner a eu lieu à Tripoli le 1er octobre 2005, cinq jours avant la visite de Nicolas Sarkozy. Ce dernier déclare, lundi : "Quand monsieur Guéant dit 'J'ai été piégé', je le crois. A aucun moment je n'ai un contact, ni avec monsieur Senoussi, ni avec monsieur Takieddine.". Pourtant, selon l'accusation, ce rendez-vous faisait partie des contreparties du "pacte de corruption", Abdallah Senoussi souhaitant ainsi négocier son amnistie en échange de fonds libyens. "Il n'y a jamais eu de rencontre entre monsieur Senoussi et moi, je ne lui ai jamais promis d'amnistie puisque j'ai interdit l'amnistie !", tempête Nicolas Sarkozy, qui a, effectivement, renoncé à la grâce présidentielle une fois élu, respectant ainsi une promesse de campagne.

"Je n'ai pas eu un centime libyen dans ma campagne. S'il y avait eu un centime, on l'aurait trouvé !", redit Nicolas Sarkozy, comme il l'a affirmé dès l'ouverture de l'audience. "C'est le procès pour savoir s'il y a un financement de Kadhafi dans la campagne de Sarkozy ! Et il n'y a pas eu de financement", insiste-t-il, en réponse aux questions de l'un des trois magistrats du parquet national financier. "Le pacte de corruption sous la tente, c'est impossible, soutient-il, C'est la vérité." Une affirmation sur laquelle rebondit, peu après, un avocat des parties civiles : "C'est VOTRE vérité."

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