"Elles savent qu’elles vont être critiquées derrière" : pourquoi les youtubeurs invitent si peu de femmes dans leurs vidéos ?
Depuis plusieurs années déjà, les youtubeurs se questionnent et prennent la parole sur le manque de parité femmes-hommes dans leurs vidéos. Pourtant, sur la plateforme, rien ne semble vraiment changer.
La rentrée sur YouTube démarre en trombe : deux des plus gros créateurs de contenu ont annoncé des projets inédits. Michou, 10,6 millions d'abonnés, sort une série de vidéos où plusieurs candidats devront "survivre" à une traque dans un aéroport. "Terminal" est diffusé au cinéma les 5 et 6 septembre, avant d'être publié dimanche 7 sur YouTube. Squeezie, premier youtubeur divertissement de France avec 19,7 millions d'abonnés, a lui annoncé le projet le plus onéreux de sa carrière. Dans cette vidéo à 700 000 euros, prévue mardi 9 septembre, dix candidats devront s'affronter lors d'épreuves dans un train.
Ce type de contenu est catégorisé comme du "feat and fun" - des vidéos avec des invités et du divertissement - et s'est démocratisé sur la plateforme. Des concepts sous forme de jeux grandeur nature, avec des candidats, qui sont la plupart du temps des hommes proches du youtubeur organisateur. Dans la vidéo de Michou, il y a seulement trois femmes sur 16 candidats. Chez Squeezie, deux femmes sont recensées, pour 10 invités. Un manque de parité qui n'est pas un phénomène isolé.
Un univers plutôt masculin
Entre août 2024 et août 2025, Squeezie a sorti 19 vidéos YouTube pouvant être considérées comme du "feat and fun", dont seulement six incluent au moins une femme. Chez Michou, on retrouve des femmes dans quatre vidéos sur 17. Un autre youtubeur suivi par 6,7 millions d'abonnés, Joyca, affiche lui 12 contenus de ce type, dont seulement trois vidéos avec une participante.
Si les femmes sont moins invitées, c'est aussi parce qu'elles sont moins visibles sur la plateforme. Parmi les 35 chaînes françaises les plus suivies, il n'y a que quatre créatrices de contenus. La première d'entre elles, Natoo, n'est qu'à la 17e place, derrière ses nombreux autres collègues masculins. Interviewé par le journaliste Hugo Décrypte en janvier 2024, Squeezie reconnaissait ce problème, dénonçant de "bons vieux clichés".
"Ma théorie, c’est qu’Internet s’est construit pendant des années autour du jeu vidéo et que les jeux vidéos étaient plus vus ‘pour les mecs’, les bons vieux clichés."
Squeezie, premier youtubeur divertissement de Franceà franceinfo
Sur YouTube, la majorité des créatrices produisent en effet du contenu "beauté", "mode" ou "lifestyle", souvent loin des gros concepts "divertissement" qui cumulent le plus de vues. Or, selon Juliette Wood, cofondatrice de l'association de lutte contre les discriminations Lié.e.s, "pour le public, l’humour reste un truc de mecs". "Dès qu’une femme s’y essaye, elle est tout de suite pointée du doigt et elle est considérée comme pas drôle, quand bien même elle ferait exactement les mêmes blagues", observe-t-elle.
La crainte du cyberharcèlement
Ces situations mènent bien souvent à du harcèlement en ligne. Critiques sur le physique, remarques sexistes, voire menaces de morts... C'est ce qui était arrivé à Emma, une collaboratrice de Joyca qui avait participé à l'une de ses vidéos en mai 2023. La jeune femme - la seule de la vidéo - avait été harcelée sur les réseaux, à tel point que le youtubeur avait pris la parole pour dénoncer ces comportements. En 2022, Maghla, streameuse sur Twitch, mais également présente sur YouTube dans des concepts "feat and fun", révélait elle aussi l'ampleur du harcèlement sexiste dont elle était la cible au quotidien.
Pour Juliette Wood, c'est un "cercle vicieux" : "Les femmes osent moins accepter ce genre de concept parce qu’elles savent qu’elles vont être critiquées derrière". Selon elle, les créatrices qui participent à ces vidéos vont souvent "encaisser des critiques de la part du public du youtubeur en question, qui n’a jamais l’habitude de voir de femmes". Même s'il y a une prise de conscience de la part de leurs collègues masculins, la perspective d'une vague de harcèlement dissuade à la fois les invitées et les organisateurs.
Le choix de la facilité ?
Rester entre hommes semble-t-il alors plus simple ? C'est en tout cas ce qui paraît le plus "naturel", selon le principe dit d'homosocialité, explique Déborah Gay, enseignante-chercheuse en sciences de l’information et de la communication à l'université Toulouse Jean Jaurès. Ce phénomène caractérise notre propension à rester entre personnes de même sexe. "Il y a des groupes de pairs, d'amis" et sur YouTube, ce sont "plus généralement des hommes", détaille-t-elle.
"Si on est un garçon, on va se dire qu'on connaît telle personne, qui est aussi un homme, donc on entretient ce phénomène dans nos vidéos."
Déborah Gay, enseignante-chercheuse à Toulousefranceinfo
"Si on ne fait pas l'effort de sortir de nos cercles d'amis ou professionnels, c'est compliqué" d'inviter des femmes, poursuit Déborah Gay. Même sans le vouloir, les youtubeurs "vont mettre à la marge des créatrices de contenus, ou ne pas les inviter, ne pas les intégrer. Parfois, ils vont utiliser un humour qui peut être vu comme 'gras' et cet humour exclut certaines catégories, qui sont les minorités en général", développe la chercheuse.
Les youtubeurs sont aussi soumis à des algorithmes impitoyables, qui mettent en avant les plus productifs et réactifs. Or sortir de ses cercles habituels pour chercher des profils différents - en l'occurrence féminins - demande du temps. "C'est difficile, parce que dans une société où il faut être le premier qui réagit, qui sort une vidéo, prendre le temps, c'est forcément accepter de ne pas être le premier", analyse Déborah Gay.
Un problème transverse au monde médiatique
Le manque de parité n'est toutefois pas spécifique à la plateforme, mais illustre un problème plus global. "Tous les médias mettent majoritairement en scène des hommes, rappelle Déborah Gay. Il ne faut pas pointer du doigt YouTube en particulier. Le point positif, c'est qu'au moins les youtubeurs le reconnaissent". Si plusieurs créateurs de contenus se sont exprimés à ce sujet, cette prise de conscience est loin d'être suffisante.
Pour la chercheuse, "gérer sa communauté, c'est aussi une responsabilité qu'ont tous les créateurs de contenus aujourd'hui", notamment de modérer le harcèlement subi par les femmes invitées sur de gros concepts. Juliette Wood, cofondatrice de l'association Lié.e.s, partage cet avis et estime que les questions de parité doivent aussi être abordées à l'école. Mais faire évoluer les mentalités, "ça prend du temps", reconnaît-elle. "Ce n’est pas quelque chose qu’on fait en 10 ans, conclut Juliette Wood. Or YouTube, c’est une plateforme qui en a 20."
À regarder
-
Vaccin anti-Covid et cancer, le retour des antivax
-
A 14 ans, il a créé son propre pays
-
Ils piratent Pronote et finissent en prison
-
Aéroports régionaux : argent public pour jets privés
-
Bali : des inondations liées au surtourisme
-
Alpinisme : exploit français dans l'Himalaya
-
Un objet percute un Boeing 737 et blesse un pilote
-
Cambriolage au Louvre : où en est l'enquête ?
-
Jean-Yves Le Drian défend l'image de la France
-
Chine : 16 000 drones dans le ciel, un nouveau record du monde
-
Donald Trump lance de (très) grands travaux à la Maison Blanche
-
Glissement de terrain : des appartements envahis par la boue
-
Emmanuel Macron sème la confusion sur la réforme des retraites
-
Tornade meurtrière : scènes d'apocalypse dans le Val-d'Oise
-
Nicolas Sarkozy : premier jour en prison
-
La lutte sans relâche contre les chauffards
-
L'OMS alerte sur la résistances aux antibiotiques
-
Les frères Lebrun, du rêve à la réalité
-
Que disent les images de l'incarcération de Nicolas Sarkozy ?
-
Algospeak, le langage secret de TikTok
-
Une Russe de 18 ans en prison après avoir chanté des chants interdits dans la rue
-
Cambriolage au Louvre : d'importantes failles de sécurité
-
"Avec Arco, on rit, on pleure..."
-
Wemby est de retour (et il a grandi)
-
Arnaque aux placements : la bonne affaire était trop belle
-
Une tornade près de Paris, comment c'est possible ?
-
La taxe Zucman exclue du prochain budget
-
Un ancien président en prison, une première
-
Normes : à quand la simplification ?
-
La Terre devient de plus en plus sombre
Commentaires
Connectez-vous ou créez votre espace franceinfo pour commenter.
Déjà un compte ? Se connecter