Reculs "inquiétants", "pilotage affaibli"... Le Haut Conseil pour le climat alerte sur un ralentissement de l'action climatique en France et appelle à "un sursaut collectif"

Article rédigé par Camille Adaoust
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Un Conseil de planification écologique se tient à l'Elysée (Paris), le 31 mars 2025 autour du président de la République, Emmanuel Macron, et de la ministre de la Transition écologique, Agnès-Pannier-Runacher. (LUDOVIC MARIN / AFP)
Un Conseil de planification écologique se tient à l'Elysée (Paris), le 31 mars 2025 autour du président de la République, Emmanuel Macron, et de la ministre de la Transition écologique, Agnès-Pannier-Runacher. (LUDOVIC MARIN / AFP)

L'instance a publié jeudi son septième rapport annuel. Elle dénonce notamment un manque de lisibilité des politiques publiques, alors que la baisse des émissions de gaz à effet de serre a nettement ralenti.

"Le Haut Conseil pour le climat appelle à relancer l'action climatique en France." Dans son septième rapport annuel évaluant l'efficacité des politiques françaises pour baisser des émissions de gaz à effet de serre, publié jeudi 3 juillet, l'instance s'inquiète d'un "pilotage de l'action climatique [qui] s'affaiblit" alors que les "impacts du changement climatique s'aggravent". Le document adressé au gouvernement, qui est appelé à y répondre dans les six mois, rappelle que l'année 2024 a été "l'une des cinq années les plus chaudes" et l'une des "dix années les plus pluvieuses jamais enregistrées en France métropolitaine", avec son lot d'événements météorologiques extrêmes, dans l'Hexagone comme dans les territoires d'outre-mer.

Le rapport cite "3 700 décès attribuables à la chaleur", "la transmission locale de la dengue renforcée en métropole et une forte épidémie [en] Guyane", des récoltes céréalières "au plus bas depuis 40 ans", un coût des inondations hivernales estimé "entre 520 et 615 millions d'euros" ou encore les cyclones Belal à La Réunion et Chido à Mayotte.

"Les effets observés du changement climatique en France ces dernières années sont d’une ampleur inconnue jusqu’alors, dont des records inédits dans presque tous les territoires et de nombreux secteurs."

Le Haut Conseil pour le climat

dans son 7e rapport annuel

Face à ces effets alarmants, la source du problème n'est pas assez traitée, selon les experts. La baisse des émissions de gaz à effet de serre, cause du réchauffement climatique, "a beaucoup ralenti en 2024", déplore le Haut Conseil pour le climat (HCC). Alors que le constat de l'année précédente était porteur d'espoir, avec 6,7% d'émissions territoriales brutes en moins (comme exprimé dans l'infographie qui suit en millions de tonnes d'équivalent CO2), cette fois-ci, la baisse n'est que de 1,8%. Un niveau jugé "insuffisant". Et 70% de cette baisse est due au contexte – une meilleure disponibilité du parc nucléaire, le bon remplissage des barrages hydroélectriques, un hiver doux ou encore la réduction de la taille du cheptel bovin – et non à la mise en place de mesures par l'Etat.

Dans son 7e rapport annuel, la Haut Conseil pour le climat visualise les évolutions interannuelles, depuis 2010, des émissions brutes de gaz à effet de serre de la France, en millions de tonnes équivalent CO2. (RAPPORT ANNUEL DU HAUT CONSEIL POUR LE CLIMAT)
Dans son 7e rapport annuel, la Haut Conseil pour le climat visualise les évolutions interannuelles, depuis 2010, des émissions brutes de gaz à effet de serre de la France, en millions de tonnes équivalent CO2. (RAPPORT ANNUEL DU HAUT CONSEIL POUR LE CLIMAT)

Derrière ce chiffre national, le HCC détaille les efforts réalisés par chaque secteur. Et le bulletin de notes n'est pas brillant : "nettement insuffisant" pour les transports, "lent" pour l'agriculture, "à nettement accélérer" pour l'industrie, "dynamique cassée" pour le bâtiment, "incohérent" pour les déchets. "Sauf pour la production d'énergie, principal contributeur à la baisse des émissions en 2024, le rythme de réduction des émissions de gaz à effet de serre a ralenti très fortement pour tous les secteurs et nécessite sans délais une relance des politiques de décarbonation", résument les experts.

A titre d'exemple, les émissions des transports n'ont baissé que de 1,2%, contre 4,4% entre 2022 et 2023. "L'année 2024 a vu une stagnation de la vente des véhicules électriques chez les particuliers, des retards structurels d'investissements dans les transports en commun et dans la mobilité active", dépeint Diane Straus, membre du HCC. "Ça ne permet pas aux usagers de sortir des voitures thermiques", a-t-elle complété lors de la conférence de presse de présentation du rapport. La production d'énergie, elle, fait figure de bonne élève, avec 10% d'émissions en moins par rapport à 2023.

Du retard et des reculs déplorés

Le HCC note également un "retard important" pris dans la publication de textes structurants pour l'action climatique : la programmation pluriannuelle de l'énergie et la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC). Et de nombreux reculs "inquiétants". Le rapport cite notamment le "leasing social (véhicules électriques)" , le "photovoltaïque en toiture" et les "rénovations complètes". "Pour ce qui est des systèmes alimentaires, l'année 2024 a été marquée par la réponse politique apportée aux manifestations agricoles de début d'année, qui a fragilisé l'action climatique du secteur et contribué à ralentir sa transition agroécologique", évoque encore le HCC, empêchant le secteur de s'"orienter vers des modèles bas-carbone, plus résilients, donc moins vulnérables".

L'instance évoque notamment la loi d'orientation pour l'agriculture, particulièrement critiquée pour son manque d'ambition écologique. Et plus récemment, "l'annonce de l'arrêt des rénovations d'ampleur dans MaPrimeRénov'" , la suppression des "zones à faibles émissions (ZFE) favorables à la santé ou le zéro artificialisation nette (ZAN) favorable à la biodiversité" . Le HCC mentionne également les tentatives d'affaiblir "le développement des énergies renouvelables" ou de revenir sur "la date d'interdiction des véhicules à moteurs thermiques" 

"La lisibilité de la politique climatique de la France a été remise en cause par ces reculs, créant une absence de visibilité pour le secteur privé et pour les collectivités territoriales."

Le Haut Conseil pour le climat

dans son 7e rapport annuel

Résultat : "L'appréciation du cadre national d'action climatique met en évidence des insuffisances pour l'année 2024 et le début de l'année 2025", alerte le HCC, qui signale une "fragilité de gouvernance". Si l'instance "salue" la publication du troisième Plan national d'adaptation au changement climatique (Pnacc), le manque de pilotage politique se répète au fil des pages du rapport, et ce, pour plusieurs secteurs.

Concernant la transition énergétique opérée par le gouvernement, c'est-à-dire la sortie des fossiles que sont le pétrole, le gaz et le charbon pour aller vers une énergie décarbonée, "la gouvernance et la planification du secteur se sont nettement détériorées ces deux dernières années", illustre le document. Il prend aussi l'exemple des activités liées à l'utilisation des terres, leurs changements d'usage et à la forêt : les politiques actuelles "ne présentent pas dans leur ensemble une vision suffisamment stable, cohérente et lisible vu les enjeux du secteur". Et les finances suivent la même trajectoire. "La dynamique actuelle des investissements publics et privés en faveur du climat ne permet pas d'atteindre les objectifs [de la France] à l'horizon 2030."

Un appel à relancer "rapidement" l'action climatique

Alors que l'Insee a récemment estimé que la baisse des émissions de gaz à effet de serre suivrait ce ralentissement en 2025 (avec seulement -1,3% d'émissions françaises), le Haut Conseil pour le climat appelle à "un sursaut collectif pour relancer l'action climatique". "Le rythme de décarbonation (...) devra doubler pour atteindre la cible fixée en 2030", écrit le HCC, qui préconise au gouvernement "de consolider rapidement le cadre d'action publique et de renforcer les actions structurelles, avec une gouvernance solide et un cap clair".

"On n'a pas de boule de cristal, mais on observe bel et bien une polarisation de la société, que la gouvernance a été fragilisée et le pilotage affaibli. Nous sommes assez inquiets. Pour 2025, il faut espérer que les défauts observés soient corrigés. Il faut renforcer pilotage de l'action climatique."

Jean-François Soussana, président du HCC

lors de la conférence de presse de présentation du rapport

"Nous considérons que l'action gouvernementale pourrait être portée à un plus haut niveau, avec une coordination interministérielle renforcée, poursuit Jean-François Soussana. Le secrétariat général à la planification écologique a eu un rôle important en ce sens, mais encore faut-il qu'il soit encore porté politiquement." Le conseil de planification n'avait, par exemple, pas été réuni pendant plus d'un an et demi.

Meilleur portage politique, dispositifs plus stables, nouveaux leviers... Le rapport fait une série de 74 recommandations adressées aux différents ministères compétents. Il souhaite ainsi une évaluation scientifique "des vulnérabilités et inégalités associées au changement climatique", un "financement pluriannuel" pour le ferroviaire, les transports en commun et les mobilités actives, un "moratoire" sur les projets routiers existants, la réalisation de "stress tests climatiques" pour toute nouvelle installation d'agriculteur, la création d'un observatoire national de la décarbonation des 50 sites industriels les plus émetteurs, la mise en place d'un "guichet unique" pour toutes aides à la rénovation énergétique, ou encore un "plan national de lutte contre la désinformation climatique".

Alors que les Etats-Unis se sont retirés des négociations internationales et que les reculs s'accumulent au niveau européen également, le HCC appelle aussi le gouvernement français à relancer sa diplomatie climatique, à l'approche de la COP30 de Belém, au Brésil. "Dix ans après l'adoption de l'Accord de Paris, la diplomatie française a un rôle central à jouer pour encourager une nouvelle dynamique de coopération autour d'un agenda climatique global et partagé."


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