: Entretien "Deux tiers des navires de pêche industrielle" masquent leur trace dans les aires marines protégées, révèle un chercheur français
Raphaël Seguin, doctorant à l'université de Montpellier, publie une étude dans la revue "Science" dans laquelle il démontre cette pratique abusive.
"On a sous-estimé cette activité." Dans une étude publiée dans la revue Science, jeudi 24 juillet, des chercheurs de l'université de Montpellier, de l'Institut de recherche pour le développement (IRD), du CNRS et de l'ONG Bloom révèlent que la majorité des aires marines protégées dans le monde sont exposées à la pêche industrielle, dont une large partie échappe à toute surveillance. Et ce, alors que de nombreux Etats se sont engagés à renforcer la protection de l'océan à l'occasion de la dernière conférence de Nice sur les océans, jusqu'ici insuffisante. Les chercheurs ont analysé les données de 2022 à 2024 fournies par l'ONG Global Fishing Watch, qui prend en compte les signaux GPS des navires et les détections des bateaux sur images satellites.
Ils ont ainsi pu superposer, sur des cartes, les contours des aires marines protégées avec la trace "des navires déclarés. Mais aussi [la trace de] ceux qui n'apparaissent pas sur les systèmes de surveillance publique", c'est-à-dire les bateaux qui ne sont soit pas obligés d'être équipés d'une balise GPS ou qui l’éteignent volontairement, détaille l'université de Montpellier dans un communiqué. Selon Raphaël Seguin, doctorant de l'université et chargé de recherche pour l'ONG Bloom, les détections par satellites sont "un indicateur fiable" d'une réelle activité de pêche et non d'un simple passage des bateaux en question dans ces aires.
Franceinfo : Vous démontrez qu'une partie de l'activité de pêche industrielle dans les aires marines protégées (AMP) est invisible. Quelle est l'ampleur de cette face cachée ?
Raphaël Seguin : On avait jusqu'à présent une vision parcellaire de la pêche dans les aires marines protégées, basée sur les données AIS [le système d'identification automatique par GPS des navires]. Or, on a compris que deux tiers des navires de pêche industrielle n'émettent pas de signal GPS dans les AMP. A l'échelle mondiale, on a détecté ces navires dans la moitié des AMP côtières – la plupart des activités humaines se concentrant près des continents et les données satellitaires n'étant pas disponibles en haute mer.
La pêche industrielle dans les AMP est donc bien plus importante qu'estimée jusqu'à présent : la seule source de donnée publique et transparente ne reflète qu'une part limitée de la réalité, puisqu’une large partie de la pêche industrielle est invisible aux systèmes de suivi.
Et on en rate encore une partie : la résolution des images satellites ne nous permet de voir que des bateaux de plus de 15 m, mais on ne comptabilise pas ceux qui mesurent de 12 à 15 m, alors que l'Union internationale pour la conservation de la nature les comprend bien dans sa définition de la pêche industrielle.
Au sein de l'Union européenne, et plus précisément en France, les navires sont-ils plus respectueux des règles au sein de ces aires marines ?
Dans la zone économique exclusive française, environ la moitié des navires détectés dans les AMP n'étaient pas suivis. Et des navires de pêche ont été détectés dans presque toutes les AMP côtières. La France est l'un des pays qui compte le plus de navires dans les AMP, car elle possède beaucoup d'AMP.
A l'échelle de l'Europe, on trouve qu'un peu plus de la moitié des navires (54%) étaient suivis par AIS entre 2022 et 2024. C'est surprenant de trouver des navires sans signal AIS dans les eaux de l'Union européenne, alors que c'est obligatoire. Je ne m'attendais pas à en trouver autant.
Ce constat montre-t-il un non-respect des recommandations scientifiques sur la protection des océans ?
Scientifiquement, ces nouvelles données nous montrent déjà qu'on a sous-estimé l'activité de pêche industrielle dans ces aires. Les pays du monde [plus de 190] se sont fixé l'objectif de protéger 30% des océans d'ici à 2030. C'est le strict minimum proposé par les scientifiques pour préserver la biodiversité marine et tous les bénéfices qu'en tire l'espèce humaine. On en est à 9%, et seulement 3% en protection stricte – les seules aires efficaces pour protéger les écosystèmes.
Or, c'est dans ces dernières aires, à protection stricte, qu'on trouve peu de pêche illégale, comme le montre une autre étude publiée ce jeudi dans Science. C'est une bonne nouvelle, ça montre que les réglementations fonctionnent et protègent les écosystèmes. Mais aujourd'hui, la plupart des AMP n'interdisent pas la pêche industrielle. Il faudrait imposer un critère de qualité, empêcher les gouvernements de déclarer des AMP si elles ne répondent pas aux exigences scientifiques et donc, si elles n'interdisent pas les activités industrielles.
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