Suicide d'Evaëlle : "Je ne l'ai pas humiliée", se défend l'ex-enseignante de la collégienne, au deuxième jour de son procès pour harcèlement
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Cette ancienne professeure de français a affirmé mardi lors de son interrogatoire qu'elle n'avait pas perçu la jeune fille comme une "enfant harcelée". Quelques heures plus tard, la procureure a requis 18 mois de prison avec sursis et une interdiction définitive d'enseigner à son encontre.
"J'ai appris très rapidement que la famille me tenait pour responsable du décès de leur fille. Et ça, c'est extrêmement lourd à porter." Vêtue d'une élégante veste à motifs beige et marron, les doigts manucurés vernis de rouge agrippés au pupitre, Pascale B. répond avec une nervosité contenue aux questions du tribunal correctionnel de Pontoise, dans la matinée du mardi 11 mars. Cette ex-professeure de français est jugée pour le harcèlement d'Evaëlle, une collégienne de 11 ans qui s'est suicidée le 21 juin 2019 dans sa chambre. En fin d'après-midi, la procureure a requis à son encontre 18 mois de prison avec sursis, considérant qu'elle a "jeté en pâture" la fillette. Elle demande également, en plus de cette peine, une interdiction définitive d'exercer la fonction d'enseignant.
Au début de son interrogatoire, l'ancienne enseignante de 62 ans a affirmé que ce décès a été "un choc". Puis elle a parlé de deux autres chocs à l'époque, dont "la couverture médiatique importante". "Le plus violent, c'est le mot 'coupable', 'coupable de la mort d'un enfant'", lâche-t-elle encore, mardi matin, alors que le père d'Evaëlle a estimé la veille face au tribunal que "Madame B. a initié le harcèlement", avant que "les élèves" ne prennent "le relais". L'ex-professeure est également renvoyée pour le harcèlement de deux anciens élèves. L'un d'eux, Jonathan*, a témoigné lundi, estimant que l'attitude de son ancienne enseignante, pendant l'année scolaire 2018-2019, faisait "mal" : "C'était extrêmement rabaissant."
Pascale B. a écouté avec attention les propos de son ancien élève, sans sourciller. "Beaucoup de choses ont été dites. Certaines, je les conteste. Pour d'autres, ce n'est pas du tout la situation que, de mon point de vue, j'ai vécue", réagit-elle. "J'ai entendu hier : 'Est-ce que c'est une façon de s'exprimer envers des élèves ?' Que pouvez-vous dire là-dessus ?", lui demande peu après la présidente du tribunal. "C'est plutôt dans mon caractère de dire des choses assez facilement", concède la prévenue. "Est-ce vous estimez être une professeure exigeante ?", poursuit la magistrate. "Exigeante, oui. Mais ça n'exclut pas d'être à l'écoute et derrière les élèves."
"Ce n'était pas dans le but de la mettre en difficulté"
Puis la présidente du tribunal Hélène Tortel revient plus précisément sur le point de bascule dans cette affaire, en février 2019, quand Pascale B. a décidé d'organiser une heure de vie de classe. Selon l'ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel, consultée par franceinfo, l'ancienne professeure de français est soupçonnée d'avoir harcelé Evaëlle "en organisant des heures de vie de classe portant sur le harcèlement scolaire au cours desquelles elle l'a stigmatisée". Lors de ce cours, elle fond en larmes. Pascale B. lui intime alors de cesser de pleurer, "de façon méchante", affirmera l'élève un mois plus tard, lors d'une audition dans le cadre de la plainte déposée par ses parents.
"Non, elle ne pleure pas. A la fin, elle était en colère", affirme Pascale B., qui répète devant le tribunal qu'elle n'a pas vu les larmes d'Evaëlle. Mais elle reconnaît avoir pu déclarer : "Arrête de pleurer". "Ce n'était pas la phrase à dire", admet l'ex-professeure, droite comme un i à la barre. "Le soir, Evaëlle a dit à sa mère : 'C'était la pire journée de ma vie'", rappelle la présidente. La prévenue soupire : "Oui, je le comprends. Au moment où ça s'est fait, ce n'était pas dans le but de la mettre en difficulté, mais dans le but de régler le problème relationnel dans la classe."
A un assesseur, elle déclare qu'elle ne percevait pas Evaëlle comme une "enfant harcelée", mais comme une collégienne "en conflit avec les autres élèves". "Vous le regrettez ou pas ? Et si c'était à refaire, vous le referiez ?", insiste le second assesseur.
"Je pense toujours que la méthode était bonne."
Pascale B.à l'audience
"Parfois, vous parlez des élèves comme des adultes. J'ai l'impression que vous ne mettez pas de distance", souligne Cliona Noone, l'avocate de Jonathan et de sa mère, associée à l'avocate de la famille d'Evaëlle. "Je mets de la distance, il faut faire attention", réagit l'ancienne professeure de français.
"Il a fallu que je me blinde pour tout supporter"
L'avocate interroge la prévenue sur ses méthodes pédagogiques, notamment le fait de dispenser des cours avec la porte ouverte au risque que tout le monde entende ce qui se passe en classe. "Ce n'est pas une possibilité aussi d'intimider, de faire peur ?", s'enquiert Cliona Noone. "Non, d'autres collègues se sont mis après à cette méthode", répond Pascale B. "Est-ce que ce n'est pas plus simple d'humilier un bouc émissaire pour tenir toute la classe ?", souligne l'avocate. La prévenue assène : "Je n'ai pas humilié Evaëlle." Pour la première fois, Pascale B. dément les faits reprochés.
"Qu'est-ce que c'est humilier alors ? Quand vous avez un élève face à vous qui pleure", insiste Cliona Noone. "Spontanément, je vais dire : 'Arrête de pleurer'", soutient l'ancienne enseignante. "Mais ce n'est pas quelque chose qu'on dit à un adulte, pas à un enfant ?", rétorque l'avocate. La voix de Pascale B. se fait toute petite et sa réponse est difficilement audible depuis les bancs réservés à la presse. Cliona Noone évoque encore le manque d'empathie de l'ex-professeure, mis en avant dans l'expertise psychiatrique. "Vous savez, depuis six ans, il a fallu que je me blinde pour supporter tout", rétorque la prévenue.
"Je suis un être humain normal qui en a pris plein la figure, qui reconnaît ses erreurs quand elle en fait."
Pascale B.à l'audience
"Assiduité, efficacité, autorité, ponctualité" : autant de qualificatifs associés à Pascale B., devenue professeure "par choix" à 25 ans, a rappelé la présidente du tribunal dès le début du procès. Tandis que les témoins cités à l'audience, dont deux anciens principaux du collège où était scolarisée Evaëlle et une professeure de mathématiques qui y exerce toujours, ont qualifié leur ancienne collègue d'"autoritaire, qui peut être cassante", "assez tranchante", "quelqu'un sans filtre, un petit peu brut". Des auxiliaires de vie scolaire ont, en revanche, décrit une femme avec "une prestance", "bienveillante", "quelqu'un d'aidant".
Alors, Delphine Meillet, l'avocate de la famille d'Evaëlle, s'interroge : Pascale B. peut-elle avoir "un mot d'empathie" à l'égard de "cette petite fille qui s'est pendue dans sa chambre" ? La prévenue se verrouille. "J'ai parlé d'elle à plusieurs reprises", assure-t-elle. "Je ne pense pas avoir perdu très souvent dans ma vie le contrôle", confesse peu après la professeure, qui a exercé pendant 33 ans, avant que soit prononcée l'interdiction d'enseigner, au moment de sa mise en examen. Une interdiction qui pourrait devenir définitive si le tribunal suit les réquisitions. Pascale B. encourt en outre une peine de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende. Son avocate Marie Roumiantseva a plaidé sa relaxe. La décision sera rendue le 10 avril.
* Le prénom a été changé
Si vous avez des pensées suicidaires, si vous êtes en détresse ou si vous voulez aider une personne en souffrance, il existe des services d'écoute anonymes et gratuits. Le numéro national 3114 est joignable 24h/24 et 7j/7 et met à disposition des ressources sur son site. L'association Suicide écoute propose un soutien similaire au 01 45 39 40 00. D'autres informations sont disponibles sur le site du ministère du Travail, de la Santé, des Solidarités et des Familles.
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