Chikungunya : "Ce que les épidémiologistes redoutaient est en train d'arriver, ce ne sont plus des maladies tropicales", déplore William Dab, professeur en épidémiologie

Le chikungunya, qui s'attrape en étant piqué par des moustiques tigres porteurs du virus, ne se transmet pas de personne à personne. Huit cas ont été détectés en France métropolitaine. Pour en parler, William Dab, professeur en épidémiologie et ancien directeur général de la Santé répond aux questions de la journaliste Louise Bernard dans le "11h/13h", jeudi 26 juin.

Ce texte correspond à la retranscription d'une partie de l'interview ci-dessus. Cliquez sur la vidéo pour regarder l'entretien en intégralité.

Louise Bernard : Jamais autant de cas de chikungunya n'avaient été détectés si tôt dans l'année. À quoi est-ce dû ? Faut-il s'en inquiéter ? Et comment s'en prémunir ? On en parle ce midi avec William Dab, épidémiologiste, ancien directeur général de la Santé. On peut commencer peut-être par rappeler ce qu'est le chikungunya. C'est une maladie qui s'attrape en étant piqué par des moustiques tigres.

William Dab : Oui, on peut tout de suite rappeler que ce n'est pas une maladie contagieuse de personne à personne. Il faut être piqué par un moustique, qui lui-même a piqué une personne qui portait le virus, et c'est ainsi que le virus se transmet. Donc, on n'est pas du tout dans un scénario de type Covid. C'est exactement la même chose pour la dengue, pour une autre maladie virale qui s'appelle le zika, mais qu'on n'a pas en France actuellement. Donc, on attrape la dengue et le chikungunya par les moustiques.

Quels sont les symptômes si l'on est contaminé par le chikungunya ?

C'est une difficulté, notamment pour les médecins. Parce que nous avons trois familles de maladies qui donnent les mêmes symptômes. Pour aller vite, ce sont des symptômes de grippe. Vous êtes fatigué, vous avez de la fièvre, vous avez mal à la tête, vous toussez un peu. Vous ressentez aussi des douleurs musculaires. Oui, il y a des courbatures. Or, chez le chikungunya, la dengue, et le nouveau variant du Covid, l'omicron 181, on retrouve le même type de symptômes, ce qui fait que le médecin, sans examen, ne peut pas faire la différence, et donc il faut prescrire des examens biologiques, c'est important justement pour pouvoir établir le diagnostic.

Huit cas autochtones détectés. Autochtones, pour être clair, ça signifie que ce ne sont pas des cas importés. Ce sont bien des gens qui ont été contaminés en France métropolitaine. Jamais autant de cas n'avaient été détectés si tôt. Est-ce qu'il faut s'en inquiéter ? Vers quoi s'oriente-t-on ? Une épidémie de chikungunya en France métropolitaine ?

Ce que les épidémiologistes redoutaient depuis des années est en train d'arriver. C'est-à-dire que moi, quand j'ai fait ma médecine, on parlait de maladies tropicales. Ce ne sont plus des maladies tropicales. Le réchauffement climatique et la diffusion généralisée du moustique tigre dans toute la France [les propagent].

On a une carte à ce propos, d'ailleurs, que l'on peut afficher sur cette prolifération du moustique tigre.

C'est important pour comprendre comment la maladie. Oui, parce que le chikungunya et la dengue sont transmis par ce moustique. On a les prémices d'une diffusion épidémique en France. Avec ce que je disais tout à l'heure, pour être rassurant, on n'a pas de transmission de personne à personne. Donc, on ne va pas avoir une explosion de type Covid et on ne parlera pas de confinement et de mesures... Demain, si je suis piqué par un moustique tigre, je ne contamine pas ma famille.

Il faut qu'elle soit donc piquée par le moustique.

Absolument.

C'est une épidémie de quelle ampleur avec cette prolifération du moustique tigre ? On ne peut pas l'anticiper ?

Le moustique tigre est particulièrement présent sur la Côte d'Azur et en Île-de-France. Il se trouve que ce sont des régions densément peuplées. On parle de dizaines de millions de personnes. Donc, on a une probabilité importante d'une diffusion épidémique de la maladie. Santé publique France n'a pas encore produit des modèles de progression de la maladie. On a huit cas aujourd'hui. Encore une fois, on n'est pas dans un scénario Covid avec un doublement des cas tous les quatre, cinq, six jours. Mais on pourrait avoir cette année quelques dizaines de cas. Et le problème, c'est que plus il y a de cas autochtones, plus la probabilité qu'une autre personne soit piquée par un moustique malade augmente.

Les températures élevées, ça joue sur cette prolifération.

Il adore ça, le moustique. [Avec] des orages et températures élevées, le moustique se développe.

C'est pour ça qu'il y a certaines zones en France qui sont plus touchées que d'autres, mais ça va s'étendre avec ces températures et ces orages.

Absolument.

Peut-on s'attendre à une épidémie comme à La Réunion, puisqu'on parlait des températures et de ce climat ? Il y a eu 200 000 contaminations depuis mars, une vingtaine de décès. On meurt du chikungunya aujourd'hui, ça concerne qui, les personnes à risque ?

Le chikungunya, ce n'est pas ça le problème. Le principal problème, c'est que vous êtes fatigué, vous avez de la fièvre, vous pouvez vous déshydrater, vous allez vous aliter, il y a un risque d'embolie pulmonaire. C'est souvent par les complications liées à l'alitement prolongé que le chikungunya tue, plus que directement.

Il y a un vaccin, mais on ne l'administre pas à toute la population ?

Non, d'abord, on n'en a pas assez. Ensuite, il n'est pas sans effets indésirables. La Haute Autorité de santé l'a recommandée pour un certain nombre de groupes, notamment les personnes les plus âgées, pour qui il y a un bénéfice supérieur au risque.