Interview "C'est l'équivalent de 'Il n'y a rien, c'est dans votre tête'" : qu'est-ce que le syndrome méditerranéen, ce préjugé raciste encore tenace à l'hôpital ?

Article rédigé par Audrey Abraham
Radio France
Publié
Temps de lecture : 6min
Dans un hôpital le 8 avril 2024. Photo d'illustration (LUC NOBOUT / MAXPPP)
Dans un hôpital le 8 avril 2024. Photo d'illustration (LUC NOBOUT / MAXPPP)

Dans un rapport publié mardi, la Défenseure des droits alerte sur les discriminations dans le système de santé français et dénonce, entre autre, la persistance du syndrome méditerranéen.

Le rapport intitulé Prévenir les discriminations dans les parcours de soins : un enjeu d'égalité, publié mardi 6 mai, met en lumière des traitements inéquitables qui touchent les femmes, les personnes perçues comme non-blanches, les personnes vivant à la rue ou encore les usagers de drogues.

La Défenseure des droits, Claire Hédon, appelle à la mise en place de "sanctions effectives, proportionnées et dissuasives". Dénoncé depuis plusieurs années, le syndrome méditerranéen persiste dans le système de santé français, et particulièrement dans les services d'urgence. Mathilde Lambert, est pédopsychiatre et doctorante. Elle prépare une thèse sur la construction d'un contenu pédagogique à destination des étudiants en médecine français sur les discriminations raciales en médecine.

franceinfo : Qu'est-ce que le syndrome méditerranéen ?

Mathilde Lambert : Le syndrome méditerranéen correspond à une mauvaise prise en charge d'une douleur jugée exagérée en raison d'une essentialisation de la personne, selon son identité raciale assignée et des préjugés racistes associés à cette identité, qui découlent de la médecine coloniale ou de l'esclavage. D'où l'importance de connaître l'histoire pour comprendre ce qui nous en parvient encore et peut avoir des conséquences sur les soins.

Est-ce que cela existe depuis longtemps ?

Les ancêtres de ce syndrome sont la sinistrose, le syndrome transalpin (en Suisse, concernant les travailleurs italiens accusés de vouloir une rente), et le syndrome nord-africain, théorisé par le psychiatre Frantz Fanon dans son article intitulé ainsi, en 1952. Il décrivait, durant son internat de psychiatrie à Lyon, des situations dans lesquelles des hommes maghrébins, vivant et travaillant en France après guerre, se plaignaient de douleurs ou de symptômes inexpliqués par la médecine française des années 50. À l'époque, chaque symptôme devait correspondre à une lésion.

"Les avancées ont permis d'ouvrir tout un autre pan dans lequel les symptômes n'ont pas forcément une lésion, mais peuvent survenir par d'autres mécanismes, en lien notamment avec l'état psychique".

Mathilde Lambert

à franceinfo

Mais la non-reconnaissance de la réalité de symptômes psychiques persiste. C'est l'équivalent d'"Il n'y a rien, c'est dans votre tête" qui entraîne une absence de prise en charge." Frantz Fanon propose alors un diagnostic de situation pour ces hommes qui vivaient seuls dans des foyers, avaient un travail difficile et étaient victimes d'un système de racisme institutionnalisé dont les médecins étaient imprégnés. Aujourd'hui, le syndrome méditerranéen peut toucher aussi les Roms, montrant l'élargissement de ce préjugé raciste à différentes populations racialisées. Le paramètre sexiste s'ajoute à ces a priori, puisque les femmes sont les plus concernées. Le patient, en arrivant face à un médecin ou un soignant, peut être assigné à une identité, quand bien même le soignant n'a aucune idée de son histoire, de son rapport à la douleur, à la médecine... Il s'agit donc d'une essentialisation qui ne prend absolument pas en compte son individualité et sa subjectivité.

Quelles peuvent être les conséquences de ces biais racistes et sexistes dans la prise en charge du patient ? 

A minima, une mauvaise relation thérapeutique, ce qui peut avoir des effets par exemple sur le diagnostic, des retards de diagnostic, des négligences, des discriminations concernant l'accès aux soins, et à la prise en charge sérieuse. Certains témoignages, rendus publics par certaines associations travaillant sur le sujet, évoquent cette charge raciale, à savoir toutes les adaptations comportementales des personnes non-blanches en France, pour éviter la stigmatisation. Par exemple, pour les soins, le fait d'arriver aux urgences bien habillées, calme, sans évoquer trop explicitement ses douleurs... Ces conséquences peuvent aller jusqu'à la mort. En 2023, une jeune fille noire de 13 ans est décédée à l'hôpital Robert Debré, à Paris, suite à un retard de prise en charge par les pompiers. Un enregistrement audio a été fait de la situation. Durant 30 minutes, la mère demande aux pompiers de l'emmener à l'hôpital, et les pompiers nient la réalité du malaise de la jeune adolescente. Il est certain que le spectre du syndrome méditerranéen arrive directement dans cette affaire, tant il est anormal d'attendre autant pour décider ou non d'emmener quelqu'un à l'hôpital.

Quels recours ou conseils pour les patients qui en sont victimes ?

Il est compliqué de quantifier et d'objectiver les problèmes de discrimination raciale en France, parce qu'il n'y a pas d'étude à grande échelle sur des caractéristiques de couleur de peau, par exemple, en raison de ce que l'on appelle l'interdiction des statistiques ethniques. Quelques études sont présentes et le rapport de la Défenseure des droits montre que cela existe à tous les niveaux du soin, d'où ce que l'on nomme l'aspect systémique, dans lequel sont pris les soignants de toutes professions.

"La formation des étudiants en médecine sur ces sujets de discriminations raciales n'est ni homogène, ni très fournie."

Mathilde Lambert

à franceinfo

Il s'agit donc de créer une dynamique nationale sur ces questions pour que les étudiants puissent avoir durant les différentes années de leurs études des outils leur permettant d'obtenir des apports théoriques sur la réalité des discriminations, et leurs conséquences sur la santé, ainsi que des éléments à propos des discriminations médicales sur un plan individuel et systémique. Le but est aussi de donner des clés de compréhension du présent et d'amener à une prise de conscience sur la formation des stéréotypes et leurs conséquences actuelles sur les soins. Les témoignages des patients seraient un élément important à leur amener, dans un système hospitalier en crise où tout le soin est accéléré et sujet à la mobilisation des préjugés racistes notamment.

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