Des étudiants refusent l’ordinateur et renouent avec l’écriture manuscrite

À l’université, le bruit des claviers n’est plus aussi assourdissant qu’il y a dix ans. Dans plusieurs pays, du Royaume-Uni aux États-Unis, certains étudiants prennent une décision radicale : ranger leur ordinateur et reprendre le papier et le stylo. Le magazine Dazed est allé à leur rencontre. Nick, étudiant en philosophie à Cambridge, en ce mois de septembre, confie qu’il a abandonné son laptop pour ses cours. "Je suis trop facilement distrait. Reprendre des notes à la main m’oblige à réfléchir, à être concentré", dit-il. Même témoignage pour Felix, diplômé en littérature anglaise, qui affirme qu’il se sent "plus connecté" à ses travaux depuis qu’il les prépare à la main.

Ces jeunes parlent d’un besoin de lenteur, de profondeur, presque d’authenticité, à contre-courant d’une université saturée d’écrans et d’IA. Pour eux, écrire, ce n’est pas seulement mémoriser : c’est aussi une manière de penser.

Le retour du carnet comme objet esthétique

Ce regain d’intérêt pour le manuscrit s’inscrit dans une tendance plus large. La mode des carnets et du "journaling". Ces cahiers, où l’on compile notes, listes et pensées, se sont imposés comme un phénomène mondial. Ils incarnent une nouvelle esthétique de l’écrit, entre calligraphie, créativité graphique et soin de soi. Sur TikTok et Instagram, des millions de vidéos montrent des étudiants décorant leurs pages, comme pour redonner du lustre à un geste jugé obsolète. L’écriture redevient un projet artistique, une pratique revendiquée à l’heure où les géants du numérique imposent leurs outils.

Ces poches de résistance sont d’autant plus remarquables qu’elles s’opposent à un mouvement massif. En France, 78% des habitants disent écrire moins à la main qu’il y a dix ans, selon une enquête Usbek & Rica parue en 2025. Les lettres manuscrites ne représentent plus que 4% de l’activité postale, alors qu’un Français en envoyait encore 45 par an en 2008 , toujours selon cette enquête. Aux États-Unis, 15% des adultes n’ont jamais rédigé de lettre à la main, relate YouGov en 2021. Le marché du stylo-plume s’effondre. Il a été divisé par cinq en dix ans. Il ne pèse plus que 5,3 millions d’euros en grande distribution.

Il est loin, très loin, le temps de la polémique sur l’arrivée du stylo-bille dans les classes françaises…

Le clavier est en perte de vitesse

Le phénomène est plus profond encore : ce n’est pas seulement l’écriture manuscrite qui disparaît, c’est l’acte même d’écrire. Sur WhatsApp, plus de 7 milliards de notes vocales sont échangées chaque jour. Nous dictons nos messages entre deux réunions. Nous parlons, de plus en plus à nos écrans au lieu d’y écrire. Siri, Alexa, ChatGPT : tout est conçu pour fonctionner à la voix. Au-delà même de l'écriture, le secteur du livre audio cartonne, particulièrement chez les jeunes.

Ce confort n’est pas sans conséquences. Les neurosciences rappellent que l’écriture manuscrite stimule beaucoup plus le cerveau que la frappe. C’est sans doute pour cela que certains étudiants font aujourd’hui le choix de se battre pour le stylo. Dans les marges d’un monde numérique, ils redécouvrent une liberté et une attention qu’aucune application ne leur offre. Preuve que l’écriture manuscrite, loin d’être un vestige, pourrait bien devenir un geste militant.