Édito
Remise en cause de l'exécution provisoire : le risque de creuser le fossé entre l'opinion, les juges et les politiques

La condamnation de Nicolas Sarkozy ravive le conflit entre politiques et magistrats autour de l’"exécution provisoire", accusée de bafouer la présomption d’innocence. Une remise en cause de cette mesure pour les élus pourrait , aux yeux de l'opinion, ressembler à un privilège scandaleux.

Article rédigé par Renaud Dély
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3min
Nicolas Sarkozy (au centre) s'adresse à la presse après le verdict de son procès pour financement illégal de campagne en 2007, au palais de justice du Tribunal de Paris, le 25 septembre 2025. (JULIEN DE ROSA / AFP)
Nicolas Sarkozy (au centre) s'adresse à la presse après le verdict de son procès pour financement illégal de campagne en 2007, au palais de justice du Tribunal de Paris, le 25 septembre 2025. (JULIEN DE ROSA / AFP)

La condamnation de Nicolas Sarkozy creuse un peu plus le fossé entre les politiques et les juges avec d’un côté, des élus qui fustigent des magistrats "partisans" et dénoncent le danger d’un "gouvernement des juges" tout-puissant. Et de l’autre, ces mêmes juges qui assurent ne se conformer qu’au droit et dont la légitimité est si violemment attaquée que la présidente du tribunal qui a condamné Nicolas Sarkozy a été submergée de menaces de mort anonymes. Au point qu’Emmanuel Macron a fini par intervenir dimanche. Garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire, le chef de l'État a dénoncé des "menaces inadmissibles", et réclamé des poursuites contre les auteurs. Tout en rappelant que la présomption d'innocence et le droit au recours des justiciables doivent toujours être préservés

Au cœur de ce bras de fer, il y a "l’exécution provisoire". Cette disposition qui enverra bientôt Nicolas Sarkozy en prison. L’ancien président souligne que le Parquet national financier ne l’avait pas réclamée, ce qui prouverait selon lui que "toutes les limites de l’État de droit ont été violées". Marine Le Pen est, elle aussi, en guerre contre l’exécution provisoire depuis qu’elle lui a été infligée fin mars avec sa condamnation à cinq ans d’inéligibilité. Pour la cheffe de file de l'extrême droite, cette mesure bafoue la liberté de vote de l’électeur, puisqu’elle ne pourrait pas être candidate en 2027, et donc la légitimité du suffrage, mais aussi la présomption d’innocence. D’autres élus — Gérard Larcher, François Bayrou, mais aussi des députés macronistes — s’interrogent sur la pratique de "l’exécution provisoire". En juin, Éric Ciotti avait voulu en exonérer les élus pour secourir son alliée Marine Le Pen. La tentative avait échoué, mais d’autres parlementaires pourraient remonter à l’assaut dans quelques semaines.

Le sentiment d'impunité

Les conséquences, d'une telle initative seraient calamiteuses pour les élus, un peu comme le fut la loi d’amnistie des délits politico-financiers votée en 1990 sous le deuxième mandat de François Mitterrand… Comment expliquer à l’opinion un tel traitement de faveur pour les politiques quand 86% des peines de plus de deux ans infligées aux citoyens sont soumises à exécution immédiate ? Et que ces mêmes politiques — Nicolas Sarkozy, Éric Ciotti, Marine Le Pen et d’autres — dénoncent depuis des années la non-exécution des peines ou les remises de peine, illustrations à leurs yeux du prétendu  "laxisme" de la justice.

Quelque 28 000 détenus sont actuellement en détention provisoire, et donc présumés innocents. On peut contester les motifs avancés pour justifier qu’elle s’applique à Nicolas Sarkozy — le tribunal évoque la "gravité exceptionnelle" des faits. Mais une loi d’exception pour protéger les élus achèverait de discréditer la politique aux yeux des électeurs. Sauf à vouloir limiter la détention provisoire pour tous les citoyens, et ainsi réduire la surpopulation des prisons — un enjeu auquel aucun politique n’a le courage de s’attaquer.

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