"C'est quoi l'esprit de pionnier ? C'est d'essayer de faire autrement", Bertrand Piccard, psychiatre et explorateur, revient sur son projet d’avion à hydrogène

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Article rédigé par franceinfo - Édité par l'agence 6Medias
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Bertrand Piccard, psychiatre, pilote et explorateur suisse, co-auteur de "Repousser les limites : Sur terre, en mer et jusque dans l'espace" aux éditions Robert Laffont, était l’invité de Franceinfo samedi 13 septembre.

Ce texte correspond à une partie de la retranscription de l'interview ci-dessus. Cliquez sur la vidéo pour la regarder en intégralité.

Myriam Encaoua : Vous publiez, avec beaucoup d'autres explorateurs, notamment Sylvain Tesson, mais aussi Jean-Louis Étienne, un livre passionnant, aux éditions Robert Laffont, "Repousser les limites : Sur terre, en mer et jusque dans l'espace". Ce sont différents regards, avec des points de vue très différents, des exploits très variés, sur ce que c'est que l'exploration et l'aventure. Ça existe encore, à l'heure où tout est cartographié, l'exploration ?

Bertrand Piccard : Il faut repousser les limites intérieures, il faut repousser les limitations, les limites qu'on s'inflige à soi-même à cause de sa peur de l'inconnu, sa peur de faire autrement. Je dirais que dans une société qui est de plus en plus sclérosée, on a de plus en plus besoin d'exploration et d'aventure, parce que sinon on étouffe complètement. On voit qu'on arrive dans une situation politique, environnementale, sociale, catastrophique, parce qu'on a fait d'une certaine façon. Mais c'est quoi l'aventure, l'esprit de pionnier ? C'est d'essayer de faire autrement.

Myriam Encaoua : Donc c'est protéger la planète, l'aventure aujourd'hui ?

Bertrand Piccard : Oui, protéger la planète, mais aussi amener plus d'éducation, plus de respect, plus de social, plus de santé. Parce que pendant longtemps, on a l'impression qu'on améliorait l'état de l'humanité, peut-être depuis 1945, après la Seconde Guerre mondiale. Puis tout à coup maintenant, on a l'impression d'être arrivé au sommet et que ça retombe de l'autre côté. Il ne faut surtout pas que cela retombe de l'autre côté.

Laurent Joffrin : Mais le rôle des explorateurs a changé dans la société. Les grands explorateurs, Christophe Colomb, les conquistadors, c'étaient des gens qui étaient à la conquête de territoires, qui travaillaient pour des États. Maintenant, nous connaissons tous les territoires. Il n'y en a plus beaucoup à conquérir. Et donc, le rôle n'est plus le même. C'est-à-dire que l'aventure n'est plus étatique, nationale ou purement géographique.

Bertrand Piccard : Non, parfois, elle va même contre l'étatique. Elle va contre cette sclérose dont on souffre de plus en plus, et l'environnement en est un exemple. Ce que je mets souvent comme dédicace dans ce livre, c'est : "explorons le monde…, et protégeons-le". Parce qu'il faut trouver d'autres manières de le protéger, d'autres manières de fonctionner, d'autres manières d'avoir une société qui a plus de respect, qui a plus de cohésion, qui a moins de polarisation.

Laurent Joffrin : Il faudrait rappeler ce que vous avez fait dans ce sens, parce que brièvement, il y a eu trois grandes étapes. Il y a un voyage en ballon, un voyage en avion, et maintenant la construction d'un nouvel avion.

Bertrand Piccard : Le tour du monde avec le Breitling Orbiter, c'était mon rêve personnel. C'est la première fois que j'avais l'occasion de faire quelque chose qui n'avait jamais été fait, un tour du monde sans escale en ballon. Et puis, ça m'a amené à Solar Impulse. Il y a eu des retombées énormes sur les matériaux composites, sur l'encapsulation des panneaux solaires, sur tous les projets d'avions électriques maintenant qui se développent, comme celui d'André Borschberg avec H55, qui était mon partenaire dans le projet Solar Impulse, et maintenant il fabrique des avions électriques d'entraînement pour deux personnes. Et puis, je dirais que la grande retombée, c'était la manière dont on a considéré l'énergie solaire, parce que quand j'ai commencé en 2002 le projet Solar Impulse, c'était une anecdote, le photovoltaïque. C'était une niche. Ça coûtait 40 fois plus cher qu'aujourd'hui. Et peut-être que le plus grand compliment que j'ai reçu sur Solar Impulse, c'est un commissaire européen qui me dit que Solar Impulse a changé notre vision de l'énergie renouvelable.

Myriam Encaoua : Aujourd'hui, c'est Climate Impulse, c'est votre nouveau projet, un nouvel avion, cette fois-ci à hydrogène. Comment ça fonctionne ?

Bertrand Piccard : Oui, on prend de l'eau, on l'électrolyse, donc on sépare les atomes d'oxygène et d'hydrogène avec un courant électrique qui vient de l'éolien ou du photovoltaïque, mais ça peut aussi être du nucléaire pendant la nuit, et on obtient de l'hydrogène produit de manière décarbonée. Cet hydrogène, on le conserve, on peut le garder gazeux, on peut le garder liquide. Il faut le garder à moins 253 degrés, dans des réservoirs extrêmement bien isolés. Et c'est ça qu'est en train de construire mon partenaire, Raphaël Dinelli, au Sable d'Olonne (Vendée), dans son usine. Et ce carburant va pouvoir faire voler l'avion parce qu'on évapore un petit peu d'hydrogène qui passe dans ce qu'on appelle une pile à combustible pour redonner de l'eau et de l'électricité, comme ce qu'on avait au début, et ça fera tourner des moteurs électriques.

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