"Si Sébastien Lecornu reste dans les dogmes, il finira crucifié" : le Premier ministre peut-il vraiment s'éviter la censure du PS ?

Pour rester en fonction durant l'examen du budget au Parlement, et même jusqu'en 2027, le chef du gouvernement doit s'assurer qu'Olivier Faure et ses troupes ne le censurent pas. Une situation qui permet au PS de négocier en position de force, pour l'instant.

Article rédigé par Thibaud Le Meneec
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 6min
Boris Vallaud, président du groupe socialiste à l'Assemblée nationale, et Olivier Faure, premier secrétaire du PS, à Matignon, à Paris, le 4 septembre 2025. (XOSE BOUZAS / HANS LUCAS / AFP)
Boris Vallaud, président du groupe socialiste à l'Assemblée nationale, et Olivier Faure, premier secrétaire du PS, à Matignon, à Paris, le 4 septembre 2025. (XOSE BOUZAS / HANS LUCAS / AFP)

Le Parti socialiste se retrouve une nouvelle fois au centre du jeu. Depuis la chute de François Bayrou et l'arrivée de Sébastien Lecornu à Matignon, mardi 9 septembre, les regards du camp présidentiel se tournent vers les troupes d'Olivier Faure. Malgré la taille modeste de leur groupe à l'Assemblée nationale – 66 députés – les socialistes sont en position de sauver le nouveau Premier ministre d'une éventuelle censure.

Fin août, le sort de François Bayrou avait d'ailleurs été scellé une fois que le patron du PS avait annoncé que sa formation politique voterait contre la confiance demandée par le Premier ministre. Le premier secrétaire du parti sait que le nouveau chef du gouvernement a besoin de l'absence d'oppositions coalisées contre lui. De manière explicite, La France insoumise vise la destitution d'Emmanuel Macron et la censure immédiate de Sébastien Lecornu. De son côté, le Rassemblement national a choisi de faire de la dissolution de l'Assemblée nationale son cheval de bataille, en promettant de voter la censure s'il n'y avait pas une "rupture" claire dans la politique menée.

Taxe Zucman, retraites, non-utilisation du 49.3…

Reste, donc, le PS, qui se considère en position de force pour négocier sa non-censure. "Nous attendons des actes, pas des déclarations", martèle Boris Vallaud, patron des députés socialistes, auprès de franceinfo. Dans le détail, Olivier Faure a avancé plusieurs revendications, à commencer par la nécessité d'un "changement de cap" en matière budgétaire et fiscale, avec, par exemple, l'introduction d'une taxe Zucman sur les plus hauts patrimoines, ou la remise en cause de la réforme des retraites de 2023.

Sur franceinfo, mercredi, il a aussi demandé que Sébastien Lecornu s'engage à ne pas utiliser l'article 49.3 de la Constitution, qui permet l'adoption d'un texte sans vote à l'Assemblée nationale, pour démontrer "que la méthode change" via des compromis. Une gageure, alors qu'aucun budget n'a été adopté sans 49.3 depuis 2022. "Si Emmanuel Macron veut terminer son mandat, il faut que Sébastien Lecornu fasse adopter le budget et pour qu'il fasse adopter son budget, il faut une rupture avec le macronisme", résume auprès de franceinfo le sénateur socialiste Rachid Temal.

"Pour ne pas que Sébastien Lecornu soit censuré, les socialistes ne sont pas essentiels, mais vitaux."

Rachid Temal, sénateur socialiste

à franceinfo

Pas question, pour les responsables socialistes, de signer un accord de non-censure sans voir leurs revendications reprises en grande partie par le gouvernement. C'est pourtant ce qui s'était passé début février, quand Olivier Faure et ses troupes avaient conclu un accord de non-censure sans contrepartie majeure. Cette fois, alors que le gouvernement n'est pas encore formé, "un accord avec nous sera super cher. Nous ferons payer 1 000 balles les billets de 10 balles", promet à l'AFP le député PS de l'Eure Philippe Brun. "Si Sébastien Lecornu reste dans les dogmes", en particulier sur la taxation des plus fortunés, "il finira crucifié", prédit un autre cadre du PS. 

Des concessions à venir du bloc présidentiel ?

Derrière ces propos véhéments, les deux camps continuent d'échanger. Mercredi, Olivier Faure a été appelé par le nouveau Premier ministre, avant que ce dernier rencontre les différents responsables du "socle commun" du centre et de la droite. Le principe d'une rencontre entre le chef du gouvernement et les cadres du PS a été acté, mais la date n'a pas encore été fixée, assurait vendredi après-midi Boris Vallaud à franceinfo.

Certains socialistes n'ont pas attendu de recevoir le carton d'invitation de Matignon pour préparer le terrain à des négociations concrètes : "Si on sent une porte ouverte sérieuse, une vraie rupture de la part de Sébastien Lecornu, on est prêts à aller à une table de dialogue. C'est notre logique", a affirmé Patrick Kanner, patron des sénateurs PS, sur Public Sénat, jeudi.

En face, le bloc présidentiel semble s'être résolu à quelques "bougés", ces concessions accordées à un autre camp dans une négociation. "Il va falloir faire des compromis avec les socialistes, c'est la seule façon d'avoir la stabilité", a concédé sur Public Sénat Hervé Marseille, président du groupe Union centriste, membre du bloc présidentiel. Sur la taxation des hauts patrimoines, "il faut que chacun participe à proportion de ses moyens", a aussi partagé, à titre personnel, le président du groupe macroniste au Sénat, François Patriat, sur le même canal.

Les socialistes, "toujours esclaves de leur relation avec Jean-Luc Mélenchon"

Néanmoins, la méfiance reste évidemment de mise, des deux côtés. "On a la sensation de traiter avec des gens qui reculent et avancent en permanence", souffle un cadre du camp présidentiel à propos du PS. "Ils sont toujours esclaves de leur relation avec Jean-Luc Mélenchon, et aimeraient pouvoir censurer sans que cela entraîne une nouvelle dissolution de l'Assemblée". "Lors des discussions sur le budget précédent, le Premier ministre s'était déjà engagé sur une loi de taxation des hauts patrimoines, puis n'avait rien fait", rappelle auprès de franceinfo la sénatrice Corinne Narassiguin, pour qui le PS n'est "pas dans une logique de passer des deals [accords] sur des mesures isolées".

"Bien sûr, nous sommes très circonspects et bien conscients du petit jeu des rumeurs et des intox."

Corinne Narassiguin, sénatrice PS

à franceinfo

Comme un symbole de cette suspicion partagée, le PS continue de préparer une éventuelle dissolution, scénario possible en cas de nouvelle chute du gouvernement. Mi-juillet, le secrétaire général du parti, Pierre Jouvet, avait affirmé plancher sur un "plan dissolution", afin d'être prêt dans chacune des 577 circonscriptions en cas de législatives anticipées. Le plan doit être opérationnel début octobre. D'ici là, au diapason des autres oppositions, le PS aura peut-être décidé d'écourter le bail de Sébastien Lecornu à Matignon.

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