Pourquoi Sébastien Lecornu n'est pas à l'abri de la censure, malgré son renoncement au 49.3 pour l'examen du budget 2026

Le Premier ministre a annoncé, vendredi, qu'il n'utiliserait pas cette disposition de la Constitution, qui permet d'adopter un texte sans vote. Une main tendue loin d'être suffisante, selon les oppositions.

Article rédigé par Thibaud Le Meneec
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Le Premier ministre, Sébastien Lecornu, dans la cour de l'hôtel de Matignon, à Paris, le 3 octobre 2025. (ALAIN JOCARD / AFP)
Le Premier ministre, Sébastien Lecornu, dans la cour de l'hôtel de Matignon, à Paris, le 3 octobre 2025. (ALAIN JOCARD / AFP)

Lors de sa passation de pouvoir avec François Bayrou, le 10 septembre, Sébastien Lecornu avait évoqué le besoin "de ruptures" à la fois "sur la forme" et "sur le fond". Trois semaines plus tard, au cours d'une courte déclaration depuis Matignon, le nouveau Premier ministre a annoncé, vendredi 3 octobre, qu'il renonçait à recourir à l'article 49.3 de la Constitution pour adopter les textes budgétaires cet automne. Cette disposition, abondamment utilisée depuis 2022 en raison de l'absence de majorité absolue, permet d'adopter un texte sans vote à l'Assemblée nationale.

L'abandon de cette arme gouvernementale était réclamée de longue date par le Parti socialiste. "Je demande au nouveau Premier ministre de renoncer au 49.3, comme nous l’avions proposé, pour instaurer une nouvelle méthode", appelait encore Olivier Faure, patron de la formation, le 10 septembre. En accédant ainsi à l'une des revendications du parti à la rose, Sébastien Lecornu peut-il espérer la mansuétude d'une partie de la gauche et repousser ainsi le spectre de la censure ? "Ils ne peuvent pas faire comme si cette annonce n'existait pas et ne changeait rien", espérait vendredi un député du bloc central. "Il est habile, car il reprend notre proposition", soufflait vendredi soir un des cadres socialistes présents à Matignon, plus tôt dans la journée, auprès de France Télévisions.

Le nouvel ultimatum du Parti socialiste

Mais très vite, les socialistes ont considéré que ce pas fait dans leur direction était insuffisant. D'abord parce que la Constitution permet à Sébastien Lecornu de ne pas être impuissant face à des discussions budgétaires qui seraient mal engagées pour son camp. L'article 40 permet ainsi de s'opposer à un amendement d'un député qui proposerait une augmentation du budget, tandis que l'article 44.3 donne la latitude au gouvernement pour organiser un vote bloqué sur tout ou partie du texte, en ne retenant que les amendements proposés ou acceptés par lui.

Les dirigeants du PS ont renvoyé la balle dans le camp du Premier ministre, avec qui ils venaient d'échanger pendant deux heures, vendredi midi. "Il y a bien un début de rupture sur la forme, mais sur le fond, rien n'a changé", a déploré Olivier Faure devant la presse. La "copie" du Premier ministre sur le budget reste "très insuffisante et à bien des égards alarmante", a-t-il dénoncé, menaçant plus que jamais que de faire tomber le gouvernement. "La coupe est pleine et si la donne ne change pas, nous nous dirigeons tout droit vers la censure", a de nouveau insisté le dirigeant du PS, samedi soir, dans Le Parisien, appelant le Premier ministre à revoir son projet de budget d'ici mardi et la déclaration de politique générale.

Avant ce rendez-vous, Sébastien Lecornu continue de partager des pistes pour le budget, comme la réduction d'un impôt de production des entreprises ou la baisse d'autres mesures, comme "la défiscalisation et l'allègement de charges sociales sur les heures supplémentaires", selon son entourage à France Télévisions. Pour l'heure, les socialistes se montrent perplexes. "Je commence à avoir des bribes du budget, c’est un budget dégueulasse. Le principe d'une 'année blanche' repris, la réduction d'avantages fiscaux pour les étudiants [révélée vendredi par Les Echos et rapidement démentie par Matignon]… Tout est insuffisant", peste le cadre PS cité plus haut.

Une motion de censure "spontanée" toujours possible

De son côté, Marine Le Pen adopte également une stratégie attentiste avant le dévoilement très attendu de la feuille de route de Sébastien Lecornu. Reçue vendredi matin, la cheffe de file des députés RN a jugé que renoncer au 49.3 était "plus respectueux de la démocratie", mais elle n'a pas non plus tranché sur la censure de son groupe parlementaire, qui comporte 123 députés. La triple candidate à l'élection présidentielle espère elle aussi des "ruptures" dans la déclaration de politique générale. 

Par ailleurs, si le renoncement à l'article 49.3 par Sébastien Lecornu le met à l'abri d'une motion de censure dite "provoquée" par l'utilisation de ce mécanisme, il ne le protège en rien d'une motion de censure "spontanée". "Une telle motion n'est recevable que si elle est signée par un dixième au moins des membres de l'Assemblée nationale. (…) Seuls sont recensés les votes favorables à la motion de censure qui ne peut être adoptée qu'à la majorité des membres composant l'Assemblée", est-il écrit à l'article 49.2 de la Constitution. Les oppositions ont plusieurs cartouches dans leur fusil, car un député peut signer jusqu'à trois motions de censure au cours d'une même session parlementaire ordinaire, d'octobre à juin. 

Dans cette bataille pour faire adopter un budget et ne pas partir de Matignon de manière précipitée, Sébastien Lecornu peut compter sur Raphaël Glucksmann, qui ne souhaite pas faire chuter le gouvernement. Lors de sa rentrée politique, à La Réole (Gironde), le leader du parti Place publique a assuré sur BFMTV qu'il n'irait "pas à la censure", sachant "l'impact sur la stabilité du pays". Cette position n'aura cependant que peu d'impact sur l'arithmétique parlementaire, puisque le parti de centre gauche ne compte que deux députés, Aurélien Rousseau et Sacha Houlié.

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