Entretien Crise politique : "On s'y perd, le spectateur-citoyen se lasse de cette complication", décrypte François Pérache, auteur de fictions politiques

Le comédien et auteur de théâtre a aussi écrit plusieurs fictions radiophoniques, dont "57, rue de Varenne", qui raconte les intrigues au cœur du pouvoir exécutif. Il apporte son regard à ce que lui inspire la crise actuelle entre Matignon et l'Elysée.

Article rédigé par Louis Mondot
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Le Premier ministre démissionnaire, Sébastien Lecornu, le 7 octobre 2025 à Paris. (LUDOVIC MARIN / AFP)
Le Premier ministre démissionnaire, Sébastien Lecornu, le 7 octobre 2025 à Paris. (LUDOVIC MARIN / AFP)

Les derniers rebondissements politiques en France sont-ils plus inspirés que la fiction ? La valse des gouvernements, la démission surprise de Sébastien Lecornu ou l'ultime mission que lui a confiée Emmanuel Macron donnent en tout cas du grain à moudre à de nombreux autrices et auteurs, comme François Pérache.

Également comédien, il a – notamment – écrit la série de podcasts 57, rue de Varenne pour France Culture (réalisée par Cédric Aussir), une fiction politique en six saisons qui plonge dans les coulisses du pouvoir. Dans une vie précédente, cet ingénieur de formation avait travaillé comme analyste média à Matignon et à l'Elysée, de quoi lui donner un regard particulier sur le rapport parfois trouble entre fiction et réalité.

François Pérache : C'est un grand classique du lien entre le réel et la fiction. Il y a plusieurs choses qui ne sont pas tout à fait de même nature, mais il y a une "gorafisation" de l'actualité [du nom du Gorafi, un site satirique], c'est-à-dire que les informations qui tombent de France, et même du monde entier, semblent complètement absurdes. Et on tombe sur des titres [dans la presse] comme "Donald Trump cité pour le prix Nobel de la paix". Il y a ce côté où effectivement le réel dépasse toujours la fiction. La citation la plus pertinente, qui revient souvent, c'est celle de Mark Twain : "La différence entre la fiction et le réel, c'est que la fiction doit être crédible". Il y a beaucoup de choses qui se passent dans la réalité qu'on n'oserait pas mettre dans une fiction parce qu'on se dit que c'est trop gros, ça ne peut pas se passer comme ça.

Est-ce que cette réalité vous aide, vous inspire, ou c'est plutôt un défi pour écrire de la fiction ?

C'est un défi et c'est se dire que le réel est toujours plus fort que la fiction. Il ne faut pas trop courir après. La fiction, c'est le réel avec un pas de côté, il faut le décaler, le densifier. Souvent, c'est le temps et l'espace qui sont comprimés par rapport au réel. Les faits réels sont souvent totalement hallucinants, donc on est souvent battu. En revanche, on peut dire qu'il y a une "feuilletonnisation" de la vie politique de la part des médias, mais aussi de la part de politiques eux-mêmes. Ça porte un nom en communication : le storytelling. Parfois, il n'est pas très bien fait. La notion de feuilleton, d'épisode, qu'on utilise pour parler de la vie politique réelle n'est pas toujours très juste. La notion de rebondissement, par exemple, ne me semble pas non plus tout à fait exacte pour qualifier ce qui nous arrive en ce moment. J'ai plutôt l'impression qu'il y a plein de scénarios possibles qui sont écrits sans qu'on nous les livre.

"On nous propose un premier Premier ministre, ça ne marche pas, un deuxième non plus, un troisième non plus. La situation patine un peu, donc en termes d'écriture ce n'est pas forcément génial."

François Pérache, comédien et auteur

à franceinfo

Vous n'auriez pas écrit cela comme ça ?

Sans doute pas, mais il y a plusieurs choses intéressantes. L'écriture consiste souvent à imaginer des scénarios possibles. Puis ce sont beaucoup de culs-de-sac : telle idée n'est pas très intéressante d'un point de vue dramaturgique, celle-ci non plus... On finit par choisir la meilleure. Là, on a un peu l'impression qu'on nous fournit, à la va-vite, dans des calendriers pas très anticipés, toutes les solutions les unes derrière les autres. Et il y en a aucune qui fait vraiment l'affaire. Ça, c'est la première dimension. Un autre aspect caractéristique et presque plus grave dans ce storytelling, c'est qu'en fiction, on essaie de ne pas confondre la complication et la complexité. Mais ce qu'on nous sert est un feuilleton très compliqué, avec plein de scénarios possibles. On est tous devenus plus ou moins des spécialistes du droit constitutionnel, avec le 49.3, le 49.1, le vote bloqué..., etc. Et on s'y perd complètement. Je pense que le spectateur-citoyen se lasse un peu de cette complication-là, alors que ce qu'il faudrait traiter, c'est la complexité de la situation, c'est-à-dire la crise de la représentation et la vraie crise du politique. On nous gave un peu d'épisodes, mais tout ça ne fait pas un fil rouge. 

Est-ce que vous avez un nouveau projet de fiction politique en tête ?

Je n'ai pas de projet là-dessus en cours, mais je n'ai jamais arrêté de travailler sur la prise de notes, ça peut être une citation par-ci, une situation par là. Je m'inspire aussi de ce qui se passe à l'étranger parce que ça permet de décaler les choses par rapport au réel. À un moment, une thématique peut émerger.

"La politique, c'est de la matière pour nous, les auteurs, mais la question c'est de ne pas rester sidéré. Avoir un coup d'avance, je ne sais pas, mais avoir un peu de recul sur toutes ces informations et les digérer."

François Pérache, comédien et auteur

à franceinfo

On n'est pas fait pour faire de la pédagogie ou expliquer des choses, mais les mettre en perspective et les problématiser. C'est intéressant, par exemple, de se plonger dans la complication du droit constitutionnel, ça crée de la matière. Mais ce qui nous intéresse, c'est ce que ça traduit derrière, les thématiques qui peuvent être politiques et/ou sociétales. Dans 57, rue de Varenne, notre matière est politique, mais c'est l'occasion de parler à chaque saison de choses différentes. Par exemple, une saison entière est consacrée à la place des femmes dans la politique et donc dans la société. Une autre porte sur la place des minorités racisées dans la politique et dans la société. Ça reste un prétexte et une arène pour traiter d'autres sujets. 

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