"Le but est d'éviter les canards boiteux" : comment le RN sélectionne ses futurs candidats en vue de prochaines législatives

Article rédigé par Laure Cometti
France Télévisions
Publié
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Marine Le Pen et Jordan Bardella, le tandem à la tête du Rassemblement national, lors d'une réunion à l'Assemblée, à Paris, le 14 septembre 2024. (LUDOVIC MARIN / AFP)
Marine Le Pen et Jordan Bardella, le tandem à la tête du Rassemblement national, lors d'une réunion à l'Assemblée, à Paris, le 14 septembre 2024. (LUDOVIC MARIN / AFP)

Le parti de Marine Le Pen et Jordan Bardella assure avoir tiré les leçons de sa campagne électorale de juin 2024, émaillée de polémiques. Le Rassemblement national a ainsi mis en place une commission d'investiture plus regardante sur les profils choisis.

L'été dernier, Aleksandar Nikolic a passé de longues heures à s'infliger des images pénibles. "J'ai regardé tous les débats de nos candidats aux législatives, sur France 3, sur France Bleu... Beaucoup ne connaissaient pas le programme. Pourtant, les questions étaient attendues", soupire l'eurodéputé du Rassemblement national. Un exercice un brin masochiste, mais indispensable pour "tirer des leçons", dit-il, après les erreurs du "plan Matignon", appliqué après la dissolution surprise de l'Assemblée nationale, le 9 juin 2024. Après trois semaines d'une campagne électorale express, les cadres du RN étaient tombés de haut en découvrant à 20 heures les résultats des législatives anticipées.

Le parti de Marine Le Pen et Jordan Bardella avait certes réussi à faire élire 124 députés, mais ce record historique avait un goût amer, très loin de la majorité absolue de 289 sièges. La faute au front républicain érigé face au risque de voir l'extrême droite arriver au pouvoir, mais aussi aux failles de nombreuses candidatures. Après avoir reconnu du bout des lèvres des défaillances, Jordan Bardella et ses troupes ont élaboré une nouvelle méthode de sélection et de formation des futurs candidats. Un "plan Matignon 2" dont la première phase d'investiture s'achève mardi 8 juillet, date à partir de laquelle Emmanuel Macron retrouve le droit de dissoudre l'Assemblée nationale.

Un an après les législatives anticipées, les langues se délient au sujet du "plan Matignon" que le Rassemblement national n'avait alors de cesse de vanter, se disant largement prêt. "Mine de rien, on a été pris de court à l'époque, et on a préféré se concentrer sur les circonscriptions gagnables", reconnaît aujourd'hui un député. Le QG avait beau avoir distribué les investitures dans les 577 circonscriptions, à partir du printemps 2023, il n'a pu que constater son manque de préparation.

"Ils doivent renseigner leur CV, écrire une lettre de motivation"

Bon nombre de candidats, parachutés dans cette campagne inédite, sans préparation, ont enchaîné les débats ratés ou les argumentaires de campagne maladroits. Certains s'en sont même émus auprès du Monde, estimant avoir été "jetés dans la fosse aux lions"De nombreux autres ont été épinglés pour des propos racistes ou antisémites, passés ou présents. Au siège, personne ne donne le même bilan chiffré de ces erreurs de casting : Jordan Bardella a évoqué "quatre ou cinq brebis galeuses", tandis qu'un cadre interrogé par franceinfo estime qu'il y a eu "une trentaine de cas" problématiques.

Pour corriger ces travers, le jeune patron du parti d'extrême droite a revu l'organigramme et le processus d'investiture. De jeunes élus ont été nommés, comme les députés Thomas Ménagé et Julien Odoul, à la tête de la commission d'investiture. "L'objectif qu'il nous a confié, c'est d'apprendre de nos erreurs", expose le parlementaire du Loiret. Alors le RN a décidé d'étoffer la commission d'investiture, passée de seize à vingt membres, et d'augmenter sa cadence, avec plusieurs réunions hebdomadaires depuis janvier.

Dans un premier temps, les aspirants candidats ont été invités à déposer leur demande d'investiture dans la section "législatives 2025" d'un site dédié. "Ils doivent renseigner leur CV, écrire une lettre de motivation, dire s'ils ont déjà des engagements associatifs et/ou militants, et envoyer une photo et une vidéo", détaille Thomas Ménagé en regardant un profil sur son smartphone. Dès l'étape de la photo, certains candidats semblent moins professionnels que d'autres, comme celui-ci qui a choisi un portrait de vacances avec sa compagne. Ces candidatures en ligne ne sont de toute façon qu'une première étape : plusieurs avis sont sollicités sur chaque profil, au siège et en fédération.

"Avant, le délégué départemental donnait un nom et ça suffisait."

Aleksandar Nikolic, membre de la commission d'investiture du RN

à franceinfo

"Maintenant, il y a plus d'intermédiaires, les délégués départementaux, régionaux, la délégation nationale et le président de groupe en région donnent leur avis sur chaque candidature", explique Aleksandar Nikolic, nommé délégué national chargé des fédérations. Les députés sortants sont eux aussi invités à faire remonter leurs éventuelles réserves ou, au contraire, leurs coups de cœur. "On est sollicités, le but est d'éviter les canards boiteux", appuie un parlementaire RN du nord de la France.

"Il y a toujours des choses qui vont nous échapper"

En cas de feu vert, les candidats sont ensuite auditionnés pendant 20 à 30 minutes par la commission d'investiture. Une étape qui avait fait cruellement défaut il y a un an. Le RN n'avait alors entendu que les candidats des circonscriptions jugées les plus gagnables, celles où Marine Le Pen avait dépassé les 40% de suffrages en 2022. Cette fois, il est hors de question de ne pas faire passer d'entretien aux aspirants députés.

"On voit leur niveau, on prend en compte leur itinéraire politique et leur implantation locale. On essaie de voir s'ils commettent des maladresses ou des erreurs sur notre programme."

Philippe Olivier, député européen du RN

à franceinfo

"On leur demande aussi s'ils ont envie de s'impliquer dans les municipales", ajoute ce membre de la commission d'investiture, le parti ayant décidé de lier les deux scrutins, à la fois pour tester les candidats aux législatives et pour pallier son manque d'ancrage local. En 2020, le RN n'avait empoché qu'une dizaine de villes.

Les réseaux sociaux sont également scrutés avec plus de vigilance : les candidats doivent accepter de donner accès à leurs comptes pour qu'un logiciel scanne leurs publications et traque les propos racistes ou antisémites. L'outil, doté d'intelligence artificielle, est piloté par une entreprise privée payée par le RN afin de gagner du temps et s'épargner quelques mauvaises surprises, mais pas toutes, anticipent les cadres. "On peut scanner ce qui est public, mais il y a toujours des choses qui vont nous échapper", affirme un conseiller de Jordan Bardella.

"La photo de notre candidate avec une casquette nazie, elle n'était pas en public sur les réseaux, c'est une ancienne amie qui l'a balancée à la presse."

Un conseiller de Jordan Bardella

à franceinfo

Mais l'exigence officiellement imposée aux futurs candidats ne s'applique pas toujours à certains députés déjà en place. Si le parti d'extrême droite se targue d'avoir exclu Daniel Grenon, député de l'Yonne, pour des déclarations racistes, sa collègue du Pas-de-Calais, Caroline Parmentier, proche de Marine Le Pen, n'a pas été sanctionnée pour ses écrits homophobes ou antisémites. Un deux poids, deux mesures qui brouille la ligne du RN, toujours en quête de dédiabolisation.

"C'est un processus qui valorise les bosseurs"

Le Rassemblement national revendique un peu plus de 400 hommes et femmes à avoir reçu une lettre de pré-investiture. Il ne reste qu'une vingtaine de circonscriptions à pourvoir, en particulier en outremer. Parmi les heureux élus, beaucoup de nouvelles têtes, près de la moitié des candidats non élus en 2024 n'ayant pas été reconduits.

"On favorise toujours l'ancrage local, mais il peut y avoir des parachutages."

Julien Odoul, député de l'Yonne

à franceinfo

"Et on a le souci de la parité, car beaucoup de nos députés sortants étant des hommes, on a un rattrapage à faire", poursuit Julien Odoul, le manque de parité dans l'hémicycle entraînant des pénalités financières. Quant à la centaine de députés RN sortants, leur sort sera tranché plus tard par la présidence du groupe parlementaire, mais le parti assure qu'ils devraient tous être reconduits. Sauf si certains sont empêchés, comme Julien Odoul, justement, et Marine Le Pen, tous deux condamnés fin mars à une peine d'inéligibilité, et dans l'attente d'une décision en appel, courant 2026.

Tous les candidats pré-investis demeurent toutefois en période probatoire : ils s'engagent à se former et à s'impliquer dans leur circonscription, sous peine de se voir retirer la promesse d'investiture. Le volet formation est chapeauté par Edwige Diaz, députée de Gironde. Plusieurs modules sont accessibles en ligne depuis avril, toujours sur le site dédié aux candidats : rôle du député, comptes de campagne, programme... Pratique pour les candidats, et le parti qui peut vérifier quelles vidéos ils ont visionnées, et la note obtenue au questionnaire, ainsi que le temps de réponse. Les apprentis candidats sont également invités à potasser un manuel interne de stratégie électorale. "C'est un processus qui valorise les bosseurs", souligne l'eurodéputée Julie Rechagneux, porte-parole du parti.

Depuis mai, l'équipe du "plan Matignon 2" se déplace aussi dans chaque région pour dispenser des formations plus poussées. Au programme : "des cours magistraux sur comment faire campagne et tenir ses comptes de candidat le matin et l'après-midi, on organise des ateliers de média training, en one-to-one", raconte Thomas Ménagé, à propos de ces séances individuelles visant à s'entraîner à répondre à la presse.

"Le but, c'est de les préparer à réagir aux coups. On leur demande : 'Vous êtes l'ami de Vladimir Poutine ?' L'idée, c'est aussi de les protéger s'ils ne sont pas faits pour ça."

Un cadre du Rassemblement national

à franceinfo

Durant une vingtaine de minutes, et devant une caméra, les prétendants sont ainsi testés sur leur capacité à réagir aux accusations d'antisémitisme ou de racisme, pour éviter les séquences médiatiques catastrophiques, comme celle d'une candidate en Mayenne évoquant son "ophtalmo juif" ou d'un candidat dans le Rhône brandissant sur un plateau télé une photo de son épouse noire. Pour quelques-uns, le test est fatal. "Certains sont bons en audition, mais s'effondrent en média training, disent des choses qui ne vont pas... Ils sont recalés", assure Aleksandar Nikolic. 

"On est prêts comme on ne l'a jamais été"

Un manque d'implication locale ou des propos jugés problématiques sur les réseaux sociaux peuvent aussi entraîner le retrait de la pré-investiture. Le Rassemblement national ne communique pas de chiffres, mais un conseiller évoque cinq à six personnes désinvesties depuis le début de l'année. Difficile d'en savoir plus, d'autant que dans l'attente d'une éventuelle dissolution, le parti d'extrême droite demande aux aspirants députés de rester incognito.

"On essaie de ne pas dire qui a été choisi, pour ne pas créer de tensions locales, car il y a parfois de la jalousie."

Un cadre du RN

à franceinfo

L'anonymat vise aussi à éviter les polémiques qui éclabousseraient le parti en cas de dérapages de candidats. "C'est un peu comme une période d'essai, ça permet d'éviter les dérapages, de vérifier l'assiduité aux formations pendant quelques mois. Etre député, ça change votre vie, il faut de la constance, du travail permanent", argumente Edwige Diaz. Fort de ce nouveau processus, le parti de Marine Le Pen s'affiche confiant et vise la majorité absolue lors du prochain renouvellement de l'Assemblée nationale. "On est prêts comme on ne l'a jamais été, ce qui a été fait est inédit", se targue Aleksandar Nikolic. Un leitmotiv qui fait fortement écho à celui de l'an passé.

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