Procès du financement libyen : des réquisitions extrêmement lourdes, sept ans de prison demandés contre Nicolas Sarkozy

Article rédigé par Violaine Jaussent
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Le procureur Sébastien de la Touanne en train de requérir devant le tribunal correctionnel de Paris, le 27 mars 2025, au procès des soupçons de financement libyen de la campagne présidentielle 2007 de Nicolas Sarkozy. (ELISABETH DE POURQUERY / FRANCEINFO)
Le procureur Sébastien de la Touanne en train de requérir devant le tribunal correctionnel de Paris, le 27 mars 2025, au procès des soupçons de financement libyen de la campagne présidentielle 2007 de Nicolas Sarkozy. (ELISABETH DE POURQUERY / FRANCEINFO)

Le Parquet national financier a qualifié l'ex-président de la République de "véritable décisionnaire et commanditaire" d'un "pacte de corruption" noué avec le dictateur libyen Mouammar Kadhafi pour financer sa campagne électorale de 2007.

"Une réponse ferme." Le Parquet national financier (PNF) a réclamé, jeudi 27 mars, sept ans d'emprisonnement, 300 000 euros d'amende et cinq ans d'inéligibilité à l'encontre de Nicolas Sarkozy, jugé depuis le 6 janvier devant le tribunal correctionnel de Paris dans l'affaire des soupçons de financement libyen de sa campagne présidentielle de 2007. Des réquisitions très lourdes et inédites, mais "à la hauteur de la gravité des faits", selon le PNF. Au cours de l'audience, "c'est un tableau très sombre de notre République qui s'est dessiné", a tonné l'un des procureurs jeudi, mettant en avant "la cupidité", "la soif de pouvoir" des hommes politiques renvoyés devant la justice.

Au terme d'un réquisitoire de deux jours et demi, les trois représentants du ministère public, Quentin Dandoy, Philippe Jaeglé et Sébastien de la Touanne, ont eu des mots durs à l'égard de Nicolas Sarkozy, qui "était tenu à un devoir d'exemplarité" en tant que président de la République, mais s'est lancé dans une "quête effrénée de financement", avec une "ambition politique dévorante".

Les procureurs ont considéré que "seules des peines d'emprisonnement et d'amende fermes" pouvaient "être prononcées pour assurer la protection de la société" et "restaurer l'équilibre social". Nicolas Sarkozy, qui "a contesté les faits dans leur intégralité", "ne semble pas prendre la mesure des faits qui lui sont reprochés", a déploré le procureur Sébastien de la Touanne. En plus de l'inéligibilité, le parquet a requis à son encontre l'interdiction d'exercer une fonction juridictionnelle, dans le cas où il envisagerait de siéger au Conseil constitutionnel.

Des "réquisitions vides", qui "sonnent creux"

Dès le début de leurs réquisitions implacables, ponctuées de quelques références politiques et de comparaisons qui ont parfois suscité des rires dans la salle, les trois magistrats du PNF avaient décrit l'ancien président de la République comme le "véritable décisionnaire et commanditaire" du "pacte de corruption", qualifié d'"inconcevable, inouï et indécent", noué avec le dictateur libyen Mouammar Kadhafi, afin de financer sa campagne électorale victorieuse. "Un pacte de corruption faustien avec l'un des dictateurs les plus infréquentables", a appuyé jeudi Sébastien de la Touanne. Le PNF a estimé que tous les délits pour lesquels l'ancien président de la République est jugé étaient constitués et a donc demandé au tribunal de le déclarer coupable de corruption, recel de détournement de fonds publics, association de malfaiteurs et financement illégal de campagne électorale.

Tout au long de l'audience, et même en marge, dans la presse, l'ancien président, aujourd'hui âgé de 70 ans, n'a cessé de clamer son innocence et balayé les accusations à son encontre, sous le regard de son épouse Carla Bruni-Sarkozy. Mardi et mercredi, il a écouté avec attention les réquisitions des trois procureurs, qui se sont évertués à faire preuve de pédagogie, en s'appuyant sur des documents projetés sur le grand écran de la salle d'audience. Il a pris des notes de temps à autre, sans pouvoir s'empêcher de bougonner, depuis le banc des prévenus.

L'ancien chef de l'Etat, qui risque jusqu'à dix ans de prison, a accueilli ces réquisitions de façon impassible, avant de s'éclipser et de laisser ses avocats s'exprimer. "Le parquet parle fort, ce n'est pas ça la justice. Ces réquisitions, elles sont vides, elles sonnent creux", a fustigé Christophe Ingrain. Le PNF "persiste" à "essayer" de "prouver ma culpabilité", a réagi au même moment Nicolas Sarkozy, dans un communiqué publié sur X, estimant que "la fausseté et la violence des accusations et l'outrance de la peine réclamée" ne visaient qu'à "masquer la faiblesse des charges alléguées". "Je continuerai donc à me battre pied à pied pour la vérité, et à croire dans la sagesse du tribunal."

Ziad Takieddine, "cheville ouvrière du pacte de corruption"

Avant de requérir les peines, le procureur a estimé que Nicolas Sarkozy n'avait pas "hésité à s'appuyer sur son collaborateur Claude Guéant et sur son ami Brice Hortefeux", pour "exécuter" le "pacte de corruption" noué fin 2005. Les deux hommes ont rencontré, hors de tout circuit officiel, l'ancien chef du renseignement militaire libyen Abdallah Senoussi. Or, cet homme, beau-frère de Mouammar Kadhafi, a été condamné en 1999 à la perpétuité par la justice française pour son rôle dans l'attentat contre le DC-10 de la compagnie UTA, dans lequel 54 Français sont morts et dont les familles se sont constituées partie civile dans ce procès.

A l'encontre de Claude Guéant, le parquet a requis une peine de six ans d'emprisonnement et 100 000 euros d'amende, et à l'encontre de Brice Hortefeux une peine de trois ans de prison et 150 000 euros d'amende. Pendant l'audience, les deux anciens ministres ont mis en avant leur naïveté et leur candeur, répétant avoir été piégés par l'intermédiaire Ziad Takieddine, présent lors de ces deux rencontres. Contre le Franco-Libanais, en fuite au Liban et jugé en son absence, le PNF a requis six ans d'emprisonnement et une amende de 3 millions d'euros, ainsi que le maintien de son mandat d'arrêt.

Qualifié jeudi de "cheville ouvrière du pacte de corruption", Ziad Takieddine est également, d'après le parquet, "un agent de corruption en capacité de porter des valises", qui contenaient des "sommes en liquide" destinées à "être remises précisément à un homme, Claude Guéant". Quant à Thierry Gaubert, ex-collaborateur de Nicolas Sarkozy, le ministère public a considéré qu'il "a participé, lui aussi à l'exécution du pacte de corruption". A son encontre, il a requis une peine de trois ans de prison et 150 000 euros d'amende.

Des condamnations réclamées pour tous les prévenus

"L'argent libyen a été utilisé par Claude Guéant, remis à Eric Woerth et utilisé pour les besoins de la campagne électorale de Nicolas Sarkozy", a estimé le PNF. Bien que le parquet ait reconnu "l'impossibilité pour la justice de reconstituer des flux financiers illicites", il a demandé au tribunal de condamner Ziad Takieddine, Claude Guéant et l'ancien trésorier Eric Woerth pour complicité de financement illégal de campagne électorale. A l'encontre de cet "homme rompu aux enjeux d'une campagne électorale", qui "a manqué aux obligations de transparence", il a réclamé une peine d'un an d'emprisonnement et 3 750 euros d'amende.

Parmi les prévenus dont le PNF est convaincu de la culpabilité, figure aussi l'intermédiaire sulfureux Alexandre Djouhri. Il a notamment expliqué à la barre comment il a contribué à orchestrer en 2012 le départ précipité de Paris de Béchir Saleh, ancien directeur de cabinet de Mouammar Kadhafi et "seul dignitaire libyen de premier rang à trouver refuge en France". Une "exfiltration" d'un "témoin potentiel", "organisée par les proches de Nicolas Sarkozy dans son intérêt", qui "renforce la réalité de ce pacte de corruption", a estimé le ministère public. A l'encontre de Béchir Saleh, toujours en fuite, le PNF a réclamé six ans de prison et 4 millions d'euros d'amende, avec un mandat d'arrêt.

Enfin, contre les quatre derniers prévenus, deux hommes d'affaires saoudiens, un banquier franco-djiboutien et un ex-cadre d'Airbus, le parquet a requis des peines allant de quatre ans de prison ferme à deux ans dont un an avec sursis, avec des amendes qui vont de 4 millions à 375 000 euros.

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