Russie : "Il n'y a pas de rejet de la guerre et du pouvoir, c’est exactement le contraire", analyse un sociologue russe
Le dernier institut de sondage indépendant de Russie mesure le sentiment des Russes vis à vis de "l'opération spéciale" en Ukraine, menée depuis bientôt un an. Lev Goudkov explique comment la propagande a permis de consolider le soutien de la population au pouvoir.
Pour le sociologue russe Lev Goudkov, la propagande articulée autour de l’idée d’une "Russie assiégée" permet au pouvoir de bénéficier d’un large soutien de la population, dans le contexte de la guerre en Ukraine. La censure et l’absence de volonté de s’informer y contribueraient également. Lev Goudkov est l’un des meilleurs experts de l’opinion publique en Russie. À 76 ans, ce sociologue est le directeur scientifique du Centre Levada. Classé "agent de l’étranger" par le pouvoir, le dernier institut de sondage indépendant en Russie continue néanmoins de produire des études sur la société russe.
franceinfo : Le dernier sondage que vous publiez montre que près de 75% des Russes soutiennent le pouvoir et la guerre en Ukraine. Cette proportion n’a quasiment pas changé depuis le début du conflit. Comment expliquer un tel niveau d’approbation ?
Lev Goudkov : Il faut bien comprendre qu’actuellement en Russie, une propagande très démagogique et agressive a été mise en œuvre. Combinée avec une censure presque totale, cela contribue à figer les positionnements. Le seul changement est que, de mois en mois, il devient de plus en plus évident que la guerre va s’éterniser. Aujourd'hui, la plupart des gens pensent que cela durera encore un an ou même plus. Le soutien à la fois à la politique de Poutine et à la guerre en Ukraine est surtout très fort chez les personnes de plus de 50 ans. C’est particulièrement vrai chez les gens pauvres, démunis, peu éduqués et dépendants de l'État. C'est le public-type de la télévision, et, d’ailleurs, dans nos études, ils répètent ce qui se dit à la télévision. Le sentiment anti-guerre est plus répandu chez les jeunes – même s’il n’est pas majoritaire – 38% ne l'approuvent pas. Mais c’est seulement 9% chez les retraités.
Ces strates de la population sont donc les plus sensibles aux arguments de la propagande d’État ?
La propagande ne crée pas de nouvelles perceptions. Son efficacité est liée au fait qu'elle prend ses racines dans des notions qui se sont formées il y a très longtemps. À l'époque de Staline parfois. Par exemple, la justification de l'invasion de l’Ukraine est construite exactement de la même manière que la justification de la guerre avec la Finlande en 1939. La menace venant de la petite Finlande exigeait d’assurer la sécurité du pays et, par voie de conséquence, de repousser la frontière. On entend les mêmes choses : "le pays est dans un environnement hostile", "le pays est une forteresse assiégée", "cette éternelle russophobie de l'Ouest envers la Russie"… Par conséquent, il est aujourd'hui très difficile de parler d'une quelconque compréhension des objectifs de cette guerre dans la conscience de masse. Les motifs de "dénazification" ou de démilitarisation de l'Ukraine sont passés à l'arrière-plan. Le motif principal aujourd’hui est la guerre contre l'Occident collectif, la menace de l'Occident, de l'Otan, des États-Unis et d'autres.
Ces notions consolident le soutien de la population envers le pouvoir ?
Oui. C’est ce qui me frappe le plus. Je pensais que la réaction à la guerre serait beaucoup plus négative. Au moins par souci d’auto-préservation dans un contexte d’inflation, de baisse des revenus réels, de peur du chômage et alors que certaines pénuries apparaissent. La détérioration de la situation matérielle des Russes était censée créer une réaction de rejet de la guerre et du pouvoir. Or, c’est exactement le contraire qui se produit.
>> A lire aussi : "Nous sommes fiers de notre armée" : la population russe soutient-elle vraiment la guerre en Ukraine ?
Les mécanismes internes d'accord conformiste avec les autorités fonctionnent même indépendamment de la propagande, simplement pour soulager l'inconfort psychologique que représente la situation. 270 médias, parmi les plus populaires, ont été bloqués. Et même s’il est possible de contourner ces blocages grâce aux VPN [réseaux privés virtuels, qui "anonymisent" les connexions], la grande majorité des gens ne le font pas et ne le veulent pas. Ils essaient de rester dans un positionnement psychologiquement confortable du type : "je ne sais rien, ne me dites pas de choses désagréables". On peut dire que c’est une forme de protection. Une distanciation par rapport aux événements. Il y a clairement chez ces personnes une incapacité à évaluer les choses d’un point de vue moral, une absence d’empathie pour les Ukrainiens, et cela s’exprime par ce refus de toute interprétation alternative des événements.
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