Sommet sur l'intelligence artificielle : on vous présente l'IA "frugale" qui vise à limiter son impact environnemental

Article rédigé par Louis San
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Le concept d'IA dite "frugale" ambitionne de produire une technologie plus durable pour la planète. (HELOISE KROB / FRANCEINFO)
Le concept d'IA dite "frugale" ambitionne de produire une technologie plus durable pour la planète. (HELOISE KROB / FRANCEINFO)

Face à une technologie très énergivore, la France entend se positionner en pionnière d'une IA raisonnée et attentive à l'utilisation des ressources et des émissions de gaz à effet de serre.

Un appel à la sobriété dans un univers pas encore régulé. La France va accueillir les 10 et 11 février un sommet international pour l'Action sur l'intelligence artificielle. Lors de cet événement organisé au Grand Palais, Paris compte défendre, selon l'Elysée, la notion d'IA "frugale". Un concept qui vise à réduire l'empreinte environnementale de l'IA. Car cette technologie repose sur des infrastructures matérielles réclamant d'importantes ressources naturelles.

Selon une étude de l'Agence internationale de l'énergie (AIE) publiée en 2024, la consommation électrique des centres de données pourrait doubler d'ici à 2026, dépassant 1 000 TWh, soit l'équivalent de ce que consomme le Japon en un an. Toujours selon l'AIE, une requête à ChatGPT consomme 10 fois plus d'électricité par rapport à une recherche avec Google.

Pour l'instant, l'IA ne représente qu'une part infirme (0,03 %) de la consommation électrique mondiale, poursuit l'AIE. Mais les spécialistes s'attendent à ce que la consommation électrique directement liée à l'utilisation de l'IA explose avec la massification des usages de l'IA générative (comme ChatGPT) qui produit des contenus. L'IA classique, elle, est moins énergivore.

Une approche raisonnée et durable

Mais les centres de données ne consomment pas que de l'électricité : ils sont également gourmands en eau, qui sert à les refroidir. D'après une estimation de chercheurs de l'université de Californie, poser 25 questions à ChatGPT coûte un demi-litre d'eau douce et selon Sam Altman, le patron d'Open AI, cité par le site The Verge, quelque 300 millions de personnes utilisent le service chaque semaine.

En travaillant sur l'IA, les géants de la tech ont aussi vu leurs émissions de gaz à effet de serre augmenter. Pour Google, la hausse est de 13% entre 2022 et 2023 et de 48% en cinq ans. Pour Microsoft, l'augmentation s'élève à 40% en quatre ans.

Face à l'importante empreinte environnementale de l'IA et à l'anticipation d'une nette hausse de son utilisation, l'IA dite "frugale" se présente donc comme une approche raisonnée et durable. Le CNRS définit la frugalité comme une utilisation des ressources réduite au maximum, le but étant de rendre le recours à l'IA soutenable pour la planète.

Utiliser l'IA avec "parcimonie"

Pour Juliette Fropier, cheffe de projet IA frugale au ministère de la Transition écologique, interrogée en octobre 2024 lors d'une table ronde, la démarche consiste d'abord à interroger la nécessité de recourir ou non à l'IA au sein d'entreprises privées, d'organismes publics, de collectivités locales, voire chez les particuliers. Pour Denis Trystram, professeur à l'Institut polytechnique de Grenoble, cette utilisation avec "parcimonie" est pour l'instant absente de la réflexion.

"On est dans un imaginaire de la tech, où on alimente cette pompe complètement déraisonnable de mettre de l'IA partout !"

Denis Trystram, chercheur en informatique

à franceinfo

Ensuite, si le recours à l'intelligence artificielle semble nécessaire, il convient de trouver la solution la plus adaptée à l'utilisation finale. Privilégier "le modèle le plus simple, qui nécessite le moins d'énergie possible", complète Juliette Fropier. "L'IA classique consomme très peu maintenant" alors que "l'IA générative a impact très fort", souligne-t-elle.

"La frugalité, c'est réfléchir : 'Est-ce que tu as fait au minimum ? Est-ce tu as consommé moins et beaucoup mieux ?'"

Juliette Fropier, cheffe de projet au ministère de la Transition écologique

lors d'une table ronde

D'un point de vue plus technique, Denis Trystram explique qu'il est aussi possible d'économiser de l'énergie en utilisant moins de données liées à l'IA. Il mentionne ainsi des modèles "compressés", c'est-à-dire où les paramètres des IA occupent moins de mémoire. Un modèle qui prend 45 Mo pourrait être compressé à seulement 6 Mo, avec un résultat final presque équivalent, selon lui. "La recherche en cours tend à montrer qu'il est possible d'avoir une compression considérable, pour une perte de précision minime", écrit-il avec deux autres chercheurs dans le livre Le Calcul à découvert.

Un concept défendu par la France

En retard dans le domaine de l'IA générative, la France essaye d'être à la pointe de l'intelligence artificielle "frugale". Une douzaine de "démonstrateurs d'IA 'frugale' des territoires" ont ainsi été mis en avant dans le but d'accompagner localement la transition écologique. Avec le projet IA.rbre, à Lyon (Rhône), par exemple, il s'agit de miser sur l'IA "frugale" pour détecter les zones "plantables" afin de créer des zones rafraîchissantes en été.

Un groupe de travail dédié à l'IA "frugale" a aussi été lancé en janvier 2024. Autour de la table : l'Ecolab du commissariat général au développement durable, des entreprises, des scientifiques des administrations ou encore l'Afnor, l'Association française de normalisation. Les travaux ont abouti à la publication, en juin 2024, du "référentiel général pour l'IA frugale""La France a été le premier pays au monde à faire cette publication officielle sur ce sujet très complexe", se félicite Thomas Cottinet, directeur de l'Ecolab, dans une vidéo sur YouTube.

Le texte n'a rien de contraignant, mais il permet aux acteurs du numérique de disposer d'"un cadre de référence reconnu et partagé" pour échanger sur l'IA "frugale", avance le ministère de la Transition écologique. Le directeur de l'Ecolab déclare que cette "réussite" a permis de rapidement porter le sujet à l'échelle européenne. Il évoque un accueil "très favorable" du comité européen de normalisation, mentionnant en toile de fond l'adoption par l'Union européenne, en mai 2024, d'une loi pour réguler le secteur, applicable pour l'essentiel à partir de 2026.

Avant cette échéance, Thomas Cottinet espère que le sommet international organisé en France accélérera la réflexion sur l'IA "frugale". L'objectif est de "mettre en place une coalition internationale de l'IA durable qui sera outillée pour donner une vie, faire prospérer l'ensemble des objectifs qui seront validés en matière d'IA pour l'environnement lors du sommet".

Lancez la conversation

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour commenter.