"Il faut intervenir le plus rapidement possible" : après le meurtre de Louise, un psychiatre explique comment les cellules psychologiques travaillent
Pour tenter d'apaiser les angoisses des parents et de leurs enfants, deux cellules d'urgence ont été mises en place à Epinay-sur-Orge. L'une coordonnée par le Samu, l'autre sous tutelle du rectorat. Le psychiatre référent, Thierry François, nous explique leur rôle.
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Le meurtre de Louise, 11 ans, a plongé tout un quartier dans l'effroi. La plupart des parents d'élèves du collège André-Maurois d'Epinay-sur-Orge, dans l'Essonne, tiennent désormais à faire le trajet avec leurs enfants, inquiets après la découverte du corps supplicié de l'enfant il y a cinq jours, dans un bois situé à quelques mètres de là. Considéré comme le principal suspect, un homme de 23 ans a reconnu avoir tué Louise, mercredi 12 février.
Pour tenter de calmer l'angoisse des adultes et des plus jeunes, une cellule d'urgence médico-psychologique (Cump), coordonnée par le Samu, a été installée dans la mairie d'Epinay-sur-Orge dès ce week-end. Une cellule d'écoute gérée par le rectorat et spécialement dédiée au personnel et aux élèves a également été ouverte au sein du collège. Quelles sont les spécificités de ces deux dispositifs ? Et comment travaillent leurs intervenants sur un événement aussi sensible et choquant ? Franceinfo a interrogé Thierry François, psychiatre référent de la Cump du Doubs.
franceinfo : Dans quels cas déclenche-t-on une cellule psychologique ?
Thierry François : Il y a deux types de cellules susceptibles d'intervenir en milieu scolaire. Celle dont on entend le plus souvent parler, c'est la cellule d'urgence médico-psychologique : on en compte une par département et elle est déclenchée par le médecin régulateur du Samu. La toute première a été mise en place en 1995, au moment de l'attentat du RER B à Saint-Michel, à Paris. Chaque Cump est composée de différents professionnels, volontaires pour en faire partie : des psychiatres, des psychologues, des infirmiers, mais aussi des assistantes sociales, des ambulanciers et des assistants de régulation médicale. La majorité sont salariés d'établissements de santé et interviennent sur leur temps de travail.
L'autre dispositif, c'est la cellule d'écoute du rectorat, mobilisable dans tous les départements français. C'est un dispositif propre à l'Education nationale, dans lequel interviennent des psychologues et infirmières scolaires et parfois des enseignants ou des chefs d'établissement qui ont une fibre pour l'écoute et l'accompagnement psychologique.
En l'occurrence, les deux types de cellules ont été mobilisées après le meurtre de Louise. Pouvez-vous expliquer comment travaille la Cump, dont vous connaissez bien le fonctionnement ?
Le médecin régulateur du Samu décide de la mobiliser sur la base d'informations qui lui remontent des équipes sur le lieu d'un événement potentiellement traumatisant. Fort heureusement, on n'a pas tous les jours des attentats en France ou l'explosion d'une usine AZF. Les interventions les plus fréquentes sont les accidents de la circulation avec des blessés graves ou des décès et la découverte d'une personne qui s'est suicidée par la famille ou un collègue. On a également un certain nombre d'accidents graves du travail, dans le BTP par exemple, ou la manutention. On est mobilisés à partir du moment où le nombre de personnes impliquées – et donc potentiellement traumatisées – est supérieur ou égal à cinq.
Il faut intervenir le plus rapidement possible pour tenter de soulager les effets immédiats du stress auquel les personnes sont exposées. L'objectif est d'essayer de prévenir la survenue de troubles plus importants et plus chroniques : on essaye de limiter le stress post-traumatique. On tente de repérer les personnes qui pourraient être amenées à développer ces troubles, en leur proposant un accompagnement de plus long terme. Le fait d'être en contact dès le départ avec des professionnels de la santé mentale fait qu'ils auront moins de difficultés à consulter par la suite.
Quel type d'accompagnement est proposé aux élèves du collège de Louise ?
On part du principe qu'on n'a pas affaire à des personnes directement impliquées : ils n'ont pas assisté au meurtre, mais ça ne veut pas dire qu'ils ne sont pas touchés ou affectés. Dans ce type d'intervention, les équipes mobilisées mettent systématiquement en place des groupes de parole, en réunissant les élèves par degré d'implication. Les intervenants ont sans doute rassemblé les amis proches de Louise dans un groupe, les camarades de sa classe dans un autre, et ses enseignants doivent également être pris en charge dans un groupe spécifique.
L'objectif est de faciliter la parole et les échanges, pour que chacun se sente libre de verbaliser ses questionnements. Et le gros du travail est d'aider les jeunes à gérer les choses sur le plan émotionnel. L'avantage de pouvoir laisser libre cours à ses émotions dans un groupe de parole, c'est qu'il y a une normalisation de celles-ci : le jeune voit que d'autres ressentent les mêmes choses. Il n'a pas honte et sait qu'il n'est pas anormal pour lui de vivre les choses de cette manière-là.
Est-ce qu'on s'adresse de la même manière à des mineurs qu'à des adultes ?
On s'adapte à leur âge, on n'intervient évidemment pas de la même façon dans une école maternelle, une école primaire ou au collège-lycée. Avant l'âge de 6 ans, les enfants n'ont pas acquis le caractère irréversible de la mort : ils se disent que les personnes peuvent revenir. Au collège, c'est clairement compris, donc on va leur parler à peu près comme à des adultes, mais en s'adaptant en fonction de leur maturité psychique et affective.
On va également prévoir un temps de discussion sur la manière d'honorer la mémoire de la personne décédée. Ça peut être un mur de témoignages, de photos... Il faut ensuite se demander combien de temps on va laisser ce témoignage et ce qu'il va devenir quand on va l'enlever, pour ne pas que les adolescents concernés trouvent le retrait trop brutal.
Abordez-vous les éléments de l'enquête en cours et que leur conseillez-vous vis-à-vis des médias qui les sollicitent ?
On essaye d'avoir le maximum d'informations fiables sur l'enquête, car dans les faits divers comme le meurtre de Louise, on sait qu'il y a beaucoup de rumeurs, notamment tant que le coupable n'est pas identifié. C'est aussi l'intérêt des groupes de parole : fournir des informations validées et essayer de couper court aux fakes news. On met particulièrement en garde les adolescents sur ce qui peut être colporté sur les réseaux sociaux.
On leur conseille par ailleurs fortement de ne pas témoigner dans les médias. Leur tristesse donne du crédit à la gravité de l'événement, mais pour le jeune, il n'y a aucun bénéfice à se confier à la presse. Notamment parce qu'il s'expose, au risque de regretter d'avoir laissé libre cours à sa décharge émotionnelle devant une caméra. Je ne dis pas que seuls les professionnels de santé mentale sont habilités à accueillir les émotions d'un adolescent. Les meilleurs pour ça restent les parents, et parfois les pairs, c'est-à-dire les autres amis du même âge. Mais il faut qu'il y ait ce contenant : il ne faut pas se confier émotionnellement à n'importe qui, surtout à quelqu'un qu'on ne connaît pas.
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