Affaire du petit Grégory : pourquoi Jacqueline Jacob, la grand-tante de l'enfant, risque une nouvelle mise en examen

Cette femme de 80 ans avait déjà été mise en examen pour "enlèvement et séquestration suivie de mort", avec son époux Marcel, en 2017. Mais les poursuites les visant avaient été annulées pour vice de forme.

Article rédigé par Juliette Campion
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
Jacqueline Jacob, le 28 janvier 2021, à Epinal (Vosges). (JEROME HUMBRECHT / L'EST REPUBLICAIN / MAXPPP)
Jacqueline Jacob, le 28 janvier 2021, à Epinal (Vosges). (JEROME HUMBRECHT / L'EST REPUBLICAIN / MAXPPP)

Plus de quarante ans après le meurtre du petit Grégory Villemin, l'affaire emblématique connaît un nouveau rebondissement : la justice a ordonné, mercredi 18 juin, un nouvel interrogatoire de la grand-tante de l'enfant, retrouvé pieds et poings liés dans les eaux glacées de la Vologne (Vosges), le 16 octobre 1984. Jacqueline Jacob, 80 ans, sera convoquée en vue d'une possible mise en examen pour "association de malfaiteurs criminelle", a annoncé le procureur général près la cour d'appel de Dijon (Côte-d'Or), Philippe Astruc, dans un communiqué. L'octogénaire est notamment soupçonnée d'avoir rédigé des lettres de menaces reçues par les parents de Grégory, Jean-Marie et Christine Villemin, avant l'assassinat de leur petit garçon.

Pour eux "qui veulent depuis tant d'années la vérité sur l'assassinat de leur enfant, c'est une journée importante", a déclaré leur avocat François Saint-Pierre, contacté par France Inter. C'est la preuve, estime-t-il, que la justice souhaite "faire toute la lumière sur ce crime atroce". Franceinfo fait le point sur les principaux rebondissements de l'enquête et sur ce que la justice reproche aujourd'hui à Jacqueline Jacob, qui avait déjà été inquiétée en 2017 dans cette affaire.

Un déchaînement médiatique 

Pour comprendre cette avancée judiciaire, il faut revenir sur les grandes lignes de ce dossier extrêmement médiatisé, aux nombreuses péripéties. Quand le corps du petit Grégory Villemin est retrouvé à l'automne 1984 à sept kilomètres de son domicile, dans la rivière Vologne, les gendarmes penchent d'emblée pour un règlement de compte familial. En effet, depuis plusieurs années, la famille Villemin est harcelée par un corbeau via des lettres et des appels anonymes.

Le mystérieux messager revendique même l'assassinat du petit garçon, dans un courrier reçu par ses parents le lendemain de la découverte du corps supplicié de leur enfant : "Voilà ma vengeance, pauvre con", clame le corbeau. 

C'est d'abord Bernard Laroche, le cousin de Jean-Marie Villemin, le père de l'enfant, qui est écroué le 5 novembre 1984. L'homme est directement mis en cause par sa belle-sœur, Murielle Bolle, alors âgée de 15 ans, qui assure aux enquêteurs l'avoir vu charger un enfant dans sa voiture, le jour du meurtre. Elle se rétracte ensuite en garde à vue, sous la pression, semble-t-il, de ses proches. Bernard Laroche est finalement remis en liberté en février 1985. 

En mars la même année, Jean-Marie Villemin, persuadé de sa culpabilité, abat Bernard Laroche d'un coup de fusil : le père du petit Grégory sera condamné en 1993 à cinq ans de prison, dont un avec sursis. A l'été 1985, son épouse Christine Villemin, la mère de l'enfant, est suspectée à son tour et emprisonnée onze jours : les médias se déchaînent et dressent d'elle un portrait au vitriol. Elle sera rapidement mise hors de cause, puis définitivement blanchie par un arrêt emblématique de la cour d'appel de Dijon de 1993, soulignant l'"absence totale de charges" à son encontre. En juin 2004, l'Etat a été condamné à verser 35 000 euros à chaque parent de l'enfant pour dysfonctionnement de la justice.

Une première mise en examen de Jacqueline Jacob en 2017

Dans les années qui suivent, le couple Villemin se bat pour obtenir une réouverture de l'enquête, demande à laquelle accède la cour d'appel de Dijon en décembre 2008. Jusqu'au coup de théâtre du 16 juin 2017 : l'affaire qui passionne la France est relancée par une nouvelle expertise en graphologie menée sur les lettres du corbeau, qui pointe cette fois vers Jacqueline Jacob, l'épouse de Marcel Jacob, le frère de la grand-mère de Grégory Villemin. Elle est alors suspectée d'être l'autrice de deux lettres anonymes menaçantes, adressées en 1983 aux parents de l'enfant.

A l'aide du logiciel Anacrim, qui permet de brasser de quantités gigantesques de données et d'identifier des pistes inexplorées, les enquêteurs pointent également du doigt des incohérences dans l'emploi du temps de Jacqueline et Marcel Jacob. Mais l'avocat du couple, Stéphane Giuranna, alors interrogé sur franceinfo, assure que ses clients possèdent un solide alibi, puisqu'ils étaient tous les deux au travail au moment du crime. 

Lors de son audition face aux gendarmes, Jacqueline Jacob choisit de garder le silence, tandis que son mari soutient ne se souvenir de rien. Le couple est alors mis en examen pour "enlèvement et séquestration suivie de mort" et incarcéré durant quatre jours, avant d'être relâché sous contrôle judiciaire.

Près d'un an plus tard, en mai 2018, nouveau rebondissement : les mises en examen des époux Jacob sont annulées pour des raisons de procédure. "Nous n'avons rien à voir dans la mort du petit Grégory", clament-ils en janvier 2021 dans les colonnes de L'Est Républicain et Vosges Matin, alors que la justice vient d'accepter "la quasi-totalité" des demandes de nouvelles expertises génétiques formulées par les parents du petit garçon. 

La cour d'appel de Dijon identifie des éléments à charge

Le 20 mars 2024, cette même cour d'appel ordonne de nouvelles expertises complémentaires en matière d'ADN et de reconnaissance vocale pour tirer parti des progrès de la science. Il s'agit de la sixième campagne d'analyses après celles de 2000, 2008, 2010, 2012 et 2021.

A l'aune de ces nouvelles conclusions, la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Dijon a listé début 2025 tous les "éléments qui concernent Jacqueline Jacob", a rapporté le procureur général mercredi. Dans son arrêt, que franceinfo a pu consulter, Dominique Brault, le président de la chambre de l'instruction, a exclu le motif d'"enlèvement et séquestration" à l'encontre de Jacqueline Jacob, et envisage de la mettre en examen pour "association de malfaiteurs criminelle", une qualification plus large.

Pour motiver cette éventualité, il se base notamment sur les conclusions des nouvelles expertises menées depuis 2024 sur les lettres de menaces et appels anonymes reçus par la famille Villemin.

"[Les analyses menées soutiennent] très fortement l'hypothèse que Jacqueline Jacob a préparé la revendication anonyme du crime par appel téléphonique et a rédigé la revendication anonyme du crime par courrier."

La chambre d'instruction de la cour d'appel de Dijon

dans son arrêt

L'arrêt se réfère également aux déclarations du frère aîné de Marcel Jacob, également beau-frère de Jacqueline, interrogé dans un documentaire diffusé sur TF1. René Jacob avait identifié la voix du corbeau comme étant celle de sa belle-sœur, Jacqueline. "C'est son rire que j'ai reconnu surtout", a-t-il réitéré face aux gendarmes, qui l'ont interrogé par la suite sur ce même enregistrement. 

L'emploi du temps de Jacqueline Jacob concorde également avec "la quasi-totalité des appels" passés par le corbeau, soutient l'arrêt. L'octogénaire a pu contacter les parents du petit Grégory depuis "son domicile en dehors de ses heures de travail, pendant des arrêts maladie ou pendant des heures de délégation syndicale ou encore sur son lieu de travail, en s'absentant temporairement de la chaîne sur laquelle elle se trouvait affectée", est-il détaillé.

Pour autant, si ces éléments "interrogent légitimement" sur le rôle de Jacqueline Jacob, le parquet général estime qu'ils "ne suffisent pas" à la poursuivre pénalement. Mais après une audience le 9 avril, la chambre de l'instruction a rendu mercredi un arrêt contraire : elle demande de "procéder à l'interrogatoire" de la suspecte. 

Pas de date fixée pour l'interrogatoire  

Interrogé par franceinfo, François Saint-Pierre, avocat des parents du petit Grégory, estime que cet arrêt est "très motivé, très documenté". "Il y a quand même, considère-t-il, de nombreux éléments à charge, des indices contre madame Jacob sur lesquels, à tout le moins, elle devrait s'expliquer"

De son côté, Jacqueline Jacob "réaffirme sa totale innocence", dans un communiqué transmis par ses avocats, Stéphane Giuranna, Frédéric Berna et Alexandre Bouthier. Tous trois se rallient à la position du parquet général, estimant "qu'aucun élément n'est de nature à constituer des indices graves ou concordants" concernant l'implication de leur cliente. 

En outre, ils "s'étonnent de la qualification de mise en examen envisagée". L'association de malfaiteurs criminelle ne figurait pas dans le code pénal au moment du meurtre du petit Grégory : ce chef d'accusation avait été aboli en 1983 avant d'être réintroduit en 1986. "Il ne peut y avoir ni infraction ni peine sans qu'un texte ne les prévoie", soulignent les trois avocats. A ce jour, aucune date n'a été fixée concernant l'audition de Jacqueline Jacob, qui "ne devrait pas intervenir avant quelques mois", a souligné le procureur de Dijon mercredi. Le dénouement de cette affaire semble encore loin d'être acquis. 

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