Contestation de la loi Duplomb : on vous présente l'acétamipride, un insecticide qualifié de "tueur d'abeilles", interdit en France mais autorisé en Europe

Article rédigé par franceinfo avec AFP
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Publié Mis à jour
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Un producteur français récolte des noisettes, le 23 septembre 2014. (GODONG / UNIVERSAL IMAGES GROUP EDITORIAL / GETTY IMAGES)
Un producteur français récolte des noisettes, le 23 septembre 2014. (GODONG / UNIVERSAL IMAGES GROUP EDITORIAL / GETTY IMAGES)

La réintroduction dérogatoire de cet insecticide de la famille des néonicotinoïdes est au cœur de la polémique autour de la loi Duplomb, votée le 8 juillet.

Cet article a été publié une première fois fin mai, lorsque la proposition de loi arrivait à l'Assemblée nationale. Nous le republions, mis à jour, lundi 21 juillet, alors que la loi Duplomb, adoptée définitivement par le Parlement, fait l'objet d'une pétition qui a dépassé le million de signatures, ce qui peut permettre un débat sans vote à l'Assemblée nationale.


Adoptée le 8 juillet, la loi agricole dite "Duplomb" reste contestée par une partie de la population. Une pétition demandant de revenir sur le texte avait obtenu 1,3 million de signatures à la date du lundi 21 juillet. Ce succès ouvre la voie à un nouveau débat, sans vote, par les députés. Le texte doit par ailleurs être étudié par le Conseil constitutionnel.

La mesure la plus décriée du texte est la réintroduction dérogatoire de l'acétamipride, insecticide de la famille des néonicotinoïdes. Quelle est son utilisation actuelle ? Que dit la science sur ses dangers ? Franceinfo résume quatre choses à savoir sur ce pesticide.

Un insecticide néonicotinoïde dont la réintroduction est réclamée par certains producteurs

Les néonicotinoïdes sont "des substances insecticides qui peuvent être notamment utilisées dans des produits en agriculture", explique l'Anses. L'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail précise "qu'elles se diffusent dans toute la plante pour la protéger des ravageurs". Il existe cinq substances utilisées en agriculture. L'acétamipride est l'une d'elles. 

Son retour est particulièrement réclamé par les producteurs de betteraves sucrières et de noisettes, qui affirment n'avoir aucune autre solution pour protéger efficacement leurs productions. C'est cette dernière culture que le rapport accompagnant le projet de loi de Laurent Duplomb a voulu mettre en avant. "L'exemple le plus emblématique et le plus dramatique est sans aucun doute celui de la noisette (…). L'association nationale des producteurs de noisettes, reçue en audition par le rapporteur, a fait état d'un effondrement progressif de la production viable de noisettes à la suite de l'interdiction en France de l'acétamipride, dont l'efficacité sur les deux ravageurs, la punaise diabolique et le balanin de la noisette, serait de l'ordre de 95%", peut-on lire.

Une substance interdite en France, autorisée en Europe

Comme les autres néonicotinoïdes, l'usage agricole de l'acétamipride est interdit en France depuis 2018 et la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages. Son utilisation a toutefois fait l'objet de dérogations jusqu'au 1er juillet 2020 pour la lutte contre le balanin de la noisette, les mouches du figuier et les pucerons du navet. A l'échelle européenne, cet insecticide reste autorisé jusqu'en 2033. Le produit est ainsi "utilisé chez les producteurs italiens et turcs, qui exportent leurs récoltes en France", cite pour exemple Libération

Soutenant la réintroduction de l'acétamipride, la FNSEA et la Coordination rurale dénoncent une "concurrence déloyale" avec les autres producteurs européens et une "porte ouverte aux importations". De son côté, l'ONG Générations futures a appelé à "son interdiction pure et simple pour tous les usages en Europe".

Un usage décrié pour ses effets sur les abeilles et l'environnement

Le retour des néonicotinoïdes est, en revanche, décrié par les apiculteurs, les défenseurs de l'environnement et la Confédération paysanne. Les premiers mettent en garde contre "un tueur d'abeilles". "[En apiculture], la réautorisation des néonicotinoïdes, en particulier l'acétamépride, donne des pertes récurrentes sur les colonies d'abeilles qu'on peut estimer entre 20% (…) et 80%", a averti, début mai, Christian Pons, président de l'Union nationale de l'apiculture française, lors d'une conférence de presse.

"Cette substance, du fait de sa durée de vie dans le milieu naturel, va affecter un certain nombre d'organismes pendant longtemps", a également tenu à souligner Philippe Grandcolas, chercheur au CNRS, lors de ce même rendez-vous. Evoquant une "toxicité aiguë très importante", il a aussi alerté sur les risques d'un"effet cocktail", avec une toxicité augmentant "de 100 fois si elle est en présence de restes de fongicides" utilisés dans les parcelles agricoles. 

Face à ces effets, la ministre de la Transition écologique, Agnès Pannier-Runacher, s'est dite hostile au retour de l'acétamipride. "Dans un pays qui a interdit les néonicotinoïdes, je trouve que c'est dommage de rouvrir cette possibilité, parce qu'on perd tout l'élan qu'on a fait d'investissement dans des alternatives. Et qu'on va se reposer la question dans quelques années parce qu'immanquablement une interdiction arrivera" au niveau européen, a-t-elle déclaré à franceinfo. L'Anses fait, en effet, état de recherches d'alternatives en cours, chimiques et non chimiques.

Des risques sur la santé humaine à documenter

En matière de santé humaine, les néonicotinoïdes posent une problématique classique concernant les pesticides. Ces substances, destinées à tuer des insectes, peuvent-elles aussi nous nuire par leurs mécanismes d'action ? La spécificité des néonicotinoïdes est de cibler le système nerveux. Ils suscitent donc avant tout des questionnements sur leurs effets neurologiques, en particulier leur rôle potentiel dans des troubles du neurodéveloppement chez l'enfant et l'adolescent.

Le consensus actuel, tel que relayé par la littérature scientifique et diverses autorités sanitaires, se résume largement à l'incertitude, parfois assortie d'appels au principe de précaution. "Des incertitudes majeures" demeurent sur les effets neurodéveloppementaux de l'acétamipride, résumait notamment en 2024 l'agence sanitaire européenne, l'Efsa, réclamant de "nouveaux éléments" et appelant pour l'heure à abaisser nettement les seuils auxquels ce pesticide est jugé potentiellement dangereux.

Un corpus de recherches existe néanmoins depuis plusieurs années, avec des études réalisées in vitro, soit sur une cellule exposée en laboratoire à des néonicotinoïdes, et sur des animaux. Elles ont permis de montrer les effets délétères des néonicotinoïdes sur les neurones, ou encore, selon une étude publiée en 2022 dans la revue Environment International , la capacité de l'acétamipride à provoquer des cancers du sein chez la souris.

Si ces études appuient l'idée que les néonicotinoïdes présentent des risques potentiels, elles ne permettent pas de conclure définitivement qu'ils jouent réellement un rôle dans des pathologies chez l'humain, du moins au niveau auquel ces produits sont utilisés dans la vie réelle. "On a un besoin crucial d'études épidémiologiques de grande ampleur pour éclaircir les effets que l'exposition aux néonicotinoïdes pourrait avoir sur la santé", résumait Environment International .

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