Manifestations, texte sur mesure... Comment la FNSEA, principal syndical agricole, s'est battue pour défendre la proposition de loi Duplomb

Article rédigé par franceinfo
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 7min
Des militants de la FNSEA devant l'Assemblée nationale, le 25 mai 2025. (GAUTHIER BEDRIGNANS / HANS LUCAS / AFP)
Des militants de la FNSEA devant l'Assemblée nationale, le 25 mai 2025. (GAUTHIER BEDRIGNANS / HANS LUCAS / AFP)

La fédération défend ce projet de loi décrié qu'il présente comme un "moteur législatif dont notre agriculture a besoin pour redémarrer".

La loi Duplomb divise la société, mais aussi les agriculteurs. A l'approche de l'examen en commission mixte paritaire de ce texte visant à "lever les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur", lundi 30 juin, ses détracteurs se sont mobilisés samedi et dimanche dans toute la France. Parmi eux : des scientifiques, des associations, mais aussi des citoyens et des agriculteurs, qui dénoncent depuis des mois cette proposition de loi qui prévoit notamment de réintroduire de manière dérogatoire un pesticide de la famille des néonicotinoïdes.

A l'inverse, la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) estime que ce texte "reprend les engagements du gouvernement à la suite des mobilisations" des agriculteurs de 2024. Mais elle inclut surtout les arguments portés par le syndicat, qui plaide pour l'allègement des règles environnementales et la poursuite d'un modèle productiviste de plus en plus remis en question. 

Des similitudes, "parfois au mot près"

La proposition de loi a été déposée le 1er novembre 2024 par le sénateur LR Laurent Duplomb qui défend sa double casquette : élu et agriculteur à la tête d'une exploitation laitière à Saint-Paulien (Haute-Loire). Présenté dans la foulée du mouvement de colère, le texte de cet ancien président des Jeunes Agriculteurs (JA) et de la chambre d'agriculture de Haute-Loire sous l'étiquette FDSEA, veut faciliter les projets de stockage de l'eau, simplifier les procédures pour l'élevage intensif, réintroduire des produits phytosanitaires interdits en France, mais autorisés ailleurs en Europe... En comparant le texte de la proposition de loi originale avec les revendications portées par la FNSEA dans un document publié en août 2024, le service Vrai ou faux de franceinfo relevait au mois de mai des similitudes "parfois au mot près, comme pour la pulvérisation de pesticides par des drones".

Plus d'une centaine d'amendements portaient la mention "suggéré par la FNSEA" ou "réalisé avec la FNSEA", poursuit le service Vrai ou faux, tandis que le lobbyiste écologiste Jordan Allouche relevait sur son blog hébergé par Mediapart que "plusieurs amendements déposés par des députés du Rassemblement national reprennent fidèlement les positions du syndicat majoritaire – sans jamais les nommer."

Si le président du syndicat, Arnaud Rousseau, a toujours minimisé le rôle de la FNSEA dans la rédaction du texte, il estime qu'elle "incarne le fruit" des "propositions" et du "bon sens" des agriculteurs. "Voici enfin le moteur législatif qu'il nous fallait", s'est-il réjoui dans un billet publié sur le réseau social Linkedin le 6 mai, date à laquelle la proposition de loi adoptée sans difficulté en janvier au Sénat, a fait son apparition à l'agenda de l'Assemblée nationale.

Entre lobbying et mobilisation musclée

"Nombre de députés ont reçu lettres, courriels et coups de fil de représentants agro-industriels les incitant à voter le texte", a écrit à la mi-mai Reporterre. Le média spécialisé dit avoir pu consulter une "note d'analyse" remise à des élus de la Loire par la FNSEA, "rappelant la position 'favorable' du syndicat sur ce texte." Sur les réseaux sociaux, les antennes départementales du syndicat majoritaire ont communiqué sur les rencontres qu'elles organisent à travers la France "pour échanger sur la PPL [proposition de loi] Duplomb", comme sur X le 25 avril avec le député RN de Seine-Maritime Robert Lebourgeois ou le 19 main sur le même réseau social, avec le représentant de Charente-Maritime Pascal Markowsky (également RN).

Mais alors que Les Ecologistes et La France insoumise déposaient des amendements à tour de bras – la proposition de loi en comptera plus de 3 500 – avant le débat prévu le 26 mai dans l'hémicycle, la pression s'est accrue sur les parlementaires ouvertement opposés à la loi Duplomb, avec des actes d'intimidiation. "Des agriculteurs des JA 65 et FDSEA 65 s'en prennent à ma permanence", a affirmé la députée LFI des Hautes-Pyrénées Sylvie Ferrer, le 15 mai, dans un message sur X avec une photo des dégâts. "Ils promettent de murer ma permanence parlementaire si je ne vote pas la loi", a confié à la même époque à RMC un député de la majorité. 

La présidente de l'Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, a "[condamné] fermement ces actes d'intimidation." "Le débat doit rester libre. Aucune pression ne saurait être tolérée", a-t-elle déclaré le 16 mai, sans viser de syndicat en particulier. La Coordination rurale a revendiqué des actions dans plusieurs départements. Fermement opposée au texte, la Confédération paysanne s'est rassemblée, elle aussi, à travers la France.

Le jour du débat, le 26 mai, Confédération paysanne et FNSEA se se font fait face devant les locaux de la députée LFI et ouvrière agricole Mathilde Hignet, en Ille-et-Vilaine : "On est aussi venus pour empêcher le saccage de sa permanence", témoigne à Ouest-France un militant de la confédération. "Ce n'est pas acceptable de faire la loi sous la pression d'un lobby, celui de la FNSEA", a lancé la députée avant de prendre le train pour Paris.

Une stratégie payante 

Le jour du débat, le 26 mai, une dizaine de tracteurs et quelque 200 agriculteurs venus d'Ile-de-France, du Grand Est et de Provence-Alpes-Côte d'Azur ont fait le déplacement devant le Palais-Bourbon à l'appel de la FNSEA. "Des actions plutôt de l'ordre du symbole", selon le terme d'Arnaud Rousseau, ont été organisées partout en France.

Mais, pour le syndicat, le texte débattu par les députés n'était plus tout à fait celui adopté par le Sénat. L'article ouvrant la voie à des dérogations environnementales pour certains projets de prélèvements et stockage d'eau a par exemple été retoqué par la commission du développement durable. "Vous détricotez la loi, nous tricotons la révolte", peut-on lire sur une pancarte brandie par les militants arrivés en tracteur. Cité par France Culture, le président de la FDSEA dans l'Oise a accusé les députés d'avoir "rendu [le texte] quasi anti-agricole". 

Arnaud Rousseau a, lui, fustigé "l'obstruction assumée" des parlementaires de gauche. Ainsi, le syndicat a soutenu la manœuvre des députés porteurs du texte qui, pour éviter de longs et houleux débats dans l'hémicycle, ont torpillé le projet de loi avec une motion de rejet pour arracher un accord en commission mixte paritaire. Les mobilisations prévues dans toute la France par la FNSEA ont aussitôt été suspendues.

Dans un communiqué conjoint avec les Jeunes Agriculteurs, elle a cependant appelé à "fixer, sans attendre, la date de la commission mixte paritaire". "Le texte doit désormais être adopté au plus vite et en tout état de cause en amont de la fin des travaux parlementaires de l'été", a plaidé le syndicat.

Commentaires

Connectez-vous ou créez votre espace franceinfo pour commenter.