Incendie meurtrier dans l'Aude : une fois le feu éteint, comment faire renaître la forêt calcinée ?

Article rédigé par Lucie Beaugé
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 7min
Les pompiers combattent le feu de forêt qui frappe Saint-Laurent-de-la-Cabrerisse (Aude), le 7 août 2025. (PHILIPPE MAGONI / EPA / MAXPP)
Les pompiers combattent le feu de forêt qui frappe Saint-Laurent-de-la-Cabrerisse (Aude), le 7 août 2025. (PHILIPPE MAGONI / EPA / MAXPP)

Après un incendie, la régénération naturelle demeure le choix privilégié de l'ONF. Mais les bouleversements liés au réchauffement climatique rendent peu à peu indispensables l'action de l'homme.

Les dégâts sont terribles dans le massif des Corbières. L'incendie meurtrier, qui a débuté mardi 5 août près du village de Ribaute, dans l'Aude, est le plus important connu par la France "depuis 1949", a affirmé la ministre de la Transition écologique, Agnès Pannier-Runacher, jeudi sur franceinfo. Désormais fixé, il a parcouru l'équivalent de 17 000 hectares. Une fois le feu éteint, l'Office national des forêts (ONF), les collectivités et les services de l'Etat vont devoir faire face à une question : comment faire renaître cette forêt de ses cendres, après un tel désastre ? 

Face à un paysage calciné, la priorité consiste à sécuriser les lieux et d'évaluer les dégâts. Les agents forestiers de l'ONF vont d'abord identifier et couper les arbres qui menacent de tomber. Une expertise des risques secondaires d'érosion et d'instabilité des sols sera également menée. "On fera tout cela à l'automne, avec l'ambition de cicatriser les lieux pour le printemps", explique Stéphane Villarubias, directeur de l'agence territoriale de l'ONF dans l'Aude. Il faudra ensuite faire preuve de patience et attendre "deux ou trois années" pour laisser pousser la végétation existante, et décider d'un reboisement artificiel ou non.

"S'appuyer sur ce qui revient naturellement"

La surface brûlée dans ce massif très escarpé, entre Carcassonne et Narbonne, se caractérise par une garrigue omniprésente, qui confère aux Corbières un aspect sauvage. Et ce, même si des villages Saint-Laurent-de-la-Cabrerisse rappellent par endroits la présence humaine. Dans ses recoins plus forestiers se trouvent des chênes verts. Mais aussi des pins d'Alep, des arbres dits "pyrophiles", qui tirent profit du feu pour se reproduire. "Leurs cônes s'ouvrent avec la chaleur et délivrent des graines au sol", traduit Stéphane Villarubias. Cette régénération naturelle a les faveurs de l'ONF et des associations environnementales.

"Il faut d'abord s'appuyer sur ce qui revient naturellement pour retrouver l'ambiance forestière" d'avant l'incendie, appuie Christophe Chauvin, pilote du réseau Forêts de France nature environnement (FNE). L'ONF peut aider la nature en participant au débroussaillement des végétaux. Il estime que dix années sont ensuite nécessaires pour que la forêt reprenne quelques mètres de hauteur et de ses couleurs. "Il faut attendre 70 à 100 ans pour que les arbres atteignent leur hauteur de 10 à 20 mètres", peut-on lire sur le site gouvernemental notre-environnement

Que faire alors lorsque la régénération naturelle se révèle difficile ? Dans ce cas, la replantation par l'homme reste privilégiée dans un deuxième temps. A titre d'exemple, trois ans après les incendies dévastateurs de la forêt des Landes, la répartition naturelle des jeunes pousses apparaît irrégulière au sol. Une plantation artificielle d'arbres est dès lors prévue à compter de l'automne.

"Un adage forestier dit : 'Imiter la nature, hâter son œuvre.' Cela s’applique assez bien dans le cas d’un accompagnement de forêt après incendie."

Christophe Chauvin, pilote du réseau Forêts de France nature environnement

à franceinfo

Selon Stéphane Villarubias, cette solution reste coûteuse, "en moyenne 10 000 euros l'hectare", tous arbres confondus. Elle le sera d'autant plus dans l'Aude, si l'ONF et l'Etat décident d'actionner ce levier, alors que la sécheresse perdure dans le département, rendant la renaissance difficile, sans compter les éventuels nouveaux feux. Leur probabilité s'est démultipliée en raison du réchauffement climatique, né des activités humaines. "D'ici à 2050, la moitié des forêts métropolitaines seront exposées au risque d'incendie, selon la Mission interministérielle relative au changement climatique et à l'extension des zones sensibles aux feux de forêts", rappelle notre-environnement.

Prendre en compte le réchauffement climatique

En plus d'introduire des essences d'arbres pour combler les manques, les forestiers peuvent trier les tiges naissantes en fonction de leur inflammabilité. Dans l'Aude, la coupe de petits pins d'Alep au profit des chênes verts, lorsque ces arbres se feront concurrence, pourra être envisagée, rapportent les spécialistes. Une manière d'accélérer le repeuplement mixte entre résineux et feuillus, caractéristique du territoire avant l'incendie, tout en s'adaptant mieux aux enjeux climatiques. "Le feu va dix fois moins vite dans une forêt de chênes que de pins", assure Stéphane Villarubias. 

Les grandes étapes de la reconstruction d'une forêt après un incendie

L'ONF peut intervenir à chaque étape du processus pour que la forêt grandisse dans les meilleures conditions.

  • La sécurisation et les coupes

    2 à 3 mois après l’incendie

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    Un état des lieux de la forêt est dressé et l'espace nettoyé. Des arbres dangereux peuvent être coupés par les forestiers.

  • La renaissance naturelle

    2 à 3 ans après l’incendie

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    La forêt renaît naturellement pour partie ou complètement. L'ONF peut aider la nature en participant au débroussaillement.

  • L’aide artificielle

    3 à 5 ans après l’incendie

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    En complément de la dynamique naturelle, les forestiers peuvent planter d'autres arbres. Ils choisissent des semences résilientes au réchauffement climatique.

  • Le retour d’une ambiance forestière

    10 ans après l’incendie

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    La forêt a repris quelques mètres de hauteur et de ses couleurs. Mais au moins 70 ans sont nécessaires pour que les arbres mesurent 10 à 20 mètres.

La résilience de la forêt doit aussi être pensée à l'échelle de tout un territoire. Le département de l'Aude a la particularité d'avoir perdu 5 500 hectares de vignes entre 2010 et 2020, selon les services du ministère de l'Agriculture(Nouvelle fenêtre). Or ces cultures avaient historiquement une fonction de coupe-feu naturel dans les Corbières. Elles ont été arrachées parce que les agriculteurs n'arrivaient plus à vivre de leur activité, laissant place à de la friche, très inflammable, selon les professionnels et les élus locaux. 

Pour Christophe Chauvin, le paysage forestier doit être réinventé en cassant "toute homogénéité". Cela passe, selon lui, par le réagencement de l'espace naturel sous forme de "mosaïque". "L'idée, c'est de faire cohabiter ensemble des parcelles différentes, qu'elles soient forestières, agricoles ou dédiées à l'élevage", explique-t-il. L'ONF plaide aussi pour mélanger ces terrains. L'intérêt est double : mieux se protéger du feu et favoriser l'accessibilité aux forêts pour les services de secours.

Mercredi, le sénateur de l'Aude Sébastien Pia, qui habite dans les Corbières, a lui-même appelé sur franceinfo à accompagner l'agriculture du pourtour méditerranéen "pour qu'elle soit beaucoup plus résiliente et efficace pour lutter contre ce risque d'incendie". Le président des Jeunes Agriculteurs souhaite également "la réintroduction de l'agriculture", et la construction "de retenues d'eau" près des forêts.

Trouver un système subventionné et durable ne sera pas une mince affaire, prévient Stéphane Villarubias. "Sur le principe, on peut bien introduire des cultures de grenades, d'abricots, ou faire revenir la vigne pour disposer de pare-feu. Mais il faut que cela puisse être géré par les agriculteurs et être viable là aussi au regard du réchauffement climatique." Cette équation complexe "doit amener le pays à avoir beaucoup d'humilité" sur le plan à dégainer dans l'Aude.

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