Victimes d'inondations, de vagues de chaleur ou de sécheresse, des citoyens attaquent l'Etat en justice pour inaction climatique

Dans un recours devant le Conseil d'Etat, des sinistrés dénoncent, avec le soutien de plusieurs associations, les "manquements en matière d'adaptation et de protection des populations".

Article rédigé par Camille Adaoust
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Des personnes victimes des conséquences du réchauffement climatique en France, qui attaquent l'Etat en justice, sont réunies à Paris, le 3 avril 2025. (AFFAIRE DU SIECLE)
Des personnes victimes des conséquences du réchauffement climatique en France, qui attaquent l'Etat en justice, sont réunies à Paris, le 3 avril 2025. (AFFAIRE DU SIECLE)

"L'Etat n'a pas anticipé cette sécheresse, il n'a pas pris ses dispositions." Racha Mousdikoudine se souvient de la situation désastreuse à Mayotte en 2023. Face au changement climatique et à ses conséquences dévastatrices sur le territoire français, la Mahoraise et une poignée d'autres citoyens, soutenus par des associations (Oxfam, Notre Affaire à tous, Greenpeace...), déposent un recours devant le Conseil d'Etat, mardi 8 avril, pour dénoncer les "manquements en matière d'adaptation et de protection des populations".

Ce recours collectif porté devant le Conseil d'Etat a vocation à dénoncer les effets du changement climatique sur les citoyens. La présidente de l'association Mayotte a soif témoigne tout particulièrement de la crise de l'eau qui a frappé l'archipel de l'océan Indien, après une sécheresse sans précédent. "Avec ma famille, nous n'avions déjà pas d'eau du robinet depuis 2016", raconte-t-elle à franceinfo. La sécheresse de l'été 2023 a "aggravé" la situation. Racha Mousdikoudine explique qu'elle n'avait alors "pas assez d'eau pour se brosser les dents, doucher ses enfants ou faire son linge".

"Je me sens piégé"

Dans sa ferme de l'Essonne, avec sa femme, Florent Sebban "fait des fruits, des légumes et des plantes aromatiques" depuis quatorze ans. Mais "on subit de plus en plus de pertes et on observe bien pire chez nos voisins", raconte-t-il à franceinfo. La hausse des températures, en tout début d'année, a par exemple fait fleurir ses arbres fruitiers trop tôt. Deux ans plus tôt, c'est un grand coup de froid tardif qui avait ruiné sa production.

"En 2023, on a eu un gros gel dans la nuit du 4 au 5 avril, qui a conduit à ce qu'on n'ait plus aucune poire, très peu de pommes et 50% de prunes en moins. En une nuit, les fleurs étaient cramées."

Florent Sebban, agriculteur dans l'Essonne

à franceinfo

Plus au sud, à Lyon, Salim Poussin se mobilise après des années à vivre dans des bouilloires thermiques, ces logements pas ou peu isolés qui surchauffent en été. "J'ai vécu dans un appartement sans volet, où le soleil entrait le matin et s'installait jusqu'au soir. Pendant les grandes vagues de chaleur, c'était très difficile de rester à la maison", raconte-t-il, assurant que la température dépassait régulièrement les 30°C à l'intérieur. Dans sa ville, "on a un parc immobilier privé qui manque de rénovations", lance le représentant de l'association Locataires ensemble.

Mohamed Benyahia se décrit, lui, comme "sinistré d'une maison fissurée". Habitant du Mans (Sarthe), il a vu sa maison se dégrader petit à petit à cause du retrait-gonflement des argiles. "Un expert a mis en place quatre étais pour soutenir le plafond, ça continue à craquer", décrit-il, précisant que l'état de catastrophe naturelle, nécessaire pour obtenir une indemnisation, n'a pas été reconnu dans sa commune. "Je me sens piégé. Je ne peux pas changer de maison, je n'ai pas les moyens."

La maison au Mans (Sarthe) de Mohamed Benyahia, l'un des sinistrés qui déposent un recours devant le Conseil d'Etat le 8 avril 2025. (MOHAMED BENYAHIA)
La maison au Mans (Sarthe) de Mohamed Benyahia, l'un des sinistrés qui déposent un recours devant le Conseil d'Etat le 8 avril 2025. (MOHAMED BENYAHIA)

Le Plan national d'adaptation pointé du doigt 

Cette action rappelle l'"Affaire du siècle", qui a fait condamner l'Etat deux fois en 2021 : en février, quand le tribunal administratif de Paris a jugé l'Etat responsable de manquements à ses engagements et du "préjudice écologique" qui en découlait, puis en octobre, date à laquelle l'Etat a été sommé de réparer le préjudice causé par le non-respect de ses engagements pour le climat.

Elle intervient un mois après la publication du troisième Plan national d'adaptation au changement climatique (Pnacc). Une "étape importante", a jugé le Haut Conseil pour le climat, selon qui, cependant, la France n'est pas encore prête à faire face aux impacts du changement climatique". "Plusieurs conditions doivent être remplies pour que le Pnacc 3 puisse impulser une politique d'adaptation à la hauteur des enjeux", écrivent les experts, qui pointent des financements "insuffisants". Les requérants acquiescent. Pour eux, "les réponses apportées sont trop lentes, trop faibles et trop éloignées de la réalité des sinistrés".

"L'Etat a une obligation générale d'adaptation au changement climatique, une obligation de protéger ses citoyens de ses conséquences, découlant notamment de la Charte de l'environnement, la Convention européenne des droits de l'homme et la loi européenne sur le climat", cite Cléo Moreno, coordinatrice juridique de cette action devant le Conseil d'Etat. La démarche des sinistrés vise à "cibler toutes les insuffisances du Pnacc par rapport à cette obligation" et à "renforcer" le dispositif. Pour Mohamed Benyahia, "c'est malheureux d'en arriver là. L'Etat devrait normalement venir en aide aux sinistrés, qui se retrouvent du jour au lendemain sur le bord de la route." 

La démarche doit désormais suivre son cours. L'Etat est invité à répondre à cette demande préalable, adressée à tous les ministres, et "en cas d'absence de réponse ou de réponse insatisfaisante de l'Etat dans les deux mois, on déposera la requête devant le Conseil d'Etat", détaille Cléo Moreno. 


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