Sommet de l'ONU sur les océans : comment choisir son poisson pour consommer de façon écoresponsable ?

A l'échelle de la planète, plus de 35 % des stocks de poissons sont surexploités, d'après les Nations unies

Article rédigé par Louis San
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Chez un poissonnier du marché du Château-d'Oléron (Charente-Maritime), en mai 2024. (CAVALIER MICHEL / HEMIS.FR / AFP)
Chez un poissonnier du marché du Château-d'Oléron (Charente-Maritime), en mai 2024. (CAVALIER MICHEL / HEMIS.FR / AFP)

Un casse-tête. Alors que le sommet de l'ONU sur les océans, l'Unoc, s'est tenu à Nice jusqu'au vendredi 13 juin pour étudier notamment les questions de protection de la biodiversité marine, une question reste difficile à trancher à l'échelle du consommateur : quels poissons acheter pour consommer de façon écoresponsable ?

Afin d'y voir plus clair, franceinfo pose quelques balises pour vous aider à naviguer entre les étiquettes et les informations, parfois opaques. Voici les principaux points qui sur lesquels votre attention doit s'arrêter pour manger un poisson tout en préservant la planète.

Veiller à la technique de pêche (et éviter le chalut)

Toutes les méthodes n'ont pas le même impact sur l'environnement. La pêche au chalut fait partie de celles à éviter. Instrument emblématique de la pêche industrielle, le chalut est "comme un bulldozer que l'on utiliserait pour ramasser des fraises. Il prend la terre, les fraises, les fraisiers. Tout y passe", a illustré auprès de Radio Canada le biologiste marin Daniel Pauly, spécialiste de la pêche.

"Le chalut est l'engin le plus répandu, c'est lui qui va fournir de gros volumes, et va notamment permettre de trouver du poisson bon marché, a expliqué à France 3 Bretagne Didier Gascuel, professeur en écologie marine à l’Institut Agro de Rennes. En même temps, le chalut [affecte] les fonds marins, compromet la productivité de l'océan, la biodiversité." Et de conclure : "Si possible, il faut diminuer la part du poisson qui vient du chalut dans sa consommation."

Pour préserver l'environnement, il est recommandé de privilégier les poissons pêchés avec des techniques douces comme la ligne, le casier, la pêche à pied, en plongée, le filet droit ou le filet trémail. La méthode de pêche utilisée est normalement renseignée de façon visible. Sur l'étal d'un poissonnier, l'information est disponible sur l'étiquette annonçant, entre autres, le prix.

Une étiquette sur l'étal d'un poissonnier à Saint-Malo (Ille-et-Vilaine). (FRANCE 3 BRETAGNE)
Une étiquette sur l'étal d'un poissonnier à Saint-Malo (Ille-et-Vilaine). (FRANCE 3 BRETAGNE)

Privilégier la production locale (et se tourner vers les petits pêcheurs de la région)

Le poisson pêché localement possède une empreinte carbone moins importante que son cousin venu de l'autre bout du monde, par bateau ou parfois par avion. Le Guardian rapportait ainsi en 2022 que 18% du saumon frais norvégien était exporté par voie aérienne. De plus, la pêche locale aide les personnes de la région qui exercent dans des "professions autour de la pêche" à vivre "dignement" de leur activité, souligne auprès de franceinfo Héloïse Berkowitz, chercheuse du CNRS au laboratoire d'économie et de sociologie du travail, spécialiste de la gestion durable de l'océan. Cela doit aller de pair avec un travail à petite échelle, c'est-à-dire avec de petits bateaux, loin des standards de la pêche industrielle.

Sans compter que les pêcheurs de la région disposent d'une "connaissance fine" de leur secteur, qui leur permet de se tourner vers des espèces locales dont les stocks ne sont pas dans une situation critique, ajoute l'experte. L'enjeu est de taille : à l'échelle de la planète, plus de 35 % des stocks de poissons sont surexploités, selon les Nations unies. En France, un tiers des poissons débarqués proviennent de populations qui peinent à se renouveler.

La zone de pêche du poisson peut être précisée en toutes lettres, mais ce n'est pas toujours le cas. Elle se présente parfois sous forme de chiffre (arabe ou romain). Les aires qui concernent la France portent les numéros 27 (pour l'Atlantique nord-est) et 37 (pour Méditerranée et mer Noire), comme le rapporte le site de la Commission européenne. Mais ces aires sont très vastes. Il faut alors se référer aux sous-zones : 27.7 et 27.8 correspondent respectivement à la Manche et au golfe de Gascogne, tandis que 37.1 et 37.2 désignent les côtes de la Méditerranée.

Le WWF propose un guide pour choisir son poisson avec une signalétique en trois couleurs : "vert pour les espèces à valoriser, jaune pour les espèces à consommer avec modération et rouge pour les espèces à éviter". Le mode de pêche et la localité sont précisés pour chaque espèce. Pour le bar, le voyant est au vert s'il provient de la zone 27 (Atlantique nord-est) et qu'il est pêché avec des "lignes à main" et des "lignes avec canne". En revanche, le code est jaune pour le bar venant d'Espagne, s'il provient d'aquaculture en étangs, de la zone 37 (Méditerranée) et qu'il provient de cages. Enfin, WWF voit rouge et recommande d'éviter le bar issu de la zone 27 s'il est pêché à l'aide de chaluts et de filets maillants.

Les personnes qui résident loin des côtes peuvent difficilement trouver du poisson de leur région, mais l'idée est de se tourner d'abord vers du poisson pêché au plus proche et d'éviter d'acheter celui provenant de l'autre extrémité de l'Europe ou encore du Pacifique.

Diversifier les espèces (pour en découvrir de moins connues avec des stocks en bon état)

"On arrête avec le saumon, le cabillaud et les crevettes [tropicales]. Déjà, si vous faites ça, vous faites un pas de géant pour respecter les océans", lance Charles Guirriec, cofondateur de la plateforme Poiscaille.fr, qui vise à rapprocher les consommateurs des pêcheurs locaux, dans une vidéo mise en ligne en mars. Le saumon et les crevettes représentent plus d'un tiers des importations totales de poissons et crustacés, selon les données gouvernementales.

Or, le saumon consommé en France est principalement issu d'élevages du nord, où il est nourri avec des farines fabriquées à partir d'autres poissons massivement prélevés en Afrique de l'Ouest, privant les pêcheurs régionaux de ressources et les habitants de denrées. Le secteur met "en péril la sécurité alimentaire des communautés locales", ont alerté, en octobre 2024, les ONG Seastemik et Data for Good. Avec leur dossier nommé Pinkbombs ("bombes roses"), elles dépeignaient le saumon d'élevage comme une "bombe écologique et sociale", rapportait alors Le Monde.

Diversifier les espèces présente au moins deux bénéfices : cela permet d'abord de ne pas alimenter des filières qui entraînent des problèmes environnementaux et économiques. Et dans le même temps, cele permet de se tourner vers des espèces moins connues, locales, et dont les stocks sont en bonne santé. Parmi elles, la bonite, la vieille, le mulet, le tacaud, le chinchard, la sole blonde, le maigre ou encore le maquereau espagnol, mentionne Charles Guirriec. Justine Leleu-Delettre, chargée de Mr. Goodfish chez Nausicaa, le centre national de la mer basé à Boulogne-sur-Mer mentionne notamment le grondin ou encore la vive, "à la chair délicate". Le site et l'application de ce programme permettent de recevoir des recommandations de poissons selon les façades maritimes.

Insistant sur le prix parfois moins élevé des espèces locales, cette spécialiste remarque que les poissons ne sont pas les seuls concernés : "Les araignées de mer, qui pullulent sur nos côtes, sont délicieuses et peuvent être moins coûteuses qu'un tourteau". 

Faire son choix en fonction de la saison (pour laisser les poissons se reproduire)

Consommer de saison ne concerne pas que les fruits et les légumes, mais aussi certaines espèces de poissons. "La saisonnalité est un critère important à prendre en considération en termes de durabilité, pour les espèces qui se regroupent en banc pendant la période de reproduction (comme le bar, les poissons plats…) et pour les stocks surexploités", écrit l'organisation environnementale Ethic Ocean, citée en référence par les spécialistes contactés par franceinfo. L'élément est si important que le premier conseil visible sur le site de Mr. Goodfish invite à "choisir le bon poisson de saison", avec une sélection courant sur trois mois, celle de printemps courant du 20 mars au 20 juin.

Dans le détail, il s'avère impossible d'établir une règle pour toute une espèce ou pour l'ensemble d'une région. "La saisonnalité est à regarder au cas par cas, espèce par espèce et stock par stock", écrit Ethic Ocean. Au final, choisir un poisson pour consommer de façon durable se révèle complexe car, remarque Justine Leleu-Delettre, la pêche est la dernière filière sauvage exploitée à grande échelle, et que les océans sont gérés de façon collective par les Etats, qui n'agissent pas forcément dans le même sens. Mener à bien cette tâche nécessite "la prise en compte de nombreux critères", reconnaît-elle, comptant sur l'engagement et la curiosité des consommateurs.

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