Conférence sur l'océan : face au "décalage entre la communication et l'action", des chercheurs de référence refusent de se rendre à Nice

L'Unoc s'ouvre lundi à Nice. Juste avant, des scientifiques du monde entier se sont réunis pour soumettre des recommandations aux politiques. La communauté des experts exprime des craintes quant au risque de l'inaction.

Article rédigé par Camille Adaoust
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Des participants arrivent à la Conférence des Nations unies sur l'océan, le 5 juin 2025 à Nice (Alpes-Maritimes). (SEBASTIEN NOGIER / EPA / MAXPPP)
Des participants arrivent à la Conférence des Nations unies sur l'océan, le 5 juin 2025 à Nice (Alpes-Maritimes). (SEBASTIEN NOGIER / EPA / MAXPPP)

"J'ai décidé de ne pas y aller." Avant l'ouverture de la troisième Conférence des Nations unies sur l'océan (Unoc-3), lundi 9 juin à Nice, plus de 2 000 scientifiques internationaux, spécialistes de l'océan, se sont rassemblés du 4 au 6 juin pour le congrès One Ocean Science, le volet scientifique de l'événement. "On a été formellement invités à participer, à envoyer nos contributions pour que ce congrès fournisse la meilleure représentation de l'état des recherches sur l'océan", décrit Juliette Mignot, directrice adjointe du laboratoire Locean. Cette chercheuse en océanographie-climatologie a pourtant décliné l'invitation. Tout comme ses collègues, Francesco d'Ovidio, chercheur en océanographie au CNRS, "invité à un atelier sur les aires marines protégées dans l'océan Austral", et Sara Labrousse, chercheuse en écologie polaire au CNRS, qui devait intervenir au pavillon consacré à la cryosphère. "Nous demander encore une fois de venir dire les choses, non", résume Juliette Mignot.

"Encore", car ces trois voix se souviennent des précédents rendez-vous au cours desquels la communauté scientifique a alerté sur l'état des océans, du système climatique ou des écosystèmes. "Rapports du Giec, de l'IBBES, One Ocean Summit, One Polar Summit, Convention citoyenne pour le climat... Je me suis demandé pourquoi on avait encore besoin de notre contribution scientifique", retrace Sara Labrousse, qui décrit "une forme d'essoufflement" devant des retombées qu'ils jugent faibles. Le message scientifique est "déjà sur la table" et n'attend plus que "des actions politiques derrière".

"La confiance entre politique et science est en crise"

Ils reprochent également au gouvernement les effets d'annonce sur les enjeux environnementaux. Francesco d'Ovidio cite l'exemple des aires marines protégées : alors que l'Etat français se félicite régulièrement d'avoir dépassé l'objectif de 30% de ses eaux territoriales protégées, une récente étude a montré que très peu l'étaient réellement. "On a très envie de s'engager avec les politiciens, pour voir des décisions prises sur la base d'informations scientifiques. Et en même temps, on voit le décalage actuel entre la communication et l'action", déplore le chercheur, pour qui "le rapport de confiance entre politique et science est en crise". Il ajoute : "Pour le public, ces annonces ne donnent pas une vision réelle de ce qui est fait, ça donne l'impression qu'on avance sur la protection, que c'est fait et qu'on peut passer à autre chose. Ce n'est vraiment pas le cas."

Cette fois-ci, les trois chercheurs ne veulent pas "légitimer scientifiquement" la grand-messe de l'océan, potentiel "coup de com'" selon eux. "Ce congrès [One Ocean Science] avait une saveur particulière, comme s'il était la caution scientifique de la conférence politique qui suit", évoque, sceptique, Juliette Mignot.

"On est de plus en plus à se questionner"

Leurs critiques font écho aux conclusions de leurs collègues qui ont bien participé au congrès One Ocean Science. Jeudi, ils ont présenté 10 recommandations à destination des responsables politiques attendus au sommet de l'ONU. "Le temps des discours et de l'indécision est révolu : la communauté scientifique appelle à écouter la science et à agir de manière éclairée et décisive", peut-on lire dans leur communiqué.

Joachim Claudet, lui, fait partie de ceux qui ont accepté de se rendre à Nice, convaincu que c'est de l'intérieur qu'on peut faire avancer les choses. Mais ce chercheur spécialisé en socio-écologie marine au CNRS "comprend tout à fait" les interrogations de ses collègues. "C'est vrai qu'en ce moment, la connaissance scientifique est utilisée partout par les politiques pour maintenir un statu quo. Ce que j'observe, moi, c'est que quand on fournit une information qui va dans le sens de ce qu'ils attendaient, ils y sont favorables. Mais quand ce n'est pas le cas, on est taxés de militants", regrette-t-il, dépeignant un contexte "extrêmement tendu".

Dans les couloirs de la conférence, les scientifiques "parlent bien évidemment de ces craintes". "On est de plus en plus à se questionner sur la sincérité de certains politiques, quand ils prétendent prendre des décisions guidées par la science, alors que récemment, beaucoup vont justement dans le sens contraire", poursuit-il, quelques jours après la suppression des zones à faibles émissions (ZFE) ou la réintroduction d'un pesticide néonicotinoïde

"J'attends de voir si la confiance peut être rétablie"

Absents de l'Unoc-3, Juliette Mignot, Sara Labrousse et Francesco d'Ovidio n'en défendent pas moins leur "engagement" fort sur ces enjeux. Et ne ferment pas la porte à de bonnes surprises dans les prochains jours. Francesco d'Ovidio sera notamment attentif aux termes choisis pour renforcer la protection des aires marines.

"J'attends de voir si la confiance entre scientifiques et politiques peut être rétablie, si les politiques peuvent se saisir des rapports et communications scientifiques pour passer de l'annonce à l'action", espère Juliette Mignot. Parce que l'heure tourne et que cette décennie doit être celle de l'action, ont établi les experts du Giec. L'Organisation météorologique mondiale a encore rappelé en mars le niveau inédit de réchauffement de l'océan, de montée du niveau de la mer et de dégradation des écosystèmes marins. "Des milliers de travaux scientifiques le montrent : il faut entamer la transition, que ce soit pour les émissions de gaz à effet de serre, la pêche ou l'agriculture, cite Sara Labrousse. Ça va prendre des années. Quand est-ce qu'on commence ?"


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