Chalutage dans les aires marines protégées : des ONG demandent à Emmanuel Macron l'interdiction de cette pêche, et pas seulement sa limitation
Alors que la France accueille à Nice la Conférence des Nations unies sur l'océan, les annonces du chef de l'Etat sont jugées insuffisantes par de nombreuses organisations, pour ces zones créées pour restaurer la biodiversité marine.
/2021/12/14/61b8b9952d5fc_marie-adelaide-scigacz.png)
/2025/06/08/img-0617-6845884274db6087985115.jpg)
Un filet en tissu de 150 mètres de long se déploie sur une Promenade des Anglais baignée de soleil en cette fin d'après-midi. Alors que Niçois et touristes quittent la plage, samedi 7 juin, l'organisation environnementale européenne Seas at Risk, qui rassemble une trentaine d'ONG, tente d'attirer l'attention sur ce qu'il se passe sous les vagues. "Au sein de l'Union européenne, 93% des animaux marins morts ou mourants rejetés à la mer sont victimes du chalutage de fond", déclare Clive Russel dans son mégaphone, foulant l'étoffe posée au sol. Sa longueur, dit ce militant britannique du groupe Ocean Rebellion, représente la largeur d'un chalut de fond, ce dispositif qui balaie les fonds marins en quête de poissons et crustacés. "L'Union européenne, à commencer par la France, autorise le chalutage de fond dans ses aires marines protégées", poursuit-il sous la huée de la foule.
A deux jours de l'ouverture de la Conférence de l'ONU sur l'océan, cette "marche bleue" touche à sa fin quand la presse quotidienne régionale donne la parole à Emmanuel Macron. Admettant qu'"en raclant le fond", le chalut "vient perturber la biodiversité et des écosystèmes qu'il faut apprendre à protéger", le président de la République maintient qu'il faut "limiter" ponctuellement cette activité. Mais pas l'interdire systématiquement dans les aires marines protégées.
Hôte de cette troisième conférence de l'ONU dédiée à la protection de la biodiversité marine, "la France doit montrer l'exemple", poursuit Clive Russel dans son mégaphone. Mais les annonces du chef de l'Etat traduisent l'équilibre compliqué de la position tricolore, entre volonté affichée de mener la voie en matière de création de nouvelles aires marines protégées, d'un côté, et, de l'autre, le maintien dans certaines de ces zones d'une pêche au chalut décriée.
Le chalutage "n'a pas sa place" dans les aires protégées
"L'annonce (...) interdisant le chalutage de fond dans certaines aires marines protégées françaises constitue une mesure attendue de longue date et nécessaire pour garantir une véritable protection des océans", salue dimanche le directeur des campagnes de l'ONG internationale Oceana, dans un communiqué. Mais "cette pratique destructrice n'a pas sa place dans des zones censées être protégées", poursuit-il. L'association Bloom a fustigé dans un communiqué "la fausse protection 'à la française'", s'en prenant à la stratégie d'interdiction "au cas par cas, confetti par confetti, si et seulement si elle recueille un 'consensus' entre scientifiques et pêcheurs".
Pour Greenpeace, qui plaide pour une interdiction de la pêche au chalut dans 30% des aires marines protégées françaises, ces annonces marquent "un tout petit peu de progrès sur la formulation" en mentionnant explicitement les dégâts causés par le chalutage de fond, mais traduisent "peu d'ambition", a réagi auprès de l'AFP le chargé de campagne Océans de l'ONG, François Chartier.
Une pratique qui pèse lourd sur les étals français
Dans une conférence de presse, vendredi, la ministre de la Transition écologique, Agnès Pannier-Runacher, a relativisé l'impact de cette activité dans les eaux territoriales tricolores. "Il n'y a que 3% des eaux maritimes françaises où il y a du chalut de fond", a-t-elle rappelé. Les données de FranceAgrimer établissent qu'en 2023, 773 chalutiers de la flotte française pratiquaient cette pêche, représentant 53% des volumes pêchés (81 006 tonnes) et 48% en valeur (290 millions d'euros). "On peut manger de la sole, de la coquille Saint-Jacques, de la langoustine, à des prix abordables car il y a ces activités-là", a défendu Emmanuel Macron, illustrant le poids économique de cette pratique dans les eaux européennes.
Or, dans un rapport dévoilé en mars, l'ONG Bloom affirme que "85% des volumes de poissons capturés en France par les chaluts de fond pourraient être pêchés par des techniques de pêche bien moins impactantes telles que les lignes, casiers et filets", tandis que "les chaluts et sennes captent 70% des subventions publiques". Le chalutage de fond a été pratiqué pendant 17 000 heures dans les aires marines protégées françaises en 2024, selon un rapport publié en mai par une ONG américaine, Oceana.
Si l'UE interdit depuis 2016 le chalutage au-delà de 800 mètres de profondeur, elle ne s'est pas risquée à introduire de mesures plus contraignantes pour limiter cette pratique. Dans son pacte pour les océans, présenté jeudi, les Vingt-Sept recommandent toutefois d'y mettre fin à l'horizon 2030 dans les aires protégées.
Pour Enric Scala, directeur scientifique de l'organisation National Geographic Pristine Seas, "la science est très claire", prévenait-il lors d'une conférence en ligne à l'approche de l'Unoc-3. "De nombreux exemples, dans le Pacifique et dans le monde entier, montrent que l'industrie de la pêche capture aujourd'hui davantage de poissons, de homards et de coquilles Saint-Jacques autour des zones interdites qu'auparavant, lorsqu'elle pêchait partout". Il disait espérer qu'émerge à Nice "une action politique visant à interdire le chalutage de fond dans les aires marines protégées", une "bonne nouvelle pour la vie marine comme pour la pêche". Il faudra peut-être, pour cela, attendre encore un peu.
Commentaires
Connectez-vous ou créez votre espace franceinfo pour commenter.
Déjà un compte ? Se connecter