"C'est une industrie qui vaut des milliards" : des soigneurs de Marineland soupçonnés d'avoir stimulé sexuellement une orque, le parc aquatique s'explique

Article rédigé par franceinfo - Astrid Maigné-Carn
Radio France
Publié
Temps de lecture : 8min
Une vue aérienne du Marineland d'Antibes prise le 15 février 2025. (photo d'illustration) (MOHAMAD SALAHELDIN ABDELG ALSAYE / ANADOLU / AFP)
Une vue aérienne du Marineland d'Antibes prise le 15 février 2025. (photo d'illustration) (MOHAMAD SALAHELDIN ABDELG ALSAYE / ANADOLU / AFP)

Dans une vidéo publiée par l'ONG de lutte contre la captivité des cétacés Tide Breakers, on voit l’orque mâle Keijo subir une stimulation sexuelle par un soigneur du Marineland d'Antibes. Des images troublantes qui ont beaucoup choqué les internautes et les associations de défense des animaux. Le parc aquatique s'explique.

Que se passe-t-il dans le bassin des orques du Marineland d'Antibes, dans les Alpes-Maritimes, depuis sa fermeture ? Le parc a fermé ses portes le 5 janvier et depuis, les associations tentent de garder un œil sur ce qu'il se passe dans les bassins. Sur des images filmées par drone par une association et publiées le 15 août sur les réseaux sociaux, on voit deux soigneurs, en combinaison, penchés au-dessus de l'orque, qui lui est sur le dos. L'un des soigneurs pratique une masturbation sur le jeune mâle, Keijo, pendant que l'autre le maintien au bord du bassin.

Une scène à laquelle Marketa Schusterova, co-fondatrice de l'association Tide Breakers, ne pensait pas assister. "Depuis la fermeture du parc, en janvier, nous surveillons les bassins et les orques, environ une fois par mois", explique-t-elle. Cette semaine de début août, l'ONG effectuait des prises de vues plus régulières, "plusieurs fois par jour, quasiment toutes les heures" pour vérifier que les orques du Marineland d'Antibes, Wikie et Keijo, sont bien suivies et nourries par les soigneurs.

"Nous avons vu les soigneurs travailler avec les orques, les nourrir mais nous avons aussi tristement assisté à quelque chose que nous n'imaginions pas voir"

Marketa Schusterova, co-fondatrice de l’association Tide Breakers

à franceinfo

La co-fondatrice de Tide Breakers explique que l'équipe venue en France a été "très choquée" par ces images. "Nous avons assisté à la stimulation sexuelle de Keijo par ses soigneurs" raconte Marketa qui détaille que "dans la vidéo, vous pouvez clairement les voir sortir le pénis de Keijo avec force et le manipuler". La vidéo diffusée ne dure que quelques secondes mais l'ONG assure avoir assisté à cette scène cinq fois dans une journée et "pendant 15 à 20 minutes, à plusieurs endroits du bassin" des orques.

@wearetidebreakers ⚠️WARNING: GRAPHIC VIDEO! This extremely disturbing video was taken August 12, 2025 at Marineland Antibes. Keijo’s trainers are stimulating him sexually, likely to collect semen for artificial insemination. This is one of the captivity industry’s dirty little secrets. Semen is collected to impregnate females against their will and create more whales to be born into captivity. How is this a priority when they’re trapped in a shut-down, crumbling cess-pool? Enough is enough. This shameless exploitation is sickening. Read more on our website tidebreakers.org #orcas #marinelandantibes #whales ♬ Crime Investigation - Wolfgang Woehrle

L'association explique avoir soumis les images à d'anciens soigneurs et à des vétérinaires avec lesquels elle collabore régulièrement et selon elle, ils sont unanimes et "confirment que Keijo est stimulé sexuellement". Marketa Schusterova précise que ces stimulations "arrivent. Habituellement, elles ont lieu pour obtenir le sperme et le matériel génétique [des animaux] pour le vendre ou l'offrir un autre parc à des fins de reproduction."

Et si la pratique existe, l'ONG n'avait aucune idée que cela arrivait en France "encore moins dans un parc fermé. Nous avons été très choqués de voir ce que nous avons vu".

Un contexte jugé préoccupant par les ONG

Pour autant, l'association n'a aucune image des soigneurs en train de collecter les semences de Keijo. Tide Breakers ne peut que spéculer sur les raisons de ce geste même si l'ONG estime que les raisons sont évidentes. Selon elle, il s'agit de faire du profit sur le dos des orques en vendant la semence de Keijo à des parcs aquatiques au Japon. "C'est une industrie qui vaut des milliards", selon Marketa Schusterova, qui explique que "le sperme est vendu entre des parcs qui ont un accord de reproduction".

En septembre 2024, l'association One Voice pointait dans le rapport sur l'avenir des dauphins et des orques du Marineland d'Antibes commandé par le ministère de la Transition écologique que le parc du sud de la France a signé "un contrat le 23 octobre 2023 avec la compagnie japonaise GRANVISTA Hotels & Resorts qui porte le projet de KSSW pour le don de deux orques et le prêt des deux autres dans un but de reproduction (historiquement pratiquée par le Kamogawa Seaworld appartenant au même groupe), d'éducation du public et de recherche scientifique sur le comportement animal".

Par ailleurs, le Japon vient de perdre sa seule et unique orque mâle en captivité, Earth. Une donnée qui fait dire à l'association Tide Breakers qu'"il est très possible que le sperme [de l'orque Keijo] sera envoyé au Japon ou en Chine où l'insémination artificielle est régulièrement pratiquée sur des orques en captivité".

Marineland dément

Une version que conteste Marineland. Le parc aquatique d'Antibes confirme la véracité des vidéos publiées par l'ONG mais parle d'une pratique nécessaire alors que Keijo a atteint sa puberté. L'orque née en novembre 2013 "arrive à l'âge de l'adolescence avec des pulsions sexuelles de plus en plus fortes", peut-on lire dans le communiqué transmis à franceinfo. "Afin d'éviter des rapports consanguins avec sa mère mais également afin d'éviter qu'ils se battent et se blessent, Marineland a décidé de stimuler sexuellement Keijo afin de faire baisser les tensions" dans leur bassin. Un geste "spectaculaire" mais "naturel et totalement indolore pour les animaux" poursuit Marineland, qui rappelle que "la vente de semence est interdite et l'exportation est soumise à des autorisations des autorités françaises".

Pour une autre association de défense des animaux, One Voice, il est évident qu'il s'agit ici prélèvement de sperme ou en tout cas d'un entraînement dans l'optique d'un futur prélèvement. Muriel Arnal, présidente de l'association, parle d'une pratique qui "a pu être vue dans d'autres delphinariums pour ensuite procéder à des inséminations artificielles".

"Des scènes absolument épouvantables, très choquantes" qui contreviennent "totalement à l'esprit de la loi de 2021 qui dit 'on arrête la reproduction'. C'est choquant parce que Keijo n'a que douze ans et, en plus, on a de la consanguinité" dans son patrimoine génétique. "Son père et sa mère sont [demi]-frères et sœurs. Donc tout est choquant dans cette exploitation" s'insurge Muriel Arnal.

L'ONG de défense des animaux accuse le Marineland d'Antibes de "raconter absolument n'importe quoi". One Voice explique que "dans les delphinariums, on maîtrise la reproduction de ces animaux qui sont sous médicaments pour ne pas se reproduire" avant d'ajouter que le "Marineland nous prend pour des imbéciles. Et malheureusement, le ministère fait beaucoup d'annonces. Il n'y a pas de concret". Muriel Arnal fait ici référence à la situation actuelle des orques et de douze dauphins, coincés à Marineland, faute de solution.

L'association Tide Breakers appuie également cette théorie et argumente que "plus on stimule l'orque, plus elle sera sexuellement active".

Une pratique exceptionnelle

De l'avis d'une ex-soigneure de cétacés qui souhaite rester anonyme, en effet, "les orques comme les dauphins dans des groupes sociaux mixtes sont sous contraceptifs" pour "contrôler les naissances". Les femelles prennent du Regumate. "Or, ces contraceptifs ne peuvent pas être pris en continu à cause d'effets secondaires comme des kystes, des changements hormonaux et comportementaux, des cancers" ou encore "des cycles irréguliers".

L'ex-soigneure explique que "Wikie [la femelle du Marineland d'Antibes] est sous Regumate et lors de périodes de pause, elle doit être séparée de son fils." Selon elle, "ici, il ne s'agit pas de collecter la semence de Keijo mais malheureusement de le décharger" puisque le cétacé "cherche constamment à s'accoupler avec sa mère qui le rejette brutalement". Il ne s'agit donc pas d'une pratique courante dans les parcs aquatiques, mais d'un protocole vétérinaire d'urgence testé par le Marineland d'Antibes "pour subvenir à la frustration sexuelle de Keijo" d'après cette ex-soigneure.

Aucune autorisation délivrée, ni demandée

Sollicité, le ministère de la Transition écologique, de la Biodiversité, de la Forêt, de la Mer et de la Pêche rappelle la réglementation. En effet, "les dispositions de la loi bien-être animal interdisant la reproduction en captivité des cétacés ne sont pas encore en vigueur. Elles seront applicables à compter du 2 décembre 2026".

En revanche, "les opérations de reproduction sont encadrées" et "la semence est soumise aux obligations de la Convention CITES, toute exportation est donc soumise à la délivrance préalable d'une autorisation administrative après demande par le Marineland (soit CIC pour un transfert intra-UE, soit un permis d'exportation pour une destination hors UE)" explique le ministère.

Il n'y a donc ni autorisation, ni demande d'autorisation en cours puisque le sujet de la vente des semences de Keijo n'est pas d'actualité au Marineland d'Antibes. Par ailleurs, le Marineland d'Antibes souligne "l'extrême urgence de transférer les animaux afin que Keijo puisse rencontrer d'autres femelles que sa mère."

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