Fortes chaleurs : pourquoi le confort d'été dans les bouilloires thermiques reste l'angle mort de la rénovation des logements
L'an dernier, 42% des Français ont déclaré avoir souffert d'un excès de chaleur dans leur logement. Face au phénomène dit des bouilloires thermiques, les rénovations sont encore à la traîne.
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La température devrait franchir les 35°C du Gard à l'intérieur de la Provence, lundi 14 juillet. Avec cette chaleur estivale, selon les mots de Météo-France, le sommeil des habitants des bouilloires thermiques pourrait être pénible. Ce terme, qui désigne les logements invivables sous les fortes chaleurs, concerne des millions de foyers en France. "En 2024, 42% des personnes interrogées ont déclaré avoir souffert d'un excès de chaleur dans leur logement pendant plus de 24 heures", rapporte auprès de franceinfo le Médiateur national de l'énergie. Dans son baromètre, 26% d'entre eux pointaient "une mauvaise isolation" comme raison de ce sentiment de surchaleur, et 12% une "mauvaise ventilation".
"C'est un phénomène assez massif", déplore Maïder Olivier, chargée de plaidoyer climat à la Fondation pour le logement des défavorisés. "Ces chiffres de 2024 sont révélateurs : il ne s'agissait même pas d'une année caniculaire" dans l'Hexagone, continue-t-elle, soulignant les "très fortes inégalités sociales et territoriales" sous-jacentes. Alors que l'été 2025 a démarré avec une canicule précoce et que Météo-France annonce qu'en 2050, il y aura une chance sur deux de subir une vague de chaleur estivale dans une France à +2,7°C de réchauffement climatique, le problème est amené à s'intensifier.
Des travaux d'hiver sans se soucier de l'été
Or, "l'adaptation des logements aux vagues de chaleur reste un impensé" politique et la réhabilitation "des bouilloires thermiques est insuffisamment intégrée aux dispositifs d'aide à la rénovation", déplore la Fondation pour le logement des défavorisés dans son rapport annuel. Si le confort d'été est bien un critère dans la construction de bâtiments neufs depuis 2005, pour ce qui est des rénovations, il est en effet bien moins pris en compte.
"Aujourd'hui, la réhabilitation est très orientée atténuation, donc réduction de la consommation d'énergie. Et ça, on sait très bien le faire", témoigne Florence Bovet. Aux manettes de réhabilitations depuis une quinzaine d'années, cette directrice du patrimoine chez le bailleur social francilien Sequens fait "le constat qu'on ne sait pas si on prend bien en compte l'adaptation et le confort d'été. Le problème, c'est qu'une réhabilitation nécessite des investissements importants, on n'y revient pas tout de suite."
"Est-ce que notre bâtiment réhabilité est compatible avec le climat de 2050 ? Personne ne sait répondre à cette question."
Florence Bovet, directrice du patrimoine du bailleur social Sequensà franceinfo
"Les travaux faits pour l'hiver vont souvent aussi améliorer le confort d'été", rassure Etienne Marx, ingénieur au service bâtiment de l'Ademe. Mais une grande partie de ces chantiers restent insensibles aux problématiques des fortes chaleurs. Les travaux n'intègrent pas l'installation de volets ou de brasseurs d'air, par exemple. "En 2024, sur 90 000 rénovations d'ampleur financées par l'Agence nationale de l'habitat, seules quelques dizaines ont intégré un geste de confort d'été", déplore un rapport de la Fondation pour le logement des défavorisés, qui a annoncé son soutien au dépôt d'une proposition de loi sur le sujet, fin juin.
Et "dans certains cas, des bâtiments isolés [pour l'hiver] vont même retenir encore plus la chaleur l'été", explique à franceinfo Etienne Marx. L'expert évoque un point de vigilance : "Pour faire face aux fortes chaleurs, il vaut mieux privilégier une isolation par l'extérieur", décrit-il. "Si au contraire, on met l'isolant à l'intérieur, on se coupe des parois en pierre, en béton ou autre, alors qu'elles ont une capacité à stocker la chaleur. Et la chaleur de l'ambiance intérieure ne pourra plus 's’évacuer' dans le mur." Les travaux peuvent ainsi faire plus de mal que de bien.
Un confort d'été insuffisant même avec un bon DPE
Résultat : selon une étude commandée par le syndicat d'industriels Ignes, "un logement performant énergétiquement ne garantit pas systématiquement un bon confort d'été, loin de là". Le document rapporte que 31% de logements classés A après un diagnostic de performance énergétique (DPE) sont jugés "insuffisants au regard du confort d'été", désormais inclus dans ce même DPE, "et seulement 10% atteignent le niveau 'bon'".
"C'est ce qu'on appelle de la mal-adaptation : on cherche à répondre au problème de passoire thermique, mais en ne prenant en compte que le froid, on ne va pas améliorer le confort d'été, ou même l'aggraver."
Maïder Olivier, chargée de plaidoyer climat à la Fondation pour le logement des défavorisésà franceinfo
"En discutant avec nos locataires, ils nous disent que leur logement est plus confortable l'hiver. Mais arrivés en été, ils disent aussi qu'ils ont chaud, rapporte Florence Bovet. C'est qu'on ne traite pas correctement le confort d'été." Alors que le bailleur réhabilite 4 000 logements par an, la "préoccupation" de Florence Bovet, aujourd'hui, est "de ne pas faire de mauvais choix de travaux".
Une récente prise de conscience
Cette préoccupation est plus largement partagée depuis deux ans, selon cette ingénieure. En témoigne cet appel de France Rénov', le service public dédié : "Hiver comme été, rénovez !" Les différents interlocuteurs de franceinfo constatent tous une prise de conscience récente sur le sujet des bouilloires thermiques. En témoigne la mise en place, en 2021, de l'indicateur de performance des logements du point de vue du confort d'été passif (c'est-à-dire sans prendre en compte la climatisation) : un "smiley" à trois niveaux (bon, moyen, insuffisant) inscrit sur le DPE. S'il est encore jugé largement insuffisant, il a eu le mérite d'alerter sur cet enjeu. Ils saluent aussi les évolutions de MaPrimeRénov' : depuis début 2024, les dépenses pour l'installation de protections solaires extérieures et de brasseurs d'air sont en effet éligibles aux aides dans le cadre d'une rénovation d'ampleur.
Pour les acteurs, c'est aussi la course à la bonne solution. Dans le cadre de l'action collective Nos Villes à 50°C, plusieurs acteurs, dont Sequens, se sont lancés dans des expérimentations. "Dans les outre-mer, ils ont des volets ajourés pour laisser passer l'air la nuit", souligne Florence Bovet, qui veut s'en inspirer, et travaille sur trois projets de réhabilitations "modèles". Pourquoi pas les "cool roof", ces toitures peintes en blanc pour renvoyer les rayons du soleil ? "On va tester le vitrage solaire aussi, qui filtre une partie du rayonnement", ajoute-t-elle.
Outre ces innovations, Etienne Marx, de l'Ademe, rappelle qu'il existe des solutions déjà éprouvées : "privilégier l'isolation par l'extérieur quand on peut", "mettre des protections solaires aux fenêtres", "améliorer l'aération du logement avec des brasseurs d'air ou des ouvertures traversantes", ou encore "réfléchir à son aménagement intérieur pour faire circuler l'air, quitte à ouvrir un mur". Quant à l'isolation des murs et de la toiture, mieux vaut utiliser "les matériaux les plus denses, puisqu'ils vont amener une notion qui s'appelle le déphasage thermique, qui est la capacité d'un matériau à retarder l'entrée de chaleur dans le logement", explique France Rénov', citant la fibre de bois et les laines minérales.
Il faut "massifier ce type de travaux" à l'avenir
Le gouvernement semble en être aussi convaincu. Dans son récent Plan national d'adaptation au changement climatique, il dit aussi vouloir accélérer sur ce sujet. Il reconnait que "les données existantes sur la performance du parc de bâtiments vis-à-vis du confort d'été sont aujourd'hui insuffisantes" et veut les compléter. Mais aussi évaluer "la pertinence technique, économique et environnementale" des solutions, et améliorer l'indicateur de confort d'été. L'objectif final est de "massifier ce type de travaux".
Ce premier pas est salué par les acteurs. Mais ces derniers soulignent le manque de cadre légal et de financements accordés à ces promesses, et attendent des mesures concrètes. La suspension récente des aides aux rénovations globales de MaPrimeRénov', "qui avaient le mérite de prendre en compte le confort d'été", est "alarmante", juge Maïder Olivier. "Ça touche directement le financement du confort d'été. Vu le contexte caniculaire en cours, on se demande comment le gouvernement va tenir cette position-là."
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