: Interview "Porter un de mes bijoux, c’est emporter avec soi un discret fragment de l'histoire du vivant" : Sophie Bouilhet-Dumas, la créatrice de la joaillerie Mira Stella
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La créatrice conçoit ses bijoux à partir de la nature : "quand j’ai commencé à travailler mon jardin, là où les autres voyaient des fleurs, je voyais des bijoux", dit-elle.
Issue de la famille fondatrice de la maison Christofle, Sophie Bouilhet-Dumas témoigne, avec ses collections, son attachement aux métiers de l’orfèvrerie et de la joaillerie. Elle a exercé ses talents de directrice artistique pour le porcelainier anglais Thomas Goode et a aussi imaginé des objets pour Hermès, Burberry ou Paul Smith avant de fonder sa maison Mira Stella. Rencontre avec une créatrice passionnée de nature qui sublime les formes naturellement présentes dans le vivant.
Franceinfo Culture : Pourquoi votre joaillerie porte-elle le nom de Mira Stella ?
Sophie Bouilhet-Dumas : Mira Stella est la réunion de deux prénoms de femmes amoureuses des jardins naturels et des fleurs, celui de ma mère, Mirabelle, et de Stella, mon arrière-grand-mère. J’ai voulu rendre hommage à celles qui m’ont insufflé cette passion mais aussi la vie. Mais, hasard poétique, Mira Stella signifie aussi Regarde l’étoile en latin. Et, si mes collections de bijoux célèbrent le vivant dans ce qu’il a de plus humble et de discret, comme une graine ou un pétale de fleur, chacune renferme un monde.
Cette invitation à "regarder l’étoile" devient alors double : elle nous invite à porter notre regard vers l’infiniment petit qui nous entoure, à en découvrir la beauté cachée mais elle nous rappelle aussi que ces fragments de vie sont le reflet d’une harmonie plus vaste. Car c’est la même force qui anime la plus petite semence et aussi celle qui fait briller les étoiles. Je suis convaincue qu’en contemplant le microcosme, nous touchons au macrocosme, et que c’est dans cette complémentarité que se révèle la poésie de l’existence.
Vous dites : "Quand j’ai commencé à travailler mon jardin, là où les autres voyaient des fleurs, je voyais des bijoux "... Vos collections rendent hommage aux formes naturelles que vous avez pu y observer ?
En créant un jardin, on prend goût à observer l’infiniment petit qui devient un monde en soi. Ces formes naturelles et discrètes existent depuis bien plus longtemps que notre espèce : imaginez que la graine de Chou Maritime ou le pétale d’Hortensia ont au moins 60 millions d’années. Des échelles de temps qui nous rendent bien petits. À chaque printemps, leur renaissance pose la question de la fragilité du vivant mais heureusement les plantes ont développé des stratagèmes de survie qui sont au-delà de tout ce que l'on peut imaginer.
En créant la marque Mira Stella, je peux remercier la beauté de la nature essentielle à l’équilibre de notre existence et puis, j’appartiens à la famille fondatrice de la maison Christofle où la tradition de sublimer des formes végétales en métal argenté à l’échelle était une source d’inspiration pour la création. Rêvasser devant le plateau à thé en forme de feuille de paulownia ou le couvercle d'une soupière en forme de brocoli au musée Bouilhet-Christofle a dû jouer inconsciemment un rôle dans cette direction stylistique très niche.
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L'histoire de votre joaillerie débute dans un jardin du pays de Caux dont vous avez hérité. En 2009, pour sa réalisation, vous avez fait appel à Mark Brown, botaniste et artiste anglais.
Dix ans avant de réaliser ce jardin, j’ai découvert le travail de Mark Brown à travers le magnifique livre consacré à son œuvre Jardin des champs. Souffle de la nature. J’avais trouvé tellement merveilleux ce qu'il racontait, de faire revenir la biodiversité en respectant le rythme de la nature. Lorsque je vivais en Angleterre, j’avais eu l’occasion de découvrir l’approche naturaliste du jardin anglais, dans le même esprit que celui créé par ma mère dans les environs de Paris.
Mark Brown est féru de paléobotanique et s’attache à réactiver des paysages primitifs dans son jardin planté d’espèces remontant à plusieurs millions d’années. Il se trouve que nous habitons la même région et que j’ai eu la chance de le rencontrer. Aussi, lorsque j’ai décidé de transformer les pâtures qui entouraient ma maison en un véritable jardin, cette collaboration s’est imposée naturellement. Son rôle a été essentiel tant il est talentueux et à l’écoute du vivant. Aujourd’hui, quand j’aperçois un chevreuil à l’aube ou un lièvre prendre un bain de soleil, je me dis que nous avons réussi notre projet.
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Vous souhaitiez un jardin au naturel qui dialogue avec la biodiversité du pays de Caux, entre le sauvage et le cultivé ?
En effet, mon idée était de choisir des espèces végétales adaptées au pays de Caux, puis de laisser la nature faire son travail à l’aide du vent, des insectes et des oiseaux. La chicorée sauvage et l’ancolie poussent côte à côte, avec pour voisines des variétés anciennes d’hortensias, tandis que les dahlias contrastent avec les feuilles de moutarde. Certaines plantes ont une origine locale ou un lien historique avec la région, comme le lin, qui donne à nos paysages cette touche de bleu si caractéristique. Cette plante aux mille usages est cultivée depuis le XIIIe siècle en Haute Normandie et fait la fierté du pays de Caux, qui en est le premier exportateur mondial.
À cette histoire du lieu, viennent s’entrelacer des éléments de mon histoire personnelle, comme le rosier Lisette, un cadeau d’un ami auquel je pense chaque mois de mai lorsque les fleurs s’épanouissent ou encore cet arbuste de bois de reinette qui est né de graines que mon mari m’a rapportées d’un voyage au Moyen-Orient. C’est très ressourçant de faire pousser toutes ces variétés de plantes, car elles sont bien plus anciennes que nous et ont évolué vers des formes toujours plus belles et intelligentes. Plus nous passons du temps au contact de la nature, plus l’ingéniosité des formes et la délicatesse des teintes exercent un pouvoir d’émerveillement.
Vous avez toujours eu une fascination pour les plantes et leur histoire ?
Cultiver un jardin est une passion qui s’est transmise par les femmes du côté de ma famille maternelle. J’ai grandi avec une mère jardinière qui avait créé de toutes pièces un jardin d’ombre et de lumière, plein de charme qui semblait lui apporter beaucoup de satisfaction. Elle avait appris le métier auprès de ses grands-parents maternels, qui étaient rosiéristes amateurs à leurs heures perdues, à Knokke-Le-Zoute (Belgique).
Avec mon mari, j'ai hérité de ce terrain en Seine-Maritime. C'est un projet qui a mis une quinzaine d'années à aboutir. C'était à un moment de ma vie où je sentais qu'il fallait que je me pose par rapport à ma vie familiale. Mes trois enfants étaient alors très jeunes et j’ai ressenti le besoin de travailler à un rythme différent, pour pouvoir leur consacrer du temps. C’était un moment où je pouvais alors réfléchir à la réalisation d’un jardin naturel et compter sur l’expérience de Mark Brown, pour créer sur ce terrain en friche, argileux et venteux et abandonné depuis 25 ans, une expansion spontanée du paysage environnant.
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Vous dites : "Quand j’ai commencé à travailler mon jardin, là où les autres voyaient des fleurs, je voyais des bijoux "... Vos collections rendent hommage aux formes naturelles que vous avez pu y observer ?
En créant un jardin, on prend goût à observer l’infiniment petit qui devient un monde en soi. Ces formes naturelles et discrètes existent depuis bien plus longtemps que notre espèce : imaginez que la graine de Chou Maritime ou le pétale d’Hortensia ont au moins 60 millions d’années. Des échelles de temps qui nous rendent bien petits. À chaque printemps, leur renaissance pose la question de la fragilité du vivant mais heureusement les plantes ont développé des stratagèmes de survie qui sont au-delà de tout ce que l'on peut imaginer.
Vos collections, réalisées à la main, témoignent aussi d'un profond attachement aux métiers de l’orfèvrerie et de la joaillerie...
Ces bijoux sont le fruit d’une précieuse collaboration avec un atelier de maîtres-joailliers à Paris. La première étape se déroule en Normandie. Elle consiste à collecter et préserver les plantes : les graines et les pétales sont herborisés, puis conservés à l’abri dans mon atelier. Vient alors l’étape du dessin avant que la forme d’origine soit envoyée à Paris chez un sculpteur qui réalise une réplique, à l’échelle, en utilisant la technique très ancienne de la fonte à la cire perdue. Ceci permet de reproduire dans les moindres détails la délicatesse des structures végétales, comme les nervures. Ce moulage de précision est suivi d’un travail de reprise de fonte en or rose 18 carats.
Les bijoux sont limés et émerisés, puis polis à la main pour créer un subtil contraste entre les surfaces satinées et mates. Ce jeu de surfaces est particulièrement saisissant avec les pièces de la collection Pétale d’Hortensia. La bague, par exemple, qui reproduit la forme d’un bouton de fleur d’hortensia japonais a été réalisée à partir de quatre fontes qui s’articulent autour d’un pivot pour restituer le mouvement naturel de la fleur, tandis que la couleur de l’or rose et les finitions satinées et mates évoquent pour moi la couleur du soleil couchant.
Quel type de démarche éthique avez-vous ?
Créer des bijoux célébrant la beauté du vivant sans adopter une démarche éthique n’aurait pas de sens. Dès le début, j'ai privilégié un circuit court, du jardin à l’atelier, tout en soutenant l’artisanat de la joaillerie fine à Paris. Tous nos partenaires sont certifiés pour les pratiques responsables en bijouterie-joaillerie (Responsible Jewelry Council) dans l’ensemble de leurs pratiques professionnelles, éthique, sociale et environnementale, ce qui nous permet de garantir une traçabilité et un contrôle de qualité à chaque étape de la production. Enfin, l’or que nous employons est soit extrait dans des mines certifiées, soit de l’or recyclé ou de l’or dit "grandfathered", c’est-à-dire provenant de stocks constitués avant le 1er janvier 2012.
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Comment créez-vous vos collections ?
Mon jardin constitue une source inépuisable d’émerveillement. C’est là que je trouve l’inspiration pour les bijoux qui viendront constituer mes collections. Je choisis les plantes pour la délicatesse de leurs formes, bien sûr, mais également pour leur discrète ingéniosité et l’histoire qu’elles transmettent. L’arroche, par exemple, est originaire d’Asie centrale et de Sibérie, puis elle a occupé une place de choix dans les potagers de l’Antiquité romaine et du Moyen-Âge. Sa graine est d’autant plus fascinante quand on sait qu’elle appartient à une famille de plantes, les Amaranthaceae, qui existe depuis plus de 87 millions d’années dans nos paysages !
Il y a également les plantes voyageuses, comme le chou maritime, qui est présent sur le littoral normand et anglais depuis des millénaires, et dont les graines fécondées deviennent imperméables pour voyager sur l’eau. Ses formes, comme des mini-citrons, sont tellement ravissantes alors je les ai substituées aux billes, que l'on utilise habituellement dans la joaillerie. Ou encore les capsules ailées du bois de reinette, natif d’Australie, qui ont su franchir seules les océans et se disperser à travers tous les continents, portées par le vent et l’eau. Ces stratégies du vivant sont d’une force et d’une résilience étonnantes : j’aime l’idée que porter un de mes bijoux, c’est aussi emporter avec soi un discret fragment de cette histoire du vivant, à la manière d’un talisman.
L’hortensia occupe aussi une place, car c’est la toute première plante à fleurs que j’ai plantée. J’ai choisi la variété Teller Blue à l’occasion à la Fête des plantes de la collection Shamrock, à Varengeville-sur-Mer, organisée par Robert Mallet, expert en matière d’hortensias. C’est la première touche de couleur apportée au jardin que nous avons planté progressivement.
Après avoir été vendus dans des galeries à Paris et à Londres, vos bijoux ont trouvé leur écrin en 2022 à Saint-Germain des Près. À la manière d’un cabinet de curiosités, ils dialoguent avec des minéraux, des fleurs séchées et des coquillages.
En concevant cet espace à la manière d’une "wunderkammer" ou chambre des merveilles, j’ai voulu renouer avec cet esprit curieux des humanistes de la Renaissance qui avaient cet appétit de connaissance des secrets de la nature et désiraient en partager les trésors. Mais j’ai eu envie de faire partager aux visiteurs la vision d’autres créateurs alliant un haut savoir-faire et un regard singulier sur la nature.
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Vous y accueillez aussi des artistes ?
Depuis l’ouverture de ma boutique parisienne, quatre expositions ont été organisées. Nous avons eu la chance de présenter des pièces de la céramiste grecque Alexandra Solomos, de la créatrice Hella Jongerius, mais également, en exclusivité, des porcelaines du designer new-yorkais Ted Muehling réalisées à la manufacture du Nymphenburg.
Pour sa deuxième exposition à la boutique, Simone Perrotte s’est rendue l’été 2024 en Normandie, munie de son carnet de croquis, pour s’inspirer de l’univers végétal foisonnant de mon jardin. Le pays de Caux est un paysage familier de l’artiste qui y a passé de nombreux étés, enfant, chez ses grands-parents. De cette étude est né un ensemble de pièces uniques de porcelaine aux couleurs chatoyantes et aux lignes sinueuses peintes à la main et rehaussées d’or. Elles ont été spécialement conçues pour l’exposition et dialoguent avec mes bijoux. J’ai l’habitude de dire qu’au jardin, parmi les plantes, poussent de nombreuses idées. Cette exposition en est la parfaite illustration.
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