Reportage Du champ au dressing, à la découverte en Normandie du lin, la plus ancienne des fibres textiles, locale et durable

Article rédigé par Corinne Jeammet
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 10min
Au cœur d'un champ de lin de la coopérative Terre de lin, en Normandie, le 19 juin 2025. (CORINNE JEAMMET / FRANCEINFO CULTURE)
Au cœur d'un champ de lin de la coopérative Terre de lin, en Normandie, le 19 juin 2025. (CORINNE JEAMMET / FRANCEINFO CULTURE)

Matière naturellement écologique, cultivée en France, la fibre de lin séduit de plus en plus de créateurs tout en répondant aux préoccupations sociétales des consommateurs.

Rustique hier, le lin – qui s'affirme comme la matière de demain – séduit de plus en plus les créateurs. Mais avant d'intégrer nos dressings, cette fibre, la plus ancienne au monde, a traversé l'histoire. Cultivée de manière empirique en France depuis Charlemagne, elle a vu ensuite son exploitation redynamisée après les deux conflits mondiaux, puis à la fin des années 1990 jusqu'à une croissance continue aujourd'hui.

Installée à Saint-Pierre-Le-Viger, en Normandie, la coopérative Terre de lin, spécialisée dans la culture et la transformation du lin textile, est le plus grand acteur de la filière en amont (culture et premières transformations) avec 800 exploitations adhérentes, soit 1 000 agriculteurs. Elle cultive 20 000 hectares sur deux départements, la Seine-Maritime et l'Eure.

Rencontre en plein champ avec Laurent Cazenave, responsable communication de la coopérative, qui nous explique le processus, de la semence à la fibre, avant de rejoindre à l'usine Anne Nizery, responsable marketing et innovation, pour découvrir le parcours de l'extraction de la fibre à la filature, Passionnant !

Une culture "respectueuse de l'environnement"

Cultivé en Europe de l'Ouest sur une bande côtière qui s'étend de la Normandie, de l'Île-de-France et des Hauts-de-France, à la Belgique et aux Pays-Bas, le lin est local et durable. Sa qualité résulte de la rencontre entre un climat océanique humide, de sols généreux et du savoir-faire des liniculteurs. "Cette culture demande un climat tempéré et ne supporte aucun stress : ni trop d'eau, ni trop de chaleur, ni trop de froid, ni trop de vent, ni trop de soleil, mais il lui faut tout cela de manière alternée, du semis jusqu'à la récolte", souligne Laurent Cazenave.

"Cette culture qui se contente de l'eau est respectueuse de l'environnement, car il y a peu d'interventions phytosanitaires." C'est une culture de rotation : l'agriculteur attend cinq ans avant de revenir avec du lin sur son champ pour éviter la monoculture. Sans irrigation, sobre en fertilisants, sans désherbage, sans OGM et sans déchet, cette culture régénère les sols et favorise la biodiversité agricole. Le lin est la seule fibre textile végétale originaire de notre continent. D'ailleurs, l'Europe de l'Ouest représente 3/4 de la production mondiale de fibre de lin teillé et la France en est le leader mondial.

Un champ de lin de la coopérative Terre de lin, en Normandie, le 19 juin 2025. (CORINNE JEAMMET / FRANCEINFO CULTURE)
Un champ de lin de la coopérative Terre de lin, en Normandie, le 19 juin 2025. (CORINNE JEAMMET / FRANCEINFO CULTURE)

Si le lin est majoritairement une culture de printemps (semé entre le 15 mars et le 15 avril) qui en 100 jours va être à maturité, "le lin textile peut aussi être semé en octobre et va passer l'hiver en champs. Aujourd'hui, c'est une réponse au changement climatique", indique le responsable communication de la coopérative avant de préciser que cette modification est intervenue "au début des années 1990".

C'est un process assez particulier dans le monde agricole : à la mi-juillet, le lin arrivé à maturation est arraché par une machine puis déposé au sol. Une semaine plus tard, une autre machine récupère les graines. "La plante reste au sol pour le rouissage, une étape naturelle déclenchée par l'alternance de pluie et de soleil pour que les fibres se décollent de la partie bois. C'est une période complexe pendant laquelle l'agriculteur la retourne de chaque côté pour homogénéiser l'ensemble", explique-t-il avant d'ajouter : "Un hectare de lin produit en moyenne autour de 1 500 kg de fibres."

Des balles de lin à la coopérative Terre de Lin, à Saint-Pierre-Le-Viger, en Normandie, le 19 juin 2025. (CORINNE JEAMMET / FRANCEINFO CULTURE)
Des balles de lin à la coopérative Terre de Lin, à Saint-Pierre-Le-Viger, en Normandie, le 19 juin 2025. (CORINNE JEAMMET / FRANCEINFO CULTURE)

Cependant, "c'est une culture de niche : si l'on prend l'ensemble des fibres textiles, elle ne représente que 0,5 à 0,7% des textiles mondiaux.

Terre de lin exporte vers l'Europe 30% de sa production : on vend les fibres aux filateurs européens (principalement un Italien et le Français Safilin) et asiatiques. Cette filière européenne a été malmenée dans les années 2000 avec l'arrivée des acteurs chinois."

De l'extraction de la fibre à la filature

Après la phase amont en plaine, direction la coopérative pour l'étape du teillage. L'adhérent stocke ses boules de paille rouée enroulée, dans un hangar protégé, avant de livrer sa production à la coopérative sous forme de lots. "Notre rôle dans la coopérative est de valoriser et d'optimiser la production de l'agriculteur, donc la qualité de teillage dépend de l'humain", explique Anne Nizery, responsable marketing et innovation de Terre de lin.

Le teillage, c'est la décortication de la plante pour obtenir une fibre longue – le lin teillé, c'est le gros de la rémunération de l'agriculteur – et les étoupes – des petites fibres – mais toute la plante sera valorisée, jusqu'à la poussière utilisée dans le terreau. "On commence par broyer la paille, puis on nettoie la fibre pour éliminer les petites parties. Ce teillage est possible car il y a eu le rouissage en plaine qui favorise la décortication de la fibre", précise Anne Nizery.

Dans la coopérative Terre de lin, à Saint-Pierre-Le-Viger, en Normandie, le 19 juin 2025. (CORINNE JEAMMET / FRANCEINFO CULTURE)
Dans la coopérative Terre de lin, à Saint-Pierre-Le-Viger, en Normandie, le 19 juin 2025. (CORINNE JEAMMET / FRANCEINFO CULTURE)

Les lots sont pesés et identifiés pour une traçabilité tout au long de la production. Une fois que la fibre est extraite, les opérateurs doivent viser un lot homogène. "On a mis au point une classification des lins, car on vise à avoir une équité entre nos adhérents qui sont payés sur la base du volume et de la qualité. On a deux commissions de classification des lots selon six critères : longueur, nature, couleur, force, finesse et homogénéité." La fibre teillée va, ensuite, être peignée.

En très forte croissance depuis 2020 (+755% en cinq ans), la certification Masters of Flax Fibre garantit des pratiques agricoles raisonnées et valorise le savoir-faire des producteurs de fibre européens. La certification Masters of Linen, elle, distingue les filateurs, tisseurs et tricoteurs européens aux savoir-faire liniers qui s'engagent à privilégier un approvisionnement en lin européen. Ces lins certifiés garantissent que toutes les étapes de culture et de transformation sont réalisées par des entreprises européennes de la fibre Masters of Flax Fibre. Conscientes de la valeur ajoutée de cette différenciation, les marques sont de plus en plus nombreuses à afficher ces certifications sur leurs créations.

Image créative

Créateurs de mode, architectes d'intérieur et designers sont de plus en plus nombreux, aujourd'hui, à plébisciter le lin européen, pour son esthétique, sa naturalité, ses atouts environnementaux et sa capacité à répondre aux désirs des consommateurs.

Finies les idées reçues autour d'un lin qui se froisse, ne se porte qu'en été et reste cantonné aux couleurs ocre et sable. Il s'invite de plus en plus sur les podiums, plébiscité par les créateurs qui infusent une image créative. Il véhicule une image très positive pour sa noblesse, son esprit contemporain, ses vertus environnementales et ses propriétés fonctionnelles textile. Durable et désirable, il coche toutes les cases que recherche un consommateur plus responsable.

Collection Zegna 2025. (TAGWALK)
Collection Zegna 2025. (TAGWALK)

Selon l'étude Tagwalk 2025 (moteur de recherche spécial mode), le lin européen renforce et affine sa position au sein des marques de mode premium et luxe. Il représente jusqu'à 5% de l'offre des marques de luxe. Si sa place sur le marché est quasi stable depuis 2022, ses applications ont, en revanche, entamé une profonde transformation, explique Alexandra Van Houtte, fondatrice de Tagwalk. "L'univers du luxe n'utilise pas davantage le lin, mais il le fait mieux. Cette matière est désormais portée par les marques les plus créatives et les plus prestigieuses – de Zegna, Prada à Armani, de Ralph Lauren à Jil Sander, de Valentino à Bottega Veneta dont le directeur artistique Mathieu Blazy (parti pour rejoindre la maison Chanel) est l'un des plus fervents adeptes."

Concernant la mode masculine, les créateurs n'utilisent plus seulement le lin pour un vestiaire casual, l'intégrant désormais à un style plus affirmé et des pièces plus créatives. Mais c'est dans l'univers de la mode féminine que la transformation est la plus spectaculaire. Toujours présent dans un vestiaire cool et décontracté, il s'invite dans des pièces iconiques, comme le T-shirt J'adore Dior. Et surtout, il entre dans le segment luxe et couture plus haut de gamme. "Le lin devient plus exclusif, plus qualitatif, avec un vrai changement dans son utilisation", poursuit Alexandra Van Houtte. "Les designers le travaillent aujourd'hui comme un élément de création à part entière, profitant des nombreuses innovations de la matière. Ils diversifient ses usages, l'associant à un vestiaire plus tailoring et plus chic avec un impressionnant travail en termes de coupe ou de finition." Ce renouvellement contribue à anoblir et moderniser son image qui s'offre ainsi une nouvelle vie dans la mode.

Fibre thermorégulatrice

À l'heure où le consommateur recherche des produits qui répondent à ces attentes de bien-être, le lin a la cote et non sans raison : sa fibre a de nombreuses qualités intrinsèques. Il est thermorégulateur : frais en été, chaud en hiver, et d'un entretien facile. Une étude de la Confédération européenne du lin et du chanvre par le laboratoire Cetelor (plateforme technologique de recherche sur les fibres textiles rattachée à l'université de Lorraine) montre que "le lin a une grande respirabilité, une grande perméabilité à l'air, ce qui permet une bonne ventilation et permet donc de sécher la sueur. Il a une résistance évaporitique faible, il laisse passer la transpiration... Les Égyptiens le savaient avant nous, le lin est la première matière textile utilisée, c'est une matière qui se porte beaucoup dans les pays chauds".

Par ailleurs, ses fibres ont la particularité d'absorber les chocs, ce qui en fait aussi le matériel idéal pour des applications industrielles et pour les sports et loisirs.

Collection Falconeri 2025. (FALCONERI)
Collection Falconeri 2025. (FALCONERI)

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