"L'Empire du sommeil" au musée Marmottan-Monet : succombez à sept œuvres délicieuses de l'exposition sans tomber dans les bras de Morphée

Le saviez-vous ? Le sommeil occupe un tiers de notre vie en moyenne, et sans doute beaucoup plus chez certains individus. Jusqu'au 1er mars 2026, toutes sortes de dormeurs peuplent les allées du musée Marmottan-Monet, à Paris. Intitulée L'Empire du sommeil, sa nouvelle exposition explore tous les thèmes liés à l'endormissement, sujet qui inspire les artistes depuis l'Antiquité. Des rêves érotiques aux cauchemars, en passant par les insomnies, les paradis artificiels et les crises de somnambulisme, 130 tableaux, sculptures et objets d'art sont réunis, dévoilant l'étendue et la variété des œuvres liées au sommeil à travers les âges. Sylvie Carlier est directrice des collections du musée et commissaire associée de l'exposition avec Laura Bossi. Elle a accepté de choisir et de commenter pour nous sept œuvres parmi les plus étonnantes et les plus signifiantes de l'exposition.

1"Jean Monet endormi" de Claude Monet

Ce tableau venu du Danemark a été réalisé durant l'été 1868. Lors d'un séjour avec sa femme, qu'il rejoint à Fécamp, Claude Monet se penche sur le berceau de Jean, son premier fils. Il évoque dans une lettre à son ami, le peintre Frédéric Bazille, toute la tendresse qu'il éprouve en voyant cet enfant dormir. Il a représenté à plusieurs reprises son berceau protégé par des voiles, mais choisit ici de se focaliser sur l'abandon de l'enfant. "On le voit avec la poupée, explique Sylvie Carlier, qu'il relâche pratiquement de sa main." Claude Monet, qui fut plutôt un peintre de paysages, "saisit ici ce moment intime où l'enfant est pris dans son univers et l'abandon du corps qui se révèle dans le sommeil enfantin". Il emploie une gamme de couleurs réduite avec du bleu, des touches de rouge sur ses pommettes et celles du jouet et un camaïeu de gris et de bruns sur sa blouse. "C'est un thème qui court dans toute l'histoire de la peinture", ajoute la conservatrice. "Rubens a par exemple peint ses neveux abandonnés au sommeil et on a toute une tradition au XIXe avec des peintres suisses comme Albert Anker." D'autres toiles magnifiques avec des enfants assoupis sont à découvrir dans l'exposition, notamment la petite fille en rouge de Mon deuxième sermon de John Everett Millais (1864) et, en face, le bouleversant marchand de violettes de Fernand Pelez (1885).

2"Dormition de la Vierge" et sommeil dans la Bible

Présenté dans la vitrine consacrée aux figures du sommeil dans la Bible (en bas, à droite), Dormition de la Vierge, un groupe sculpté en bois coloré et doré, d'auteur anonyme, venu du musée des Beaux-Arts de Lyon, faisait vraisemblablement partie d'un retable. Il s'agirait d'un objet allemand du XVe siècle, en bois de tilleul. Selon la tradition chrétienne, dans les derniers moments de la vie de la Vierge, la Dormition (sommeil en latin), aussi appelée transitus (passage) précède l'Assomption. On voit les douze apôtres rassemblés autour du lit de Marie, mourante, avant qu'elle ne s'élève vers les cieux. Ce groupe "assez naïf mais très attachant", selon Sylvie Carlier, illustre le fait que dans l'Ancien et le Nouveau Testament, "le sommeil représente cet état intermédiaire, avant de passer dans l'au-delà". Présentée avec une superbe sculpture en noyer du XVIe siècle, Saint Jean endormi et une pièce en ivoire du XIVe siècle, Trois apôtres endormis, cette vitrine met en valeur la diversité des techniques employées dans l'art occidental sur ces thématiques en lien avec le sommeil.

3"Nuit et Sommeil" d'Evelyn De Morgan

Cette partie un peu plus grave de l'exposition explore les liens entre les deux enfants de Nyx, déesse de la Nuit dans la mythologie grecque : Hypnos et son frère jumeau Thanatos, le Sommeil et la Mort. Cette grande toile est signée par la peintre préraphaélite londonienne Evelyn De Morgan, morte en 1919. Elle représente Nuit prenant le bras de Sommeil qui tient une brassée de pavots, des fleurs proches des coquelicots. Leurs deux silhouettes flottent dans le ciel, le grand manteau de Nuit enveloppant complètement le corps de Sommeil. "Au XIXe siècle, le pavot était utilisé pour élaborer le laudanum, c'est une fleur symbolique de l'opium", décrypte la conservatrice du musée Marmottan. "Evelyn De Morgan a voyagé en Italie où elle a vu La naissance de Vénus de Botticelli. On le voit dans sa manière de traiter les visages de ces deux figures allégoriques." C'est l'une des rares artistes femmes présentées dans l'exposition, une raison de plus pour s'attarder sur ce tableau plein de souffle venu du Yorkshire, en Angleterre. Dans la même section, arrêtez-vous sur la célèbre photo de Victor Hugo sur son lit de mort, réalisée par Nadar en 1885 et sur le masque mortuaire qu'en fit Aimé-Jules Dalou, deux images troublantes du repos éternel.

4"La Pisana" d'Arturo Martini

Après la mort vient le désir. L'exposition consacre une belle salle, entièrement couverte de rouge, à l'érotisme que convie parfois le sommeil. Sur un petit podium, au centre, une femme de pierre, couchée sur le côté, enlace son oreiller. Il s'agit d'une terre cuite d'Arturo Martini, sculpteur italien ayant souvent traité le thème du sommeil et du rêve. "Elle a une position presque fœtale, nous fait remarquer Sylvie Carlier, comme nous lorsque nous nous recroquevillons dans un lit pour pouvoir trouver le sommeil." C'est aussi une figure de femme moderne, sensuelle que l'artiste glorifie : "Elle lui aurait été inspirée par un roman d'Ippolito Nievo, Les Confessions d'un Italien dont La Pisana était le personnage central." En pénétrant dans la pièce, la belle endormie semble bien innocente, avec son beau visage à la Brancusi. En faisant le tour de la statue pour l'admirer sous un autre angle, on la découvre une autre facette, beaucoup plus sensuelle. Particulièrement réussie, la scénographie, avec ses couleurs tranchées, entre en résonance avec chaque section de l'exposition.

5"Femme nue assise dans un fauteuil" de Félix Vallotton

Félix Vallotton peint ce petit tableau au moment où il se détache du groupe des peintres nabis, "mais il en retient les leçons", précise Sylvie Carlier. "Notamment la schématisation des formes et leur inclusion dans un décor." Ici, le fauteuil se fond presque totalement sur le sol rouge. "On a une ligne également schématique au bas des deux murs qui vient montrer un corps lové dans le sommeil", détaille la conservatrice. "Une femme nue qui s'abandonne au regard du peintre." Au fond, sur le mur de droite, l'artiste a représenté une gravure, art occupant une place importante dans son œuvre. On sait que Félix Vallotton vivait entouré de gravures, les siennes et celles de ses amis nabis. "Il renvoie de façon plastique à ce jeu qui consiste à souligner la différence entre le sol et les murs", ajoute-t-elle, décrivant ce tableau comme "un petit talisman" caractéristique de la façon dont les nabis voulaient schématiser à la fois forme et fond.

6"La Somnambule" de Maximilian Pirner

Dans la section consacrée aux troubles du sommeil, cette haute toile "offre une vision presque romantique du somnambulisme", éclaire la commissaire associée de l'exposition. Ici, une femme en équilibre sur une corniche, comme portée par le sommeil sur une fragile passerelle, au bord du précipice. "Avec cette corniche dessinée en amorce au premier plan, poursuit-elle, l'artiste renforce son effet et cette sensation d'un déséquilibre possible. On se demande si elle va y arriver en reflet de l'inquiétude que peuvent susciter les personnes atteintes de ce trouble". À noter, dans la même partie de l'exposition, un autoportrait plutôt angoissant d'Edvard Munch, les yeux caverneux, intitulé Le Noctambule et, à l'inverse, un tableau amusant de Ditlev Blunck, Le Cauchemar, dans lequel une sorte de singe à tête de lièvre apparaît sur le corps alangui d'une jeune femme. Fait-elle réellement un cauchemar ? Le doute est permis.

7 "Le Lit défait" d'Eugène Delacroix

Sylvie Carlier nous attire devant cette petite aquarelle en nous révélant qu'elle est longtemps restée dans l'atelier d'Eugène Delacroix. "Ces draps froissés nous laissent penser qu'il s'agit peut-être du lit de l'artiste et, en même temps, il reflète parfaitement ce que nous pouvons voir, nous, en sortant de notre lit, ce moment où tout nous apparaît encore un peu brouillé." Dans la section baptisée "Au lit !", découvrez aussi le grand tableau en relief avec bois, collage et polychromie d'Antonio Lopez Garcia venu de Madrid, et la petite boîte de Charles Matton, La Chambre d'un collectionneur d'art romantique, datée de 2002. Cet objet d'art étonnant est une chambre reconstituée en miniature avec une multitude de petits détails. 

Loin de nous l'idée de vouloir jouer les marchands de sommeil... mais après la visite de cette exposition, vous aurez de grandes chances de faire de beaux rêves.

"L'Empire du sommeil ", du 9 octobre 2025 au 1er mars 2026 au musée Marmottan-Monet