Vrai ou faux "La mauvaise dette chasse la bonne" : on a vérifié trois affirmations de François Bayrou sur le budget 2026

Article rédigé par Linh-Lan Dao
France Télévisions
Publié
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Le ministère de l'Economie et des Finances, à Paris, le 27 octobre 2023. (VINCENT ISORE / MAXPPP)
Le ministère de l'Economie et des Finances, à Paris, le 27 octobre 2023. (VINCENT ISORE / MAXPPP)

Lors de sa conférence de presse de rentrée, consacrée à son plan d'économies budgétaires, lundi, le Premier ministre a insisté sur le "danger" du surendettement auquel la France doit "faire face".

"Un danger immédiat pèse sur nous". Dans un climat politique tendu par l'annonce, mi-juillet, de son plan pour le budget 2026 visant à réaliser 44 milliards d'euros d'économies, François Bayrou a de nouveau insisté sur l'importance de réduire le déficit public, lundi 25 août, lors de sa conférence de presse de rentrée. Le Premier ministre a annoncé solliciter un vote de confiance de l'Assemblée nationale, lundi 8 septembre, engageant ainsi la responsabilité de son gouvernement.

A grand renfort de chiffres et d'arguments percutants, François Bayrou a tenté de sensibiliser l'opinion publique à la gravité de l'endettement public français et à l'urgence de le résorber. "La charge de la dette va devenir cette année le budget le plus important de la nation", a-t-il souligné. Une lecture contestée par certains économistes. "Sur ces deux dernières décennies, la dette s'est accrue de 2 000 milliards d'euros", a-t-il insisté, évoquant "une dépendance à la dette" devenue "chronique". Cet ordre de grandeur est confirmé par une note de l'Insee datant de fin juin, qui évalue la dette à 3 345,4 milliards d'euros au premier trimestre 2025, contre 1 157,6 milliards d'euros vingt ans plus tôt. Le Premier ministre a eu recours à plusieurs autres arguments et images dans son discours, que franceinfo a passés au crible. 

1 Une dette "consommée en dépenses courantes et en protection de nos citoyens" : plutôt vrai

"La dette, ce ne sont pas les gouvernements qui la consomment. Cette dette colossale a été consommée en dépenses courantes et en protection de nos citoyens", a expliqué François Bayrou, énumérant notamment des dépenses liées à la pandémie, aux pensions de retraites, aux salaires des fonctionnaires et à des allègements fiscaux pour les consommateurs et des entreprises. "Cet argent emprunté par centaines de milliards n'a pas été utilisé comme il aurait fallu que ce soit, pour investir", a-t-il déploré.

"Il est juste de dire que la dette n'a pas été utilisée pour investir", observe Xavier Ragot, président de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), auprès de franceinfo. Dans une note (PDF) de 2024, l'OFCE analyse la part des crises dans la hausse de la dette publique entre 2007 et 2023, une période qui englobe la crise financière des "subprimes" comme la pandémie de Covid-19. Cette augmentation "vient pour moitié des crises : il s'agit des crises financières ayant précédé l'arrivée d'Emmanuel Macron, puis de la politique du 'quoi qu'il en coûte' pendant le Covid, et enfin de la crise énergétique", résume Xavier Ragot. "L'autre moitié vient des baisses d'impôts : la suppression de la taxe d'habitation, qui coûte à l'Etat près de 20 milliards d'euros par an, la suppression de la fiscalité environnementale...", détaille-t-il. En résumé, sur les deux dernières décennies, le creusement de la dette s'explique autant par la protection fournie aux citoyens en temps de crise que par les orientations choisies par les gouvernements successifs en matière de dépenses et de recettes.

2 Une "mauvaise dette" opposée à une "bonne" : à nuancer

"Tous les économistes le savent très bien, la mauvaise dette chasse la bonne", a assuré le Premier ministre, déplorant que la dette publique n'ait pas été utilisée pour financer "de meilleurs équipements (...) des universités, des hôpitaux, des laboratoires pour nos chercheurs". L'opposition entre une supposée "bonne" dette et une autre "mauvaise" est toutefois critiquée par les économistes.

"Protéger les gens pendant le Covid ou la crise financière et émettre de la dette pour financer [cette protection] ne crée pas de 'mauvaise dette'", nuance auprès de franceinfo Olivier Blanchard, professeur d'économie au Massachusetts Institute of Technology (MIT) et ancien économiste en chef du Fonds monétaire national (FMI). "Cette dette a joué un rôle utile, sauvant des vies, sauvant des entreprises. Peut-être autant, ou plus, qu'une dette finançant un investissement public", juge-t-il.

"La dette pour gérer les crises, c'est plutôt de la bonne dette publique", abonde Xavier Ragot. "Le rôle de l'Etat est de gérer les crises macroéconomiques et de protéger les citoyens en évitant les faillites des entreprises et l'aggravation de la pauvreté. Néanmoins, il faut savoir réduire le déficit quand on sort des crises", rappelle l'économiste.

3 L'Etat, comme une "famille", ne peut laisser sa dette "à la charge de ses enfants" : trompeur

"Cet argent emprunté (...) a été utilisé pour nos dépenses courantes, dépenses courantes qu'aucune famille elle-même n'envisagerait de laisser à la charge de ses enfants", a déclaré François Bayrou. Ainsi, le Premier ministre dresse un parallèle entre la dette de l'Etat et celle d'un ménage. Or, cette comparaison n'a pas lieu d'être, selon plusieurs experts.

"La dette de l'Etat est spéciale, explique Xavier Ragot. Contrairement aux ménages qui doivent rembourser leur dette au cours de leur vie, un Etat vit très longtemps et peut donc s'endetter sur le très long terme." Un avis partagé par Mathieu Plane, également économiste à l'OFCE : "La dette publique est mutualisée", explique-t-il auprès du Monde. "Le ménage doit rembourser sa dette avant sa mort, alors que l'Etat peut transférer la sienne aux générations suivantes". "Il faut être lucide : au vu des montants en jeu, la majorité des Français sera mise à contribution. Mais cette dette publique sera réduite sur plusieurs générations", anticipe Xavier Ragot. La charge de la dette est estimée à 107 milliards d'euros en 2029, selon un rapport de la Cour des comptes paru en février.

Par ailleurs, l'Etat "dispose de leviers d'action pour moduler ses revenus, comme augmenter les impôts, ce qu'un ménage ne peut pas faire", relève le directeur de l'OFCE. "En Angleterre, au sortir des guerres napoléoniennes, l'endettement était monté jusqu'à 250% du PIB", illustre-t-il. Le pays avait réussi à réduire progressivement cet endettement jusqu'en 1914, grâce à la levée d'impôts et à une vive croissance démographique et économique, selon le site de l'Association Europe-Finances-Régulations. "De même, la dette anglaise était de 250% du PIB après la Seconde Guerre mondiale, pour décroître à 20% en 1990 par les mêmes mécanismes", relève Xavier Ragot.

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