: Vrai ou faux L'Algérie refuse-t-elle "d'appliquer le droit international" en matière de personnes expulsables, comme l'affirme Bruno Retailleau ?
L'Algérie a opposé lundi une fin de non-recevoir à la demande de la France de réadmettre une soixantaine de ses ressortissants sous le coup d'une obligation de quitter le territoire. Le ministre de l'Intérieur estime qu'Alger contrevient à un protocole d'accord qu'il a signé.
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Le torchon continue de brûler entre la France et l'Algérie. Après s'être opposés sur le statut du Sahara occidental ou le sort de l'écrivain Boualem Sansal, arrêté à l'aéroport d'Alger mi-novembre, les deux pays ferraillent ouvertement au sujet d'une liste d'Algériens expulsables fournie par Paris à Alger, vendredi. Trois jours plus tard, lundi 17 mars, l'Algérie a opposé une fin de non-recevoir à cette liste. "Les autorités algériennes ont décidé de ne pas donner suite à la liste soumise par les autorités françaises" et les ont "invitées à suivre le canal d'usage, en l'occurrence celui établi entre les préfectures et les consulats", selon un communiqué du ministère des Affaires étrangères algérien.
Dans la foulée, Bruno Retailleau a promis d'engager une "riposte graduée", "comme l'a décidé le comité interministériel sous la présidence du Premier ministre", a-t-il fait savoir sur le réseau social X, lundi soir. Le ministre a par ailleurs dit regretter "que l'Algérie refuse d'appliquer le droit international". Qu'en est-il vraiment ?
Un accord de réadmission au cœur des reproches mutuels
Bruno Retailleau reproche à l'Algérie de ne pas avoir respecté un accord de 1994, complément aux accords originels de 1968 sur les relations entre les deux pays. "Vous avez raison de dire que l'Etat algérien ne respecte pas un certain nombre des engagements qu'il a pris, qui ne sont pas dans les accords de 1968 mais qui sont dans des accords ultérieurs", a également affirmé mardi François Bayrou, Premier ministre, à l'Assemblée nationale, en réponse à une question d'Eric Ciotti, leader de l'UDR.
Le texte de 1994 évoqué par le ministre de l'Intérieur est en réalité un protocole d'accord de réadmission entre l'Algérie et la France, sur la délivrance des laissez-passer consulaires, nécessaires au renvoi d'un étranger en situation irrégulière. "Ces accords de réadmission visent à faciliter le retour des personnes qui se retrouvent en situation irrégulière. L'avantage de ces accords, c'est qu'il suffit en théorie de dire que la personne provient d'un pays A pour que le pays A s'engage à accueillir la personne", explique Vincent Tchen, professeur de droit public à l'université de Rouen. Si le pays de retour n'accorde pas ce laissez-passer consulaire, une personne qui séjournait de manière irrégulière dans un pays d'accueil ne peut pas être renvoyée.
Comme c'est parfois le cas en droit international, ce protocole d'accord n'a pas été publié mais, selon le ministère de l'Intérieur, il implique que des ressortissants en possession d'une simple pièce d'identité en cours de validité doivent être réadmis en Algérie.
"Juridiquement, l'Algérie n'a pas respecté l'accord de réadmission qu'elle avait signé."
Vincent Tchen, professeur de droit publicà franceinfo
Plusieurs cas de figure existent, complète Serge Slama, professeur de droit public à l'université de Grenoble. "Avec un passeport électronique, on est sûr de l'identité, car il y a des traces biométriques. Si les autorités françaises ont des preuves formelles que les personnes à expulser étaient algériennes, et que l'Algérie les a refusées, alors les Algériens violent les obligations qui sont les leurs."
L'épineuse question des laissez-passer consulaires
Serge Slama appelle pourtant à faire du "cas par cas" pour la soixantaine de personnes mentionnées dans la liste. "Si les autorités algériennes ne peuvent pas avoir de preuve de leur nationalité, elles peuvent exiger [que l'administration française demande] un laissez-passer consulaire et ce sont elles qui le délivrent, appuie-t-il. Le consulat fait des vérifications et s'il est sûr, il l'accorde. Les Algériens traînent souvent des pieds sur cette question." Comme l'affirmait fin février une source proche du dossier à franceinfo, les autorités algériennes "contestent la nationalité pour des personnes qui ont, par exemple, brûlé leur passeport, et vont faire échouer des éloignements dont ils savent que cela va affaiblir la position de la France".
En 2024, environ 42% des 5 000 demandes de laissez-passer consulaires formulées par la France ont été acceptées dans les temps par les autorités algériennes, selon les chiffres obtenus par franceinfo fin février auprès de la Direction générale des étrangers en France (DGEF).
De son côté, en rejetant cette liste, l'Algérie a dit n'être "animée que par le souci de s'acquitter de son devoir de protection consulaire à l'égard de ses ressortissants", d'après le communiqué publié lundi. Il est important, défend Alger, de "veiller au respect des droits des personnes faisant l'objet de mesures d'éloignement".
"Sur la forme", l'Algérie a estimé que Paris "ne pouvait pas unilatéralement et à sa seule discrétion remettre en cause le canal traditionnel de traitement des dossiers d'éloignement", celui qui relie chaque préfecture française au consulat algérien de sa zone. "Sur le fond", Alger a rappelé l'existence des accords bilatéraux de 1974 et 1994 qui restent "le cadre de référence principal en matière consulaire entre les deux pays". Par ailleurs, "la position de l'Algérie se défend", note Vincent Tchen, car les personnes que la France souhaite expulser "résidaient régulièrement sur le territoire français".
Un "problème diplomatique" plus qu'un problème de droit ?
Reste que les deux camps s'accusent mutuellement d'enfreindre le droit international, sans arbitre pour déterminer qui a raison et qui devrait être sanctionné. "La Cour internationale de justice (CIJ) sert théoriquement à cela, car elle est conçue pour trancher des désaccords dans l'application de conventions", assure Serge Slama, qui précise que la France "ne reconnaît pas la juridiction obligatoire de la CIJ", ce qui enlève aux décisions qu'elle pourrait prendre tout caractère contraignant.
"Ce n'est pas une réponse de droit, parce que chaque partie a raison dans sa logique, juge Vincent Tchen. On peut raconter n'importe quoi, car aucun juge n'interviendra là-dedans. De toute manière, la seule sanction reste l'article 55 de la Constitution, si la réciprocité n'est pas respectée." Cet article dispose que "les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre partie".
La France et l'Algérie utilisent donc cette question juridique pour avancer leurs pions dans cette crise interminable. "Ce n'est pas un problème de droit, c'est un problème diplomatique", insiste Vincent Tchen, alors que Bruno Retailleau défend une ligne plus dure que d'autres au sein de l'exécutif, comme le ministre des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, et Emmanuel Macron.
Plusieurs responsables politiques, à commencer par le ministre de l'Intérieur, estiment que la France pourrait aller encore plus loin et dénoncer les accords de 1968. "C'est sur la table", a martelé Bruno Retailleau au micro de Sud Radio, mercredi, après les appels du Rassemblement national à acter cette rupture totale avec Alger. Pourtant, ces accords de 1968 et leurs principaux avenants (1985, 1994 et 2001) ne peuvent pas être dénoncés unilatéralement car il n'existe pas de clause en ce sens, rappelle Serge Slama. "On montre les muscles, mais jusqu'où va-t-on aller ? Le mieux serait de renégocier les accords", préconise-t-il. C'est d'ailleurs la position officielle du président de la République. "Je suis totalement favorable, non pas à [les] dénoncer, mais à [les] renégocier", a-t-il affirmé auprès du Figaro, début mars.
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