: Transparence Comment le groupe France Télévisions s'y prend-il pour respecter l'équilibre des temps de parole politique sur ses antennes ?
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Gilles Bornstein, éditorialiste et intervieweur politique pour franceinfo et "Les 4V", sur France 2, Cyril Guinet, responsable du pluralisme à France Télévisions et Francis Letellier, présentateur de "Dimanche en politique", sur France 3, racontent la complexité du respect de l'équilibre des temps de parole.
C'est un exercice d'équilibriste auquel doivent se livrer les chaînes de télévision et de radio depuis 1986 et le vote de la loi relative à la liberté de communication. Gilles Bornstein ("Les 4V", franceinfo) et Francis Letellier ("Dimanche en politique") reviennent sur la complexité du respect de l'équilibre des temps de parole. Cyril Guinet, directeur du pluralisme et de la déontologie à France Télévisions, détaille quant à lui les règles fixées par l'Arcom, dans le cadre de notre page Une information transparente.
"Attention, nous sommes très en retard sur l'exécutif et sur Renaissance (...) il faudrait aussi inviter au moins deux petits partis avant le 30 septembre...", écrivait Cyril Guinet en septembre dernier aux responsables de toutes les émissions politiques de France 2. Plusieurs fois par trimestre, le responsable du pluralisme alerte les équipes, chaîne par chaîne, sur l'évolution de l'espace accordé sur les antennes aux différents partis politiques, et formule des préconisations. Il est chargé de l'équilibre des temps de parole et de leur présentation à l'autorité de régulation chaque trimestre.
Un casse-tête mais des règles de l'Arcom
Ses équipes les mesurent chaque jour, à la seconde près, dans les émissions d'information, les magazines, et les documentaires. Depuis neuf mois, France Télévisions publie d'ailleurs ces chiffres sur la page "Une info transparente".
"Les temps de parole sont encadrés par une réglementation qui a été prise par l'Arcom, le nouveau nom du CSA, explique Cyril Guinet. Cette réglementation s'applique à l'ensemble des diffuseurs, l'ensemble des chaînes de télévision, qu'elles soient généralistes ou chaînes d'information. L'autorité prévoit deux grandes périodes dans la répartition des temps de parole : la période hors électorale et la période électorale. Actuellement, nous sommes en période hors élection."
"La réglementation impose à l'ensemble des éditeurs que, sur un trimestre, sur chaque chaîne, un tiers du temps de parole doit être attribué à l'exécutif et les deux tiers aux formations politiques, poursuit-il. L'Arcom, évidemment, ne laisse pas les éditeurs seuls pour déterminer comment ces deux tiers de temps de parole sont répartis entre les différentes formations politiques. Elle donne un certain nombre de critères pour que la répartition s'effectue. Ce principe figure dans la réglementation, de façon équitable."
Quels critères de représentativité ?
L'Arcom demande aux médias, les "éditeurs" en termes administratifs, des critères en apparence simples pour décider de la répartition entre formations politiques :
- Les résultats aux précédentes élections. En cette fin 2025, les élections législatives anticipées et les élections européennes de 2024, l'élection présidentielle de 2022, et avant cela les élections régionales et départementales de 2021.
- Le nombre et la catégorie d'élus, aux Parlements européen et français, les élus régionaux, départementaux, municipaux.
- L'appartenance à un groupe au Parlement. Il y a de fait une prime aux formations politiques qui parviennent à se constituer en groupe politique à l'Assemblée nationale et au Sénat.
- Les sondages. Ce critère, contrairement aux précédents, est donc mouvant.
- L'animation du débat électoral. Certaines formations politiques investissent le champ du débat électoral ou politique de façon très intense et d'autres beaucoup moins.
Il y a donc une marge d'interprétation. "Les critères ne sont pas si précis que ça", commente Gilles Bornstein, qui interviewe chaque année des dizaines d'invités sur franceinfo et aux "4V" de Télématin, sur France 2. De fait, à l'approche de chaque élection, plusieurs formations politiques critiquent ces critères pour essayer de gagner du temps d'antenne. "Ce ne sont pas les partis qui décident, répond Cyril Guinet. Nous sommes en relation permanente avec l'Arcom pour voir si notre interprétation se rapproche de la sienne."
Des difficultés différentes selon les chaînes
Pour franceinfo, comme pour toutes les chaînes d'information, l'énorme volume de temps de parole (50 invités par jour, dont une partie sont des personnalités politiques) en interview et en retransmission de discours, est à la fois un avantage et un inconvénient.
"Si la question de la couverture d'une réunion politique la dernière semaine d'un trimestre, avec de longs discours, se pose, il est possible que nous devions y renoncer pour ne pas faire exploser les équilibres de temps de parole."
Romain Messydirecteur de la rédaction de franceinfo
Sur France 3, dans son offre nationale, le volume est au contraire assez faible, avec une seule émission, "Dimanche en politique". "C'est un casse-tête permanent avec une offre hebdomadaire, explique Francis Letellier, le présentateur. Il faut que je programme tous les dimanches deux tendances politiques, contradictoires autant que faire se peut, et l'équilibre général doit être trouvé sur le trimestre. Donc c'est à la fois une liberté et une contrainte ; une liberté parce qu'il est plus facile de s'équilibrer seul. Mais le revers de la médaille, c'est que si un parti politique doit être présent à l'antenne, [il pèse] pour toute la chaîne."
Sur France 2, la problématique est encore différente, avec la cohabitation d'émissions à fort volume de temps de parole et à la programmation mouvante, comme "L'Evénement", et des émissions quotidiennes au volume plus modeste mais quotidiennes comme "Les 4V". Les journaux télévisés invitent aussi des politiques, en fonction de l'actualité chaude, donc par définition au dernier moment. "Nous devons nous livrer à un exercice extrêmement contraint, dans une équation dont on ne connaît pas tout à fait les inconnues, explique Gilles Bornstein. En bout de chaîne, c'est nous, avec 'les 4V', qui sommes obligés de remettre les choses à niveau et rattraper l'équilibre de la chaîne, parce que nous avons des invités tous les jours. Et puis notre durée est relativement convenue, prévisible."
"Le troisième trimestre, pour toutes les chaînes du groupe, est particulièrement compliqué, puisque qu'il comprend les vacances d'été. Toute la contrainte est donc concentrée sur quelques semaines."
Cyril Guinetdirecteur du pluralisme à France Télévisions
Avant la fin du troisième trimestre, France 3 a dû programmer une émission spéciale, certes très intéressante dans l'actualité du moment, mais en partie liée au respect in extremis des temps de parole. A la question "Vous est-il arrivé de lancer des invitations pour le respect des temps de parole plus que pour l'intérêt d'actualité ?", les deux journalistes politiques répondent oui, avec quelques nuances. "Nous essayons de programmer un petit peu en avance [donc hors actualité] certains partis politiques" explique Francis Letellier. "Il nous faut être sûrs qu'ils seront disponibles, parce que les plus petites formations n'ont pas autant de têtes d'affiche que les grandes. Il faut aussi qu'elles ne soient pas présentes ailleurs sur nos antennes, ou chez les concurrents au même moment. Comme leurs porte-parole ne peuvent pas se démultiplier, il faut les programmer". Gilles Bornstein, compte tenu des contraintes spécifiques des "4V", est plus catégorique : "J'ai eu à faire des choix exclusivement sur le critère des temps de parole. On ne m'a pas imposé d'invité, mais on m'a imposé l'étiquette."
"Le respect des temps de parole, un impératif que je comprends très bien, restreint temporairement notre liberté éditoriale."
Gilles Bornsteinprésentateur des "4V", sur France 2
"Nous pouvons nous retrouver en fin de trimestre avec un déséquilibre, et donc inviter ceux-ci et pas ceux-là... Si, à ce moment-là, la couleur politique que nous n'avons plus le droit d'inviter, parce que nous sommes allés au bout de son temps de parole, peut être concernée par une actualité très importante, nous ne pourrons pas la traiter avec elle. Dans ce cas-là, cela peut avoir un aspect problématique", prolonge Gilles Bornstein. "Est-ce anti-journalistique ?, questionne Francis Letellier. J'atténue un petit peu ce propos, parce que souvent l'invité politique, même quand il est invité à l'avance, peut tomber dans une actualité intéressante. Cela demande un effort d'imagination de ma part, qui est de poser des questions pour que l'invité se retrouve dans l'actualité, et s'il n'est pas dans l'actualité, de faire en sorte qu'il la fasse."
Quand les partis jouent avec les temps de parole
"Les politiques savent très bien que nous avons des contraintes de temps de parole", poursuit le présentateur de France 3. "Il y a parfois des moments stratégiques, où tel ou tel parti politique ne veut pas prendre trop la parole, parce qu'ils ne veulent rien dire, ou parce que ce n'est pas le moment pour eux. Si bien que nous pouvons nous retrouver par la suite obligés [en fin de trimestre] de les inviter quasiment tous les dimanches. Dans l'obligation de temps de parole, il y a ce que nous souhaitons et ce que les partis politiques souhaitent, souvent en fonction de leur propre tempo. Et parfois, ça ne colle pas."
"Les partis les plus aguerris choisissent le moment de répondre oui ou non à des invitations, confirme Gilles Bornstein. Ils répondent non à des invitations parce qu'ils estiment qu'il ne faut pas gâcher du temps de parole à une période où cela ne les arrange pas pour une raison qui leur est propre, et parce qu'ils ont l'assurance que, de toute façon, nous serons contraints de remettre les temps à l'équilibre et donc, de nous forcer à les inviter au moment où eux en ont davantage envie."
"C'est un jeu entre les partis et nous, dont les plus rusés savent profiter, particulièrement en période d'élection."
Gilles Bornstein
Dans ces cas-là, il faut pouvoir montrer à l'Arcom que les équipes ont bien essayé d'inviter des membres de telle ou telle formation, mais sans y parvenir. "Nous sommes encouragés par la direction de la chaîne à garder les traces des refus des invités", précise Gilles Bornstein. "Cela nous amène à conserver les textos, les mails, les réponses, voire les messages de refus d'invitation."
Une régulation nécessaire ?
Respecterions-nous l'équilibre sans l'aiguillon de l'Arcom ? Nous ne respecterions pas les temps de parole, parce qu'on irait sur une ligne de plus grande pente et peut-être de facilité à toujours vouloir inviter les mêmes personnes, reconnaît Gilles Bornstein. L'obligation est un carcan auquel il est démocratiquement difficile de renoncer. Un mal nécessaire."
"Cela relève d'abord de la morale personnelle, complète Francis Letellier, et ensuite de la déontologie. Il faut effectivement que tous les partis politiques assez représentatifs aient droit à la parole. C'est le débat démocratique. Notre rôle, surtout dans le service public, est de faire attention [au pluralisme]. Si tout le monde faisait ça, nous n'aurions pas besoin de l'Arcom. Et l'Arcom, justement, est là pour rappeler les règles, parce que certaines règles ou certains principes déontologiques n'ont pas toujours été respectés, tout simplement."
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