Faire du sport enceinte, une recommandation encore mal vue

Article rédigé par Laure Gamaury
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 12min
Faire du sport enceinte n'est pas toujours bien vu dans la société. (MARGAUX MOROCH / FRANCEINFO: SPORT)
Faire du sport enceinte n'est pas toujours bien vu dans la société. (MARGAUX MOROCH / FRANCEINFO: SPORT)

Les femmes pratiquant un sport pendant leur grossesse, font encore aujourd'hui face à des préjugés tenaces et aux regards malveillants.

"Tu es sûre qu'il ne va pas se décrocher ?". Par ces mots, la grand-mère de Charlotte Taquet, une ultra-traileuse de bon niveau, illustre la masse de préjugés toujours tenaces autour de la pratique du sport pendant la grossesse. "Ah bon, mais tu vas faire la séance de sauts. Mais, enceinte, c'est quand même dangereux, tu ne crois pas ?", a-t-on dit, lors d'un cours de pilates, à la surfeuse Johanne Defay, médaillée de bronze aux Jeux de Paris cet été, qui a annoncé récemment sa grossesse. D'où viennent ces idées reçues et comment les combattre pour ne plus associer "grossesse" et "maladie" ou "grossesse" et "faiblesse" ?

"J'ai plus souvent des femmes qui s'imaginent qu'elles ne peuvent pas avoir de pratiques sportives pendant leur grossesse que de femmes sportives qui se posent la question de savoir si elles peuvent continuer et comment", souligne Gwenaëlle Bontemps, sage-femme et co-auteure d'un livret "Je peux pratiquer des activités physiques et sportives pendant ma grossesse et après l’accouchement", sorti en 2021 à l'initiative du ministère des Sports. Selon elle, la majorité de ses patientes est persuadée que le sport est contre-indiqué pendant la grossesse. "C'est bien là tout le problème", regrette-t-elle. 

Des idées reçues encore très ancrées

"Aujourd'hui, les recommandations pour les femmes enceintes, c'est de pratiquer une activité modérée et sans traumatisme", assure Alexandra Edy, masseur-kinésithérapeute et spécialisée en pelvi-périnéologie, la discipline médicale qui se concentre sur le pelvis et le périnée. "C'est vrai que ce n'est pas encore entré dans les habitudes, mais c'est à nous, professionnels de santé et à l'entourage aussi, de passer le bon message", renchérit le docteur Carole Maître, gynécologue et médecin du sport à l’INSEP, qui suit depuis 1990 les sportives de haut niveau françaises.

Un constat que corrobore l'enquête de l'Onaps (Observatoire national de l'activité physique et de la sédentarité), datant de 2023, sur les comportements sédentaires et la pratique d'activité physique des transitions de vie de la femme. Elle pointe une diminution très nette de l'activité chez les femmes enceintes : 84,2% des interrogées assuraient ainsi qu'elles avaient fortement diminué la durée de pratique hebdomadaire de leur activité physique depuis le début de leur grossesse, et 75,8% avaient drastiquement agi à la baisse concernant la fréquence.

Entre connaissances et croyances

La pratique sportive fait pourtant, partie intégrante des recommandations de la Haute autorité de santé (HAS) depuis 2018 : "L’AP (activité physique) a de nombreux effets bénéfiques sur la santé des femmes enceintes, du fœtus et du nouveau-né, rappelle l'instance. Les risques liés à une pratique d’AP adaptée pendant la grossesse sont très faibles. Une AP adaptée, pendant la grossesse et en post-partum, doit donc être encouragée après une évaluation médicale et obstétricale et en l’absence de contre-indications objectives". 

"Il n'y a pas de risque de fausse couche spontanée, ni de prématurité ou de retard de croissance intra-utérine. Ce sont des vérités sur lesquelles il faut insister et les clamer haut et fort".

Dr Carole Maître, gynécologue à l'Insep

à franceinfo: sport

Néanmoins, les croyances ont la peau dure, comme témoigne la médecin du sport Marion Delespierre, dans le podcast "La bande à D+" : "Même si ce n'est pas avéré, j'avais peur de la fausse couche, témoigne celle qui est aussi ultra-traileuse et membre de l'équipe de France. Donc durant mes trois premiers mois de grossesse, j'ai réduit la durée de mes sorties longues, j'ai seulement entretenu mes qualités d'endurance". En tant que sportive de haut niveau et professionnelle de santé, l'athlète n'est-elle pas bien placée pour mettre à bas ces idées reçues ?

"Des préjugés sur la grossesse, je peux en dénoncer tous les jours pendant six mois", constate, elle aussi, Blandine L'Hirondel, double championne du monde de trail, également gynécologue-obstétricienne, auteure du compte Instagram lagynecosportive, sur lequel elle apporte des informations aux athlètes de tous bords pour gérer au mieux spécificités féminines et pratique sportive. Et ce ne sont pas celles qui affichent leur ventre rond en pleine course sur les réseaux sociaux qui diront le contraire : la liste des commentaires sous les posts d'Anaïs Quéméner, plusieurs fois championne de France de marathon, ou de Gesa Krause, la spécialiste allemande du 3 000 m steeple, les accusant de "stupidité" ou d'"inconscience" est sans fin.

"S'il n'y a qu'un seul conseil à retenir, c'est de pouvoir parler pendant sa pratique", conseille de son côté le docteur Carole Maître. Ce qu'a expérimenté Marion Delespierre, qui confiait sur "La bande à D+", que sa fréquence cardiaque avait pris 10 pulsations par minute au repos en trois mois. "J'ai senti assez vite un essoufflement important, à l'effort particulièrement. Je pense que le test de la parole était le bon, pour être sûre d'être dans la bonne intensité, une intensité modérée, racontait l'ultra-traileuse, désormais maman d'un petit Léon de presque un an.

"Je ne suis pas casse-cou. Quand je suis allée faire la Coupe du Monde au Portugal, les deux jours avant, je n'ai pas pu surfer le spot de compétition parce que les vagues étaient trop grosses, trop puissantes alors que j'étais enceinte. Je ne le sentais pas. Et puis, le jour J, les conditions étaient meilleures pour moi, avec des vagues plus petites, et j'ai décidé d'y aller."

Johanne Defay, surfeuse médaillée de bronze aux JO 2024

à franceinfo: sport

"Tant qu'on a affaire à une grossesse physiologique, sans pathologie grave ou contre-indications, le rendez-vous de suivi mensuel, qui se met en place à partir de la déclaration de grossesse avec son praticien, est suffisant", précise le docteur Carole Maître. Pas simple pour Charlotte Taquet de s'en contenter, elle qui explique avoir eu pas mal de doutes sur les bonnes pratiques : "A chaque rendez-vous médical, je posais pas mal de questions sur ma pratique sportive et on me répondait 'Pourquoi vous dirait-on d'arrêter de courir ?'". 

Les études en faveur de l'activité physique se multiplient

Aujourd'hui, de plus en plus d'études attestent scientifiquement du bienfait de l'activité sportive pendant la grossesse : réduction des risques de prématurité, de diabète gestationnel, d'hypertension artérielle ou encore de pré-éclampsie. "Le sport est aussi un bienfait pour diminuer les 'petits bobos' de grossesse, partage la sage-femme Gwenaëlle Bontemps. Il améliore la circulation veineuse en cas de jambes lourdes, soulage les dorsalgies, les maux de dos, diminue l'anxiété et améliore le sommeil, même quand on n'est pas enceinte", énumère-t-elle.

L'une de ces études établit d'ailleurs un rapport entre accouchement plus rapide, avec moins de complications (césariennes par exemple) et d'instruments, et pratique sportive pendant la grossesse. "On remarque souvent chez les femmes que les bienfaits qui les marquent le plus sont ceux pour leur enfant à naître, observe encore la sage-femme. L'étude qui démontre que l'activité physique pendant la grossesse joue sur le génome de l'enfant, qui aura donc plus de prédispositions génétiques à être actif plus tard, et à limiter les maladies métaboliques, tels que le diabète ou le surpoids, est un argument de premier choix pour les femmes enceintes", complète-t-elle. Sans oublier l'avantage non négligeable de limiter leur prise de poids lors d'une période où leur corps est déjà mis à rude épreuve et pendant lequel il se transforme.

Réseaux sociaux et "role models", la clé pour s'inspirer

Pour traverser cette étape de leur vie, les sportives aguerries comme celles "du dimanche" se tournent de plus en plus vers les réseaux sociaux pour trouver une information souvent manquante. "Le déclic pour lancer mon compte lagynecosportive est la demande croissante de femmes s'interrogeant sur leur pratique sportive et les conséquences sur des aspects spécifiquement féminins, raconte Blandine L'Hirondel. Leurs questions concernaient la grossesse, mais aussi les troubles de leur cycle menstruel, l'impact au niveau du périnée, la ménopause, etc. J'étais frustrée de ne pouvoir répondre que par-ci, par-là, sans pouvoir apporter un vrai savoir et de solides conseils à des femmes en demande", expose-t-elle.

"J'ai eu du mal à trouver des informations en ligne sur ma pratique sportive, enceinte, reconnaît Charlotte Taquet. Il n'y a finalement pas grand-chose de disponible. Ma chance a été de tomber enceinte en même temps que plusieurs autres athlètes", témoigne-t-elle, se réjouissant d'avoir eu des figures à suivre sur les réseaux sociaux et avec qui échanger en temps réel pendant sa grossesse. Johanne Defay a vécu un phénomène similaire : "Je n'ai pas vraiment échangé en amont de ma grossesse avec d'autres sportives de haut niveau, mais j'ai évidemment été inspirée par les parcours de Clarisse [Agbégnénou], Estelle [Mossely] en France, ou Alyson Félix aux Etats-Unis, sourit la surfeuse. Elles m'ont permis de me dire 'pourquoi pas moi ?'"

"Chacune a son histoire, son passif sportif aussi, tempère la docteure Marion Delespierre, qui racontait dans "La bande à D+", l'histoire d'une triathlète de haut niveau qui avait eu du mal à tomber enceinte. "C'était le bébé précieux, donc à l'annonce de sa grossesse, elle ne voulait plus courir du tout", se remémorait-elle, ajoutant que chaque femme est différente et doit avant tout se faire confiance, "sans vouloir copier à tout prix un modèle qu'on a dans son entourage ou sur les réseaux". S'inspirer oui, s'aliéner, non, car comme souvent, la nuance est indispensable, même et surtout avec les fameuses croyances sur la pratique sportive pendant la grossesse. Des croyances encore trop souvent véhiculées par les professionnels, qui percutent souvent de plein fouet les femmes enceintes. C'est ce qui est arrivé à Anaïs.

Des freins encore massifs chez les professionnels

La jeune femme, pratiquante très régulière de course à pied et de yoga à un niveau soutenu avant sa grossesse, s'est heurtée à une situation très déplaisante. "On m'a fait comprendre que je n'étais pas la bienvenue, témoigne-t-elle, auprès de franceinfo: sport. Je n'ai pas eu de remarque au début du cours de yoga alors que je suis arrivée avec mon ventre de grossesse de cinq mois. Mais pendant l'heure qui a suivi, le prof n'a pas cessé de faire des remarques désobligeantes et de me lancer des regards désagréables". Anaïs n'y est jamais retournée et a privilégié des cours classiques qu'elle connaissait déjà, faute de trouver un cours de yoga prénatal adapté à son niveau de pratique.

Ce genre d'expériences n'est pas isolé. "C'est plus simple d'aller dans des cours adaptés, conseille la kinésithérapeute Alexandra Edy. Dans les grandes salles, les profs sont souvent moins enclins à s'adapter et la femme enceinte doit alors avoir une conscience corporelle avancée pour elle-même, s'adapter au cours et non l'inverse", ajoute la spécialiste en pelvi-périnéologie. Et on parle ici de professionnels non-soignants.

"Ce qui me dérange le plus, c'est qu'encore aujourd'hui, plutôt que d'admettre qu'il y a des manquements sur le sujet du sport pendant la grossesse pendant nos études, on applique le principe de précaution en interdisant purement et simplement la pratique sportive enceinte".

Blandine L'Hirondel, médecin

à franceinfo: sport

"Il y a encore dix ans, on manquait de recommandations, reconnaît Carole Maître. Il y avait très peu d'études et donc on limitait la pratique, à la marche et à la natation. Et si on n'aimait pas la piscine, c'était vraiment très restreint". Mais Gwenaëlle Bontemps, sage-femme, diplômée depuis 2017, appartient à une catégorie de soignants où ces recommandations apparaissent désormais caduques : "Je n'ai pas rencontré de collègues qui s'opposaient à la pratique du sport pendant la grossesse. Certains présentent de vraies méconnaissances, mais je vois l'évolution des mentalités", salue-t-elle. Lentement mais sûrement, dit le dicton. Anaïs, elle, a aussi tenté les cours d'aquabike avec succès : "Tout le monde a été accueillant et bienveillant", se réjouit-elle. A la piscine aussi, les activités se diversifient et les regards changent.

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