Liverpool-PSG : des Beatles à Jamie Webster en passant par You'll Never Walk Alone, la culture du chant ancrée dans l'identité des Reds

Article rédigé par Andréa La Perna
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Des supporters de Liverpool brandissent leurs écharpes dans les tribunes d'Anfield, le 16 février 2025. (DARREN STAPLES / AFP)
Des supporters de Liverpool brandissent leurs écharpes dans les tribunes d'Anfield, le 16 février 2025. (DARREN STAPLES / AFP)

Le club anglais, qui accueille le PSG en huitièmes de finale retour de Ligue des champions, mardi, a forgé une partie de son identité à travers les chants de ses supporters.

A Anfield, il existe une tradition. Avant le coup d'envoi de chaque match, les 60 000 supporters de Liverpool chantent à pleins poumons You'll Never Walk Alone. L'air est bien connu des fans de football à travers le monde. Il est un hymne constitutif de l'identité du club, au point de figurer au sommet de son blason. Il retentira, mardi 11 mars à Anfield, lors du huitième de finale retour de Ligue des champions face au PSG, comme retentissent Les Corons à chaque mi-temps à Lens.

L'ambiance d'Anfield est considérée comme l'une des plus marquantes en Europe. Les Parisiens la redécouvriront, six ans et demi après leur défaite 3-2 en phase de groupes, et devront éviter de se faire happer pour rattraper leur retard d'un but. "D'autres clubs sont connus pour l'atmosphère de leur stade, mais aucun n'arrive à la cheville de Liverpool. Dans les grandes soirées, surtout européennes, Anfield prend vie. Il y a quelque chose de spécial, ce bourdonnement au sol que vous pouvez sentir avant le coup d'envoi", explique James Pearce, journaliste correspondant depuis Liverpool pour The Athletic, pour qui cette effervescence est à l'origine de grands moments de l'histoire du club, dont la remontée face au Barça en 2019 (0-3, 4-0).

"La bande-son constante motive les joueurs de Liverpool et intimide l'opposition."

James Pearce, journaliste pour The Athletic

à franceinfo: sport

Chaque soirée à Anfield ne se ressemble pas. Mais une chose ne change jamais : You'll Never Walk Alone. Contrairement à ce qu'on pourrait penser, ce chant n'a pas été créé pour le club. Sa version originale date de 1945. Richard Rodgers et Oscar Hammerstein l'ont écrite pour la comédie musicale américaine Carousel. Les années ont passé, la popularité de l'œuvre a traversé l'Atlantique jusqu'au Royaume-Uni. Déjà chantée par Frank Sinatra et Nina Simone, la chanson est reprise par le groupe de rock britannique issu de Liverpool, Gerry and the Peacemakers, en 1963.

La reprise est un carton et atteint le Top 10 du hit-parade britannique en novembre. A la même époque, le DJ d'Anfield (l'un des seuls au monde dans les stades de foot à l'époque) passe le Top 10 des ventes avant chaque rencontre. Le public se l'approprie au moment où les Reds font leur retour au sommet du football anglais. Quintuples champions nationaux à cette époque (1901, 1906, 1922, 1923, 1947), ils viennent de digérer un après-guerre compliqué, marqué par une relégation en deuxième division. L'arrivée du coach William "Bill" Shankly en 1959, qui deviendra une légende locale, a tout changé. 

Deux ères glorieuses concomitantes

Ce dernier réussit à replacer Liverpool dans l'élite en 1962 et guide l'équipe vers son sixième sacre national lors de la saison 1963-1964. C'est au début de cette dernière que You'll Never Walk Alone atteint son pic de popularité. "La renaissance du club de football sous la direction de Bill Shankly a coïncidé avec cette explosion de culture populaire dans le Merseyside [le comté autour du fleuve de la Mersey, qui traverse Liverpool]. C'était une sacrée coïncidence, mais cela a placé le club à l'avant-garde du football anglais et a même rendu nos supporters célèbres", écrit l'ancien joueur des Reds Tommy Smith, dans son autobiographie Anfield Iron (2008).

On raconte d'ailleurs que "Bill" Shankly a rencontré Gerry Marsden, le chanteur du tube, lors d'une tournée du club aux Etats-Unis à l'été 1964 et que ce dernier lui a remis une copie dédicacée du single. "Gerry, mon fils, je t'ai donné une équipe de foot et tu m'as donné une chanson", lui aurait alors adressé Shankly, d'après des propos rapportés par Marsden lui-même.

Les Beatles n'ont jamais tranché

Pourquoi cette chanson et pas une des Beatles, les stars planétaires de la ville ? Contrairement à Gerry and the Peacemakers, le légendaire groupe n'a jamais tranché entre Liverpool et Everton, l'autre club majeur de la ville. Leur manager, Brian Epstein, leur a toujours déconseillé de le faire, par peur de perdre une partie de leur audience."Il y a trois clubs à Liverpool et je suis pour l'autre", a botté, un jour, en touche George Harrison, prenant même en compte l'équipe de Tranmere Rovers, jouxtant Liverpool.

Du quatuor, aucun n'a jamais clamé son amour pour les Reds, alors qu'à la même époque, des images d'archives montrent une foule en train de hurler She Loves You à Anfield, transformant le stade en salle de concert à ciel ouvert. Paul McCartney a même fini par assumer sa préférence pour Everton, dont il a assisté à la finale de FA Cup perdue contre West Bromwich (0-1) en 1968.

"Les jours de derby, bien évidemment, je soutenais Everton. Un atavisme familial. Mais je n'ai jamais rien eu contre les Reds. Je n'étais pas un vrai fanatique."

Paul McCartney

à RadioMerseyside en 2013

Si le footballeur Albert Stubbins, attaquant des Reds de 1946 à 1953, figure sur la pochette de l'album Sgt. Pepper's Lonely Hearts Club Band (1967), aucune clarification n'a jamais été vraiment donnée. La légende voudrait que John Lennon l'ait choisi simplement parce que son nom sonnait bien.

Les années ont passé. Les Beatles se sont rapidement séparés au sommet, en 1970, mais Anfield n'a jamais cessé de chanter. Depuis les années 2010, les supporters de Liverpool sont devenus experts dans l'art de créer des chants à destination de leurs joueurs. L'Irlandais Richy Sheehy est devenu célèbre avec son titre à la gloire du trio Salah-Firmino-Mané en 2018, au point d'être invité sur les plateaux télé pour amuser la galerie.

L'impact des chants de supporters

Jamie Webster s'est engouffré dans la même brèche. Celui qui était électricien et chantait dans les pubs de la ville s'est lancé, après avoir vu un spectateur modifier Mrs Robinson, qu'il était en train de reprendre, en Jordan Henderson (l'ancien capitaine des Reds). "Puis le club m'a appelé et m'a demandé si je pouvais faire des chansons pour la télé du club", synthétise le loufoque anglais à Give me sport [article en anglais]. Sa reprise du tubo italo-disco Allez Allez Allez est devenue un symbole de l'ère glorieuse de Jürgen Klopp. Ce dernier l'a d'ailleurs surpris en lui rendant visite au cours d'un concert intimiste aux Etats-Unis pour chanter ensemble [vidéo en anglais].

Le succès de Jamie Webster, qui a multiplié les chants dédiés aux stars de l'équipe, est tel que The Guardian le qualifie de "musicien semi-officiel" du club [lien en anglais]. Avant la finale de la Ligue des champions 2019, il a chanté devant près de 50 000 personnes à Madrid. Grâce à cette popularité, Webster a lancé sa carrière solo avec des albums bien loin des chants de supporters et compte désormais plus de 400 000 auditeurs mensuels sur Spotify.

Certains médias avancent que près de 300 chants existeraient. "Je ne saurais pas dire combien il y en a exactement, tempère James Pearce de The Athletic. Mais disons que chaque année spéciale a sa chanson. En ce moment, celle qui est la plus chantée est A Liverbird Upon My Chest". Créée en 1984 par un fan, Phil Aspinall, la chanson a vu ses paroles évoluer comme un palimpseste. "Les mots originels étaient 'On gagne la ligue et la coupe en mai', mais ils ont été changés ces dernières années en 'On gagne le championnat en mai'. Ça n'avait jamais autant pris, beaucoup ne l'avaient jamais entendue. Il semble aujourd'hui que ce soit le chant de la saison", apprécie Phil Aspinall, dans les colonnes de The Athletic [lien en anglais].

La créativité des fans a permis à Liverpool de continuer à construire son identité sans la dénaturer. Pourtant, les Reds font face, comme beaucoup de monuments du foot européen, à l'hypercapitalisme, alors que la base des supporters du club est ouvrière et appartient à la classe populaire. "Il y a une peur et un débat : comment garder cette atmosphère si spéciale ? Beaucoup de locaux ne peuvent plus venir au stade à cause de la hausse des prix des places. Certains critiquent l'arrivée de touristes qui dépensent, certes, plus d'argent à la boutique du club mais prennent des photos et des vidéos depuis leur siège sans s'investir dans les chants", constate James Pearce, qui pointe une ambiance de plus en plus aseptisée, surtout pour des affiches moins attirantes. En revanche, il sait que, mardi soir, "les supporters viendront plus tôt au stade". Pour que l'ambiance soit totale, et que le cœur d'Anfield vibre à l'unisson.

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