Entretien "Cela risque d'apporter plus de problèmes que de solutions", interpelle le député à l'origine d'une tribune contre le projet de dissolution de groupes de supporters

Auteur d'une tribune signée par 60 autres parlementaires, Pierrick Courbon, député de la Loire, appelle le ministère de l'Intérieur à stopper le processus de dissolution de plusieurs groupes de supporters de football.

Article rédigé par Adrien Hémard Dohain
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 9min
Les tribunes de Saint-Etienne lors d'un match face à Grenoble, le 5 août 2023. (ROMAIN BIARD / ISPORTS)
Les tribunes de Saint-Etienne lors d'un match face à Grenoble, le 5 août 2023. (ROMAIN BIARD / ISPORTS)

Une tribune au secours des tribunes. Vendredi 21 mars, 61 députés ont signé dans Le Monde un texte pour protester contre le projet de dissolution de plusieurs groupes de supporters ultras, parmi lesquels deux de Saint-Etienne, porté par le ministère de l'Intérieur. Olivier Faure (PS), François Ruffin (Ecologiste et Social), Alexis Corbière (Ecologiste et Social) ou Sylvie Bonnet (Les Républicains) figurent parmi les 61 signataires de ce texte initié par Pierrick Courbon, député PS de la Loire, qui explique sa démarche à franceinfo: sport.

Pourquoi avoir choisi de faire cette tribune ?

Pierrick Courbon : J'ai été alerté par des associations de supporters sur les projets de dissolution à Saint-Etienne et ailleurs en France. J'ai échangé avec l'Association nationale des supporters (ANS), l'Instance nationale du supportérisme (INS), le club de Saint-Etienne… J'ai décidé d'initier quelque chose, parce que la place du football à Saint-Etienne est particulière, et la place des supporters est éminente.

C'était aussi en réponse à la méconnaissance de certains acteurs du sujet de la réalité du monde des tribunes. J'ai soumis cette tribune à plusieurs collègues parlementaires, de tous bords, qui se retrouvent sur la nécessité de faire entendre raison au ministère de l'Intérieur. On lui demande de suspendre ces projets de dissolution et de reprendre le dialogue avec l'ensemble des acteurs du football et les forces de sécurité. 

"La dissolution est une mauvaise réponse au véritable enjeu qui est de garantir la sécurité dans et autour des stades. Dissoudre les associations de supporters risque d'apporter beaucoup plus de problèmes que de solutions."

Pierrick Courbon, député PS

à franceinfo: sport

Pourquoi vous engagez-vous de cette problématique ?

Je la connais bien parce que je suis supporter de Saint-Etienne depuis l'enfance. J'ai longtemps fréquenté les tribunes de Geoffroy-Guichard et participé à beaucoup de déplacements en France et à l'étranger. Je connais ces problématiques de sécurité, d'organisation, de régulation des conflits en tribunes. En tant qu'élu, je me nourris de mon expérience, mais aussi des échanges que j'ai régulièrement avec les associations et les acteurs du football. J'essaie de porter la voix de ces associations dans le paysage institutionnel. Si on est fier de notre ferveur à Saint-Etienne, on sait qu'on le doit à nos ultras. Je voulais aussi dénoncer l'hypocrisie d'un certain nombre d'acteurs du sujet, qui vendent la Ligue 1 en s'appuyant sur la ferveur des supporters avant de les sanctionner pour les mêmes images ensuite…
 
Voir 61 parlementaires s'emparer de ce sujet, c'est une première...

C'est historique car c'est un moment historiquement grave pour les associations de supporters. La foudre peut tomber à Saint-Etienne aujourd'hui, mais d'autres groupes pourraient être menacés demain en France. Il y a un mouvement de solidarité nationale chez les supporters de football. C'est un milieu avec beaucoup de rivalité, de tension, mais aussi une forte solidarité. La diversité des territoires et des opinions politiques représentées dans cette tribune dit beaucoup.

On a aussi vu plusieurs anciens ministres se positionner contre ce projet. Pourquoi ?

Dès lors qu'on écoute les acteurs du terrain, on se rend compte que la dissolution des associations de supporters est une très mauvaise réponse, y compris en matière de sécurité et de maintien de l'ordre aux abords des stades. J'ai discuté avec des policiers, tous sont unanimes sur le fait que le jour où on perd ces associations identifiées, insérées dans le paysage et le dialogue, on ouvre une ère qui pourrait être très compliquée, avec des individus violents qui seront toujours là, sans être encadrés et régulés. Les ministres des Sports successifs, qui se sont exprimés, vont tous dans le même sens. Même Marie Barsacq est claire : il faut tout faire pour privilégier les sanctions individuelles aux sanctions collectives brutales et injustes.

"Seul le ministre de l'Intérieur s'entête dans son projet. Ce qui me laisse penser que Bruno Retailleau joue autre chose qu'une considération de sécurité publique : il a un agenda politique personnel qui l'invite à montrer une suractivité sur ce sujet."

Pierrick Courbon, député PS de la Loire

à franceinfo: sport

Ce qui m'intéresse, ce n'est pas la communication que veut faire Bruno Retailleau mais la sécurité publique. Si à Saint-Etienne on n'a pas de dérives comme ailleurs, identitaires, des mouvances néonazies, du hooliganisme, c'est parce qu'il existe des associations de supporters.

Vous dénoncez une "incompréhensible méconnaissance du fonctionnement des tribunes de football" du ministère de l'Intérieur. Ce n'est pas rien...

Il y a une vraie méconnaissance du fonctionnement des groupes ultras, et un amalgame fait avec le hooliganisme. La plupart des ultras de France ne se revendiquent pas du hooliganisme. Le ministre de l'Intérieur veut montrer qu'il agit sur tous les sujets, mais, en réalité, il n'agit pas. C'est un pompier pyromane qui veut montrer qu'il est l'homme de la situation. Or, les dossiers de dissolution sont faibles juridiquement. De toute évidence, Bruno Retailleau veut avancer coûte que coûte en étant coupé et sourd des réalités du terrain.

"Quand 146 associations de supporters, les forces de l'ordre, d'anciens ministres, des parlementaires de toutes sensibilités politiques montent au créneau, ça mérite peut-être de réexaminer la situation ? Bruno Retailleau joue contre le football. On se demande si ce n'est pas volontaire de sa part de vouloir créer le désordre."

Pierrick Courbon, député PS

à franceinfo: sport

Depuis des années, les ultras défraient la chronique. Pourquoi les défendez-vous ainsi ?

J'invite les gens à se renseigner sur la réalité de ces associations, composées d'hommes et de femmes de tous âges et de toutes conditions sociales, parfaitement insérés dans la société, mais qui sont unis par une passion pour leur club, leur ville, leur territoire. Il y a un lien affectif et émotionnel, au-delà du football. A Saint-Etienne, les ultras subliment le stade, évidemment, mais travaillent aussi sur le territoire avec d'autres structures associatives comme la Ligue contre le cancer, des banques alimentaires, des collectes pour les aides soignants. Et c'est pareil ailleurs. On est loin de la caricature de la bande d'excités. Ce sont des supporters qui vivent pour leur club, des acteurs de premier plan du football, qui a suffisamment de problèmes en ce moment pour se payer le luxe de perdre la ferveur de ses tribunes.

Vous comprenez que cette tribune puisse étonner certains, dans la mesure où elle défend les ultras après un week-end émaillé d'incidents à Paris et Montpellier ?

Je comprends, oui. Ce que nous disons, c'est que nous sommes attachés à la nécessité de garantir la sécurité au stade pour tout le monde, qui que l'on soit. Le phénomène de violence existe dans le mouvement ultra comme dans la société, je ne verse pas dans l'angélisme. Mais le jour où nous n'avons plus ces associations, il y aura beaucoup plus de problèmes. Avec cette mesure, on se tire une balle dans le pied. La violence est partout dans la société, dans la rue, dans les institutions, dans les entreprises et aussi dans les stades. Mais elle ne l'est pas plus dans les stades. 

On entend souvent les ultras dire que les stades sont des laboratoires de la répression. Vous souscrivez à ce constat ?

Aujourd'hui, la France est dotée d'un arsenal législatif complet pour résoudre les problèmes dans les stades. Il n'y a pas besoin d'aller plus loin. Les supporters ont les mêmes droits et devoirs que les autres, doivent être sanctionnés en cas de délit. Sanctionner des associations pour les actes de certains de leurs membres, c'est une dérive autoritaire qui peut interroger sur le sort réservé demain à des associations écologistes, de soutien aux migrants, de lanceurs d'alertes ou de la cause animale, par exemple.

C'est une politique attentatoire aux libertés associatives. Si demain on peut dissoudre une association de supporter à cause du comportement d'un membre, ça peut poser beaucoup de problèmes pour l'avenir d'autres associations.

Pourquoi nos voisins européens arrivent à gérer leurs supporters, à encadrer chaque week-end des dizaines de déplacements de milliers de supporters, et pas la France ?

Je crois dans l'intelligence collective, qui n'est pas à la mode aujourd'hui. On a de plus en plus de matchs qui font l'objet d'interdiction de déplacement, ce qui mobilise plus de forces de l'ordre que d'encadrer un déplacement, contrairement à ce que dit le ministre de l'Intérieur. Beauvau est dans un effet d'annonce, de communication, de la part d'un ministre en campagne pour prendre la tête de sa famille politique. Nos stades méritent mieux que cela. 

Que faut-il mettre en place ?

ll faut renforcer le dialogue, écouter les instances représentatives comme l'INS. J'appelle à de nouvelles assises du supportérisme, pour trouver des solutions. Oui à la sécurité, non à la dissolution. Il faut juste de la bonne volonté, et s'inspirer de ce qui marche ailleurs en Europe, comme des sanctions graduées. Quand je vois que les associations stéphanoises sont ciblées, mais que des groupuscules ouvertement hooligans et néonazis ne le sont pas, je me dis qu'il y a un problème. Tout le monde gagnerait à reprendre le dialogue. C'est toujours plus compliqué d'interdire un déplacement que de l'encadrer en accompagnant un cortège de plusieurs bus. 

"Il ne faut pas faire porter aux supporters la responsabilité de tous les maux de notre football, de notre société. "

Pierrick Courbon, député PS

à franceinfo: sport

Mais le ministre de l'Intérieur n'en a que faire, il ne cherche pas de solutions justes, équilibrées et efficaces, n'écoute personne, ne se nourrit d'aucune expertise, d'aucun texte parlementaire ou de travaux de sociologues riches sur ce sujet. Le ministre cherche juste une posture de fermeté, veut taper du poing sur la table, qu'importe l'efficacité des mesures qu'il propose. Les supporters ne sont pas exempts de tous reproches, mais ce ne sont pas des citoyens de seconde zone. 

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