Mondiaux de cyclisme 2025 : avec Biniam Girmay comme porte étendard, pourquoi l’Erythrée est-elle la meilleure nation d'Afrique en vélo ?

Article rédigé par Hortense Leblanc
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 8min
Biniam Girmay lors de sa présentation avant la course en ligne des Jeux olympiques 2024, à Paris, le 3 août. (MAXPPP)
Biniam Girmay lors de sa présentation avant la course en ligne des Jeux olympiques 2024, à Paris, le 3 août. (MAXPPP)

Les Mondiaux de cyclisme se déroulent pour la première fois en Afrique, au Rwanda, depuis le 21 septembre, et les Erythréens sont ceux qui ont le plus de chances de bien y figurer parmi les coureurs du continent africain.

D’un "chariot du diable" à un faiseur de rois. Autrefois surnommé ainsi car redouté par les Erythréens qui ne concevaient pas qu'un homme puisse tenir en équilibre sur deux roues, le vélo est devenu le sport national de ce petit pays de la Corne de l’Afrique, lors de la colonisation italienne de 1869 à 1941. Au point de faire aujourd’hui de l’Erythrée le meilleur pays africain en cyclisme, avec un porte-étendard, Biniam Girmay, plus grande star locale

Un accueil de digne d’une rock star, avec une foule immense réunie dans la capitale Asmara pour célébrer le maillot vert de Biniam Girmay, premier coureur noir africain à remporter une étape sur le Tour de France, et à remporter un maillot distinctif. Ces scènes, en août 2024, témoignent de la passion des Erythréens pour le cyclisme. "Chez eux, c’est culturel, souligne David Louvet, sélectionneur français de l’équipe rwandaise. Partout en Afrique, le sport roi, c’est le foot. Mais en Erythrée, c’est le vélo. Ils ont 15 ans d’avance sur nous"

Quinze ans d’avance, et peut-être même plus, tant le vélo s’est imposé dans la vie quotidienne des Erythréens depuis 1889, et le début de la colonisation italienne du pays. "Les Italiens ont amené le vélo, et dans les années 1930, il y avait même des compétitions entre les natifs érythréens et les Italiens, explique Habtom Weldeyowhannes, journaliste érythréen spécialiste du cyclisme pour BBC Nairobi (Kenya). Maintenant, peu importe où vous vous baladez dans le pays, vous verrez que les gens ont des vélos, car peu ont les moyens de s’acheter une voiture et nous n’utilisons pas les motos-taxis, comme au Rwanda par exemple, donc c’est un moyen de transport. Et si vous arrivez dans un quartier, vous verrez des enfants organiser des courses entre eux dans la rue. C’est comme ça que Biniam a commencé".

De l'altitude, et beaucoup de courses

En plus de cette riche histoire avec la bicyclette, les cyclistes locaux profitent également du relief de leur pays, avec une capitale, Asmara, qui culmine à 2 400 mètres d’altitude, et où vivent un tiers des 3,5 millions d’Erythréens. Cette topographie facilite la formation de bons grimpeurs, qui ont l’occasion, plus qu’ailleurs en Afrique, de se jauger lors de compétitions. "Leur fédération a un vrai calendrier, avec une course chaque semaine, pour toutes les catégories. Alors qu’ailleurs, ce n’est pas le cas, et si vous n’avez pas de course, vous n’avez pas d’objectif", souligne Jean-Pierre van Zyl, directeur du satellite de développement de l’Union cycliste internationale (UCI) en Afrique du Sud, par lequel est notamment passé Daniel Teklehaimanot, premier Africain à revêtir le maillot à pois sur le Tour de France en 2015, et star dans son pays. 

"Chaque année, on a des nouveaux coureurs talentueux qui sortent du lot, que les enfants peuvent voir à la télé, ça leur donne envie de devenir comme eux", vante Samson Solomon, coach de l’équipe nationale. Et même si le pays ne compte pas tant de clubs, ni de centre de formation pour le cyclisme, les jeunes participent individuellement à ces nombreuses courses. "Le vélo est très cher, mais quand ils voient Biniam ou d’autres, ils voient le cyclisme comme une opportunité d’avoir un bon futur, donc les familles sont prêtes à faire des sacrifices pour en offrir un à leurs enfants", explique Habtom Weldeyowhannes. 

Il faut dire que le niveau de vie est très peu élevé en Erythrée. Ce pays est le 175e sur 193 à l’Indice de développement humain, qui conjugue le niveau de PIB par habitant, à son espérance de vie à la naissance et son niveau d’accès à l’éducation. "En Erythrée, les coureurs ne peuvent pas vivre du cyclisme. Nous n’avons pas d’équipe continentale professionnelle, donc l’argent, éventuellement gagné sur des courses, sert juste d’argent de poche. Et quand ils courent pour l’équipe nationale, ils sont payés 200-300 dollars [entre 170 et 255 euros], pas plus que ça", reconnaît Samson Solomon. 

Les coureurs de l'équipe nationale d'Erythrée, qui ne sont pas tous professionnels, lors du Tour du Rwanda 2025, le 25 février à Musanze. (Hortense Leblanc)
Les coureurs de l'équipe nationale d'Erythrée, qui ne sont pas tous professionnels, lors du Tour du Rwanda 2025, le 25 février à Musanze. (Hortense Leblanc)

Ce manque d’équipe continentale professionnelle, pour le pays du vélo en Afrique, alors que le Rwanda en compte trois par exemple (et qu’il en existe deux au Maroc, une en Egypte et une en Algérie), Habtom Weldeyowhannes, le journaliste spécialiste du cyclisme pour BBC Nairobi, ne l’explique pas : "Je ne sais pas si c’est une histoire de moyens ou de volonté. Pour autant, les meilleurs clubs érythréens offrent des vélos et une nutrition d’une qualité supérieure à certaines équipes continentales professionnelles, notamment parce que le gouvernement distribue des aides importantes pour le cyclisme".

Le cyclisme, l'un des seuls moyens de sortir du pays

Seuls les plus chanceux, qui réussissent à être recrutés par une équipe professionnelle internationale, vivent du vélo. Ils sont 18 cette saison, dont quatre en World Tour, le premier niveau du cyclisme mondial : Biniam Girmay (Intermarché-Wanty), Natnael Tesfatsion (Movistar), Amanuel Ghebreigzabhier (Lidl-Trek) et Henok Mulubrhan (XDS Astana). Le cyclisme peut aussi représenter, pour eux, un moyen de quitter l’Erythrée, dirigée d’une main de fer par Issayas Afewerki depuis l’indépendance en 1993, et dont les frontières sont fermées. Il n’est d’ailleurs pas rare que des sportifs érythréens fassent défection et disparaissent lors de stages ou de compétitions à l’étranger. Depuis 2009, plus de 60 joueurs ou joueuses de foot ont, par exemple, fui, et l’équipe nationale a déclaré forfait pour les qualifications à la Coupe du monde 2026, afin d’éviter que certains de ses footballeurs n’en profitent pour quitter le pays à leur tour.

"Ils n’ont que deux options pour sortir du pays : soit trouver un club en dehors de l’Erythrée, soit représenter l’équipe nationale sur des Tours comme au Rwanda ou en Algérie. C’est pour cela que tout le monde veut intégrer l’équipe nationale, pour aller à l’étranger et se faire repérer."

Habtom Weldeyowhannes

à franceinfo: sport

Biniam Girmay, lui, est passé par le Centre mondial du Cyclisme, structure de formation de l’UCI, en Suisse. "Ça lui a ouvert des portes, il a pu participer à des compétitions avec des équipes européennes, et c’est comme cela qu’il a progressé, explique Samson Solomon, son ancien coach et sélectionneur. En Erythrée, il était déjà un bon sprinteur et un bon grimpeur, mais ses managers en Europe ont identifié qu’il serait un meilleur sprinteur et l’ont entraîné pour cela", ce qui en fait un talent unique dans un pays de grimpeurs.

Malheureusement pour le meilleur coureur africain du peloton, le parcours des premiers championnats du monde en Afrique est destiné aux grimpeurs. Mais il a tout de même décidé d'y participer. "Chaque année, le championnat du monde est ma seule opportunité de porter le maillot d'Érythrée car on ne sait jamais vraiment quand ont lieu les championnats d'Afrique, on est souvent prévenus deux semaines à l'avance, c'est impossible à planifier... C'est toujours sympa de pouvoir représenter son pays. J'ai discuté avec mon équipe nationale, ils ont besoin de moi là-bas, je suis content d'y aller", a-t-il expliqué lors d'une conférence de presse avant le Grand Prix de Québec, plus tôt en septembre. Il espère pouvoir se glisser dans une échappée, pour montrer le maillot de son pays, et essayer de terminer la course "car ça n'aurait pas de sens si aucun coureur africain n'y parvenait".

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