Mondiaux de cyclisme 2025 : hôte pour la première fois, l'Afrique a encore du retard à combler dans le développement de ses coureurs

Article rédigé par Hortense Leblanc
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 16min
Le peloton du Tour du Rwanda 2025, lors de la sixième étape entre Nyanza et Kigali, le 1er mars 2025. (Tour du Rwanda)
Le peloton du Tour du Rwanda 2025, lors de la sixième étape entre Nyanza et Kigali, le 1er mars 2025. (Tour du Rwanda)

Les championnats du monde de cyclisme se terminent, dimanche à Kigali, capitale du Rwanda, et bouclent la première édition en Afrique.

Uniformes impeccables, rangées d’écoliers disciplinés mais excités avant le passage des coureurs… Devant les écoles de chaque village traversé par le Tour du Rwanda en février dernier, ces mêmes scènes, qui devraient se répéter lors des Mondiaux de cyclisme accueillis pour la première fois en Afrique, du dimanche 21 au dimanche 28 septembre, par le pays aux Mille collines.

Des Mondiaux qui doivent servir à créer des vocations chez ces jeunes spectateurs, et à développer davantage un cyclisme africain dont le niveau stagne depuis quelques années. Le Rwanda souhaite en devenir la locomotive, avec des centres de formation et d'entraînement reconnus par l'UCI.

 

A quarante-cinq minutes de route de la capitale Kigali, après trois kilomètres de piste en terre ocre jonchée de trous où peu de voitures et de vélos s’aventurent, le "Field of Dreams" ("Champ des rêves" en français). Porté par l’équipe professionnelle Israel Premier Tech et inauguré en 2023, ce centre, unique dans le pays, accueille des centaines d’enfants chaque soir, qui se partagent les vélos disponibles pour arpenter une piste goudronnée longue de 1,3 kilomètre, et un pump track, une piste faite de bosses et de virages pour les amateurs de VTT ou de BMX.

Les jeunes coureurs du Field of Dreams de Bugesera, prêts à effectuer des tours de pistes lors de la réception des coureurs d'Israel Premier Tech en février 2025. (Hortense Leblanc)
Les jeunes coureurs du Field of Dreams de Bugesera, prêts à effectuer des tours de pistes lors de la réception des coureurs d'Israel Premier Tech en février 2025. (Hortense Leblanc)

Ce jour-là, à quarante-huit heures du début du Tour du Rwanda, les coureurs professionnels de l’équipe israélienne sont présents pour participer à quelques démonstrations avec la nouvelle formation de jeunes coureurs, ainsi que l’équipe féminine basée au centre, l’une des rares du pays. Dans ce district de Bugesera, marqué par le génocide de 1994, les femmes font du vélo plus qu’ailleurs, notamment parce qu’elles ont parfois dû prendre le relais d’hommes assassinés, nous apprend Isimbi, épouse rwandaise de Shaul Hatzir, philanthrope israélien qui supervise et finance en partie le projet du Field of Dreams. 

Construit autour d’une école privée qui accueille 1 600 enfants, le Field of Dreams compte aussi un centre de santé rassemblant plusieurs spécialistes, et peut offrir l’hospitalité à des équipes cyclistes qui voudraient venir s’y entraîner. Il fait donc logiquement partie des sites sélectionnés par l’Union cycliste internationale (UCI) pour devenir l’un de ses satellites en Afrique (l'autre satellite africain se situe en Afrique du Sud) et y faire émerger de jeunes talents. "Pour l’instant, on manque de datas sur les jeunes coureurs qui s’entraînent ici, mais on espère avoir plus de vélos, plus de coachs, plus de courses, et que l’équipe Israel Premier Tech puisse, à terme, repérer des coureurs et les inclure dans son effectif", rêve Shaul Hatzir.

Le vélo, avant tout un outil de travail mais parfois une dot

Si ce centre de Bugesera est une première avancée pour la détection de jeunes coureurs, celle-ci peut parfois se faire directement au bord des routes. Car le pays ne compte qu’une douzaine de clubs et qu’il n’existe pas vraiment de licence délivrée par la fédération, présidée par un ancien nageur. "Ce n’est pas très difficile de les repérer. Il y a tellement de livreurs à vélo… Hier on rentrait au centre, et un livreur, bouche fermée, suit le groupe dans une côte, en jean et en tongs, et le double même. Je pensais qu’il allait s’arrêter, mais non, il a tenu jusqu’en haut. Ça se voit parfois sur la position de nos coureurs qu’ils sont d’anciens livreurs", décrit David Louvet, sélectionneur français de l’équipe nationale du Rwanda.

Pots à lait, régimes de bananes, cannes à sucre ou bidons... Les Rwandais utilisent le vélo comme moyen de transport de marchandises. (Hortense Leblanc)
Pots à lait, régimes de bananes, cannes à sucre ou bidons... Les Rwandais utilisent le vélo comme moyen de transport de marchandises. (Hortense Leblanc)

Il faut dire que dans le pays aux Mille collines, comme dans beaucoup de pays africains, le vélo reste avant tout un outil de travail et de déplacement, pour nourrir les familles, plutôt qu'un sport. "Le vélo est très important dans la société. C’est parfois une brouette, parfois un taxi, et ça donne parfois un statut social. A Bugesera, il faut une dot quand on marie sa fille, et c’est souvent un vélo", relève David Louvet, preuve de la valeur importante d'une bicyclette. Dans un supermarché local, un VTT pour enfant est vendu 210 000 francs rwandais (135 euros), alors que le salaire moyen par mois s’élève à un peu plus de 41 000 francs rwandais pour les femmes, et 72 000 pour les hommes, d’après des chiffres de l’Institut national de statistiques du Rwanda en 2022

Avec le relief en Afrique de l’Est ou en Afrique Australe, ceux qui disposent d'un vélo développent des qualités intéressantes pour la course cycliste. "Ils vivent à 2 000 mètres d’altitude et font du vélo depuis toujours. Physiologiquement, ils ont des compétences indéniables", souligne le sélectionneur. 

Malgré ces qualités, pourquoi si peu de coureurs africains atteignent-ils le haut niveau du cyclisme mondial ? Leur nombre - huit actuellement - a réduit ces dernières années au niveau World Tour (le plus haut échelon du cyclisme mondial) et dans les autres divisions professionnelles (ProTour et Continental). Les Sud-Africains et Erythréens ont souvent fait figure d’exception et le maillot vert décroché par Biniam Girmay sur le Tour de France 2024 masque une réalité plus compliquée. Chez les femmes, seules deux coureuses africaines évoluent en World Tour, la Sud-Africaine Ashleigh Moolman (AG Insurance - Soudal) et la Mauricienne Kim Le Court (AG Insurance-Soudal), vainqueure de Liège-Bastogne-Liège et porteuse du maillot jaune sur le dernier Tour de France avant d'être détrônée par Pauline Ferrand-Prévot.

Au Rwanda, pays africain qui compte le plus d’équipes continentales (au nombre de trois), il est, par exemple, très difficile de se procurer des vélos de courses et de les réparer en cas de casse. "Pour le moment, le problème c’est le manque de bons coachs, mais aussi la difficulté de trouver des pièces détachées, souligne Shaul Hatzir, qui fournit des montures aux jeunes du Field of Dreams. Ces derniers temps, on a opté pour des vélos recommandés par l’UCI et utilisés en Erythrée, qui sont assez résistants et qui ne devraient pas nécessiter trop de réparations même s’ils passent de mains en mains"

La pauvreté empêche aussi certains coureurs de s’alimenter correctement, alors que les primes de courses mettent parfois plusieurs mois à arriver, comme le confie un jeune qui attendait, fin février, les 160 000 francs rwandais qu’il avait remportés sur une course locale en décembre. "On les prend aussi en stage pour qu’on soit sûr qu’ils mangent, qu’ils aient trois repas par jour avec des apports protéinés, car quand on n’est pas au camp de base, ce n’est pas forcément le cas", explique David Louvet. 

Aucun coureur africain n'avait terminé la course lors des Mondiaux 2023

La difficulté à obtenir des visas pour participer à des courses à l’étranger est un autre souci relevé par le sélectionneur. "Parfois, il faut attendre quatre mois pour obtenir un visa, même si on pousse au niveau des instances de l’UCI en appelant les ambassades tous les deux jours pour demander à ce que le dossier de l’athlète passe en haut de la pile, et qu’il puisse venir en Europe pour se préparer aux compétitions, acquiesce Jean-Pierre Van Zyl, directeur du satellite de développement de l’UCI en Afrique du Sud. On a besoin que les équipes World Tour le comprennent et soient patientes, parce qu’à l’heure actuelle, à niveau équivalent, elles vont préférer prendre un Danois plutôt qu’un Africain, car c’est plus simple"

Profitant de son visa, obtenu non sans difficultés, pour venir se préparer en juin en Normandie, terres de son sélectionneur, un jeune coureur rwandais a déserté sa sélection, sans donner depuis de nouvelles, en s'évaporant dans la nature. Une défection qui a provoqué l'interdiction, par les autorités rwandaises, de participer à des stages et courses à l'étranger pour ses coureurs, qui n'ont donc pas participé au Tour de Guadeloupe en juillet, et qui n'ont donc pas pu se préparer sur des épreuves labellisées par l'UCI avant les Mondiaux.  

Ces problèmes de visas sont parfois conjugués à des problèmes financiers pour se déplacer à travers le monde, et entraînent un manque de compétitivité. "Aux derniers championnats du monde, j’avais décidé de ne pas emmener les coureurs élites, parce que, n'ayant pas de compétition dans les jambes, c’est compliqué de rivaliser et ça ne sert à rien", pointe David Louvet. Au-delà des courses prévues au calendrier de l’Africa Tour, le circuit continental de l’UCI, les équipes africaines ne participent donc qu’à très peu d’autres épreuves. Et quand le niveau des épreuves africaines augmente, comme le Tour du Rwanda qui est passé d’une course 2.2 (le plus bas niveau continental de l’UCI) à une course 2.1, avec la présence de meilleures équipes, les coureurs africains ont plus de peine à y exister.

Les écoliers au bord des routes pour encourager les coureurs du Tour du Rwanda, en février. (Hortense Leblanc)
Les écoliers au bord des routes pour encourager les coureurs du Tour du Rwanda, en février. (Hortense Leblanc)

Alors que les coureurs rwandais dominaient sans partage leur épreuve nationale entre 2014 et 2019, ils se sont depuis fait détrôner par les Erythréens, meilleurs coureurs du continent, puis par les coureurs des équipes pros comme Joseph Blackmore (Israel-PremierTech) vainqueur en 2024, et Fabien Doubey (TotalEnergies) en 2025. "La nouvelle génération se confronte au très haut niveau, souligne Felix Sempoma, adjoint de David Louvet. Le niveau du cyclisme africain ne progresse pas comme il faut, il stagne. Les Marocains, Gabonais ou Ivoiriens, qui étaient redoutés auparavant, régressent". En Afrique de l'Ouest, le Tour du Bénin est la dernière course estampillée UCI après que le Sénégal, la Côte d'Ivoire, le Mali et le Burkina Faso ont perdu ce label.

"Ces compétitions 2.1, comme le Tour du Rwanda, ne permettent pas aux athlètes africains d’être présents, pour des questions de niveau, et je le déplore. Au niveau des championnats du monde, pour les élites, ça va être difficile que les Africains répondent présents aussi, il faut être honnête", reconnaît le Docteur Yao Allah-Kouamé, récemment élu président de la confédération africaine de cyclisme. Il faut dire que lors des derniers Mondiaux, seul l’Erythréen Natnael Tesfatsion avait fini la course parmi les neuf coureurs africains engagés, ce qui était déjà mieux qu’en 2023, où aucun des 17 Africains en lice n’avait terminé.

Des difficultés d'adaptation en Europe

"Il faut que les présidents africains se rendent compte que le sport, ce n’est pas seulement le foot ! Que d’autres sports peuvent aussi triompher !", clame Yao Allah-Kouamé. Le Centre mondial de cyclisme (CMC) de l’UCI tente donc de travailler avec les pays et les fédérations qui montrent une réelle volonté de se développer. Hormis l’exception érythréenne, "le Bénin ou l’Ile Maurice sont le parfait exemple que l’on peut réussir avec un vrai leader à la tête de la fédération, et nous, on est là pour poser les jalons du développement", assure Jacques Landry, directeur du CMC.

Carte de l'Afrique et du Rwanda (Franceinfo:sport)
Carte de l'Afrique et du Rwanda (Franceinfo:sport)

Dans le cadre de son programme "Kigali 2025", pour laisser un héritage des Mondiaux au Rwanda, l’UCI compte aussi sur place sur le Belge Simon Hupperetz, dépêché pour aider la fédération rwandaise à grandir. "Aujourd’hui, quand vous parlez de développement de la jeunesse à la fédération, tout le monde comprend de quoi on parle, alors que ce n’était vraiment pas le cas il y a trois ans, explique le représentant de l'instance internationale. On concentre nos efforts sur les moins de 15, 17 et 19 ans, pour extirper les meilleurs, et les sélectionner pour le Tour du Rwanda ou les épreuves internationales. Dans le milieu du cyclisme africain, il faut être extrêmement fort pour sortir du lot. Et c’est ensuite moins facile de s’imposer en Europe, car il faut sortir de sa culture et il y a la barrière de la langue”. Joseph Areruya, autrefois grand espoir du cyclisme rwandais, premier coureur noir africain à avoir participé à Paris-Roubaix en 2019, en est l'exemple, puisqu'il a rapidement mis fin à sa carrière professionnelle, à 28 ans, en rentrant au pays.

Pour y remédier, en partie, les meilleurs coureurs rwandais passent par l’Africa Rising Cycling Center, un centre installé à Musanze, dans le nord du pays, à 2 000 mètres d'altitude, proche du parc des volcans. Sans vélo, l’accès se fait essentiellement en moto-taxi, transport local le plus efficace, et l’on découvre, une fois la grille passée, une vingtaine de petites maisons qui peuvent accueillir quatre ou cinq cyclistes chacune, dans un cadre verdoyant, avec un réfectoire qui sert des plats adaptés au régime des coureurs, et une salle de classe pour y apprendre l’anglais, la culture rwandaise et la culture internationale. 

Le cadre verdoyant de l'Africa Rising Cycling Center, camp de base de l'équipe rwandaise de cyclisme et nouveau site de développement de l'UCI. (Hortense Leblanc)
Le cadre verdoyant de l'Africa Rising Cycling Center, camp de base de l'équipe rwandaise de cyclisme et nouveau site de développement de l'UCI. (Hortense Leblanc)

Fondé par des Américains, dont l’ancien coureur Jonathan Boyer, et inauguré en 2014, il est aujourd’hui le camp de base de l’équipe nationale du Rwanda, et un lieu de stage prisé par des coureurs professionnels, malgré le départ, entre-temps, des Américains. "Le programme quand on est ici, c’est petit-déjeuner, puis préparation des bidons, entraînement, déjeuner, puis l’apaprès-midi, l y a des massages, et du yoga. Il faut bien occuper les garçons, car autrement, à 19-20 ans, ils ne resteraient pas ici longtemps", sourit Félix Sempoma.

Félix Sempoma, entraîneur adjoint de l'équipe nationale du Rwanda, et Rafiki, le mécano de l'Africa Rising Cycling Center, dans l'atelier du centre. (Hortense Leblanc)
Félix Sempoma, entraîneur adjoint de l'équipe nationale du Rwanda, et Rafiki, le mécano de l'Africa Rising Cycling Center, dans l'atelier du centre. (Hortense Leblanc)

A l’instar du Field of Dreams, l’Africa Rising Center fait partie des sites retenus par l’UCI pour devenir un satellite de développement, capable d’accueillir les coureurs de tout le continent. L’activité devrait donc s’y intensifier, avec également des stages pour les entraîneurs, les mécaniciens ou les commissaires de course, afin d’augmenter le nombre de personnels qualifiés sur le continent. Le président ivoirien de la confédération africaine de cyclisme Yao Allah-Kouamé espère même que des centres régionaux ponctuels puissent être ouverts ailleurs en Afrique, en déplaçant les moyens de l’UCI, pour quadriller le continent et ne laisser échapper aucun talent. "Il faudra tout de même deux-trois ans avant de voir les résultats de l’action menée actuellement, préviennent Jacques Landry et Jean-Pierre Van Zyl. Laissez-nous un peu de temps".

Commentaires

Connectez-vous ou créez votre espace franceinfo pour commenter.