"Armstrong, c'était anormal même avec l'EPO", "l'omerta du football"... Un ancien directeur de l'AFLD raconte sa traque des tricheurs
Dans son livre "Dopage : ma guerre contre les tricheurs", Jean-Pierre Verdy, ancien directeur des contrôles à l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD), raconte la traque des tricheurs dans le sport. Entretien.
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Les stratagèmes mis en place par les sportifs dopés -comme Lance Armstrong- pour échapper aux contrôles, les techniques dignes des services de renseignements pour les coincer... l'ancien patron des contrôles de l'AFLD nous en dit plus.
Vous étiez entraîneur de l’équipe de France de pentathlon moderne jusqu'aux Jeux d'Atlanta en 1996. Quel a été le déclic qui vous a poussé à intégrer la lutte antidopage ?
Jean-Pierre Verdy : "J’ai été athlète de haut niveau, puis de l’équipe de France olympique de pentathlon. J’ai passé des années à l’INSEP, et je savais tout ce qu’il se passait là-bas. La direction régionale de Paris-Ile-de-France m’a donné la mission de m’occuper du haut niveau et de la lutte antidopage. C’était quelque chose qui m’intéressait, pour rétablir la justice. On s’entraînait avec des sportifs, puis quelques mois plus tard ils étaient loin devant, et plus tard j’ai compris pourquoi. Puis il y avait aussi le côté santé publique. La première affaire qu’on a traitée était la mort d’un jeune cycliste de 20 ans, dopé, et ce décès si jeune était inacceptable".
Dans votre livre, vous utilisez les mots "commando ", "mission", "informateurs". On pourrait croire que la lutte antidopage s’apparente à de l’espionnage…
JPV : "Il fallait du secret, de l’organisation, une logistique et des informateurs. Il faut aussi libérer tous les freins. J’ai eu beaucoup d’obstacles. Financiers d’abord, avec la subvention accordée par le ministère qui n’est pas extensible. Il y a aussi un frein juridique, avec de nombreuses procédures à respecter. Les fédérations nationales et internationales peuvent aussi être un frein, comme l’UCI, qui était très laxiste, mais aussi les organisateurs de compétition, qui veulent avoir des têtes d'affiche et négocient pour qu'il n'y ait pas de contrôles antidopage. La lutte antidopage, c’est aussi une question de volonté politique. Les subventions accordées à l’AFLD représentent 50 centimes par licencié sportif en France, c’est peu. On avait demandé des pourcentages sur les droits TV, et tout a été refusé".
"Les fédérations nationales et internationales peuvent aussi être un frein, comme l’UCI, qui était très laxiste."
Dans votre livre, le cyclisme tient une part importante. C’est le sport le plus touché par le dopage ?
JPV : "Le dopage ne touche pas tous les sportifs, seulement une minorité. Le cyclisme reste assez emblématique. Historiquement, les cyclistes sont ceux qui freinent le plus la lutte antidopage, et qui sont en première ligne pour trouver les nouveaux médicaments qui viennent de sortir. Ça s’est quand même calmé parce que j’avais programmé des contrôles sur tous les niveaux de compétitions, en essayant de rester imprévisible pour porter le danger partout. J’ai fait râler le peloton en ordonnant des opérations avec énormément de contrôles. Sur certaines épreuves, pas seulement en cyclisme, j’ai été obligé de demander aux préleveurs de se manifester au dernier moment avant le départ. Dès que le bruit courait qu’il y avait un contrôle, des sportifs abandonnaient. Ce n’est pas classique d’abandonner au bout de deux kilomètres".
(A propos de Lance Armstrong) "A la fin de l’étape, j’appelle tous les spécialistes que je connais, et ils ne comprennent pas comment sa performance est possible, même avec de l’EPO."
Vous racontez aussi comment vous avez piégé Lance Armstrong. Vous le soupçonnez même de dopage mécanique. Selon vous, il est le plus grand tricheur de l’histoire ?
JPV : "Lance Armstrong, c’est la plus belle arnaque. Avec de la complicité à tous les niveaux. Il avait un traitement de faveur. Beaucoup m’ont dit qu’il ne fallait pas s’attaquer à des légendes, que j’allais me retrouver tout seul. Mais si les légendes sont montées sur n’importe quoi… J’ai aussi la conviction qu’il avait un moteur dans le vélo. J’ai encore les images en tête d’une étape de montagne où tout le monde est à la ramasse, et lui, il laisse tout le monde par terre. A la fin de l’étape, j’appelle tous les spécialistes que je connais, et ils ne comprennent pas comment sa performance est possible, même avec de l’EPO. Il y avait quelque chose d’anormal, et tous les spécialistes me tenaient le même discours. Pourtant c’était des gens du milieu, qui connaissaient bien la course. Ce n’est pas l’EPO qui faisait la différence".
Vous avez également des doutes sur la victoire de Tadej Pogacar sur le Tour de France 2020...
JPV : "Ce n’est pas lui-même, mais son environnement qui m’embête. Son manager, Mauro Gianetti, était l’entraîneur de Riccardo Ricco et de Leonardo Piepoli, les deux que j’ai pris sur le Tour de France 2008 (leur équipe, Saunier-Duval, s’était retirée de la course après ces révélations ndlr). Gianetti avait lui-même eu des soucis de santé quand il était coureur avec l’ingestion de PFC (un produit dopant qui lui a valu 3 jours de coma et 12 jours de soins intensifs, ndlr). Et il y a eu un truc étrange qui s’est passé l’année dernière, avec dans l’environnement, quelqu’un qui est étrange. Ça fait beaucoup d’étrange. Après, je n’ai pas les profils sanguins de ces gens là, je ne peux rien affirmer".
Les sports collectifs sont aussi touchés, mais vous évoquez une omerta dans le football..
JPV : "Oui il y a une omerta. Ce sont les séquelles de l’affaire Tapie. Tous ceux qui ont parlé dans l’affaire VA-OM ont été démolis et sont tombés dans l’anonymat le plus complet. Donc les gens ne veulent pas parler, même discrètement. Ils ont tous peur, même si je protège mes sources. Une fois, un médecin d’un club avait déclaré dans la presse qu’il y avait du dopage dans le foot. Je l’ai contacté pour savoir où, et il n’a jamais voulu en dire plus".
"J'en ai encore sous le coude"
Pourquoi avez vous décidé d’écrire ce livre ?
JPV : "Dans un premier temps, c’était pour me vider la tête, parce que les pressions étaient pesantes. Mon médecin traitant n’arrêtait pas d’augmenter mes doses de médicaments contre la tension, et maintenant que je suis à la retraite, je n’en ai plus besoin. Ça veut dire ce que ça veut dire… Il fallait que je raconte. Ça me libère et en même temps j’espère que ça va faire bouger les lignes, réagir, que des freins vont être supprimés pour que la lutte antidopage ait plus de subventions, qu’il y ait moins d’obstacles juridiques. J’ai mis trois ans pour écrire ce livre, et il était plus épais. Sur les conseils de mon éditeur, j’ai dû reformuler quelques passages et enlever des noms, pour éviter des poursuites judiciaires. J’en ai encore sous le coude".
Vous êtes réellement à la retraite maintenant ?
JPV : "Oui, on va dire ça comme ça (rires). Je m’occupe de mon jardin, de mes abeilles".
Je ne sais pas si je peux vous croire quand vous dites que vous êtes complètement à la retraite…
JPV : "Je ne sais pas non plus si vous pouvez me croire (rires)".
"Dopage : ma guerre contre les tricheurs", par Jean-Pierre Verdy. Paru aux éditions Arthaud. 300 pages, 19,90 €.
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