"C'est le premier saint avec une adresse mail" : on vous raconte l'histoire de Carlo Acutis, cet adolescent "geek de Dieu" canonisé dimanche
Le jeune Italien, mort en 2006 à l'âge de 15 ans, devient le premier saint à avoir grandi avec internet. Et suscite déjà, avant même sa canonisation, un engouement spectaculaire.
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Des messages en anglais, en italien ou en français défilent frénétiquement à droite d'une vidéo YouTube. "Accorde-moi la connaissance en informatique afin que je puisse bien gérer ma famille et mon entreprise", implore un internaute. Cette supplique et des milliers d'autres sont adressées à Carlo Acutis, dont la dépouille apparaît dans l'encadré à gauche de l'écran. Surnommé le "geek de Dieu", l'adolescent, mort à 15 ans des suites d'une leucémie en 2006, repose dans le Sanctuaire de la spoliation d'Assise, en Italie. Une caméra filme en direct l'immobilité de son dernier sommeil. A intervalle régulier, des fidèles apparaissent à l'écran et posent leur main sur la vitre du tombeau qui les sépare du garçon. Tous sont venus se recueillir devant la dépouille de celui qui a été canonisé par Léon XIV dimanche 7 septembre, devenant ainsi le premier saint de l'Eglise catholique à appartenir à la génération des millennials. La canonisation de cet adolescent était initialement prévue le 27 avril, mais avait été reportée en raison du décès du pape François.
Depuis sa mort, l'enthousiasme suscité par Carlo Acutis ne cesse de grandir. Près d'un million de fidèles s'étaient déjà recueillis sur son tombeau en 2024, selon l'évêque d'Assise, Domenico Sorrentino. Les livres écrits sur le jeune geek se comptent par centaines et dans toutes les langues – la plateforme Amazon affiche 24 pages de résultats. Dans les boutiques de la ville, sur les produits dérivés, l'effigie du jeune garçon aux boucles brunes côtoie désormais celles de deux figures majeures de l'histoire catholique, saint François et sainte Claire d'Assise.
Sur Facebook, des dizaines de groupes saluent quotidiennement la mémoire du jeune homme, certains cumulant plusieurs milliers de membres. Devant un tel engouement, un marché noir de la relique n'a pas tardé à émerger : des prétendus cheveux du garçon ont récemment été mis en vente sur internet pour la modique somme de 2 000 euros. Une enchère condamnée par l'évêque d'Assise, qui a annoncé fin mars à une agence de presse italienne avoir porté plainte.
"Carlo, c'est le jeune d'aujourd'hui"
Cette grande popularité contraste avec la relative banalité de la courte existence du futur saint. Né à Londres en 1991, Carlo Acutis a grandi à Milan dans une famille italienne bourgeoise et assez peu portée sur la chose religieuse. Il aimait le football, Pokémon et fréquenter ses amis du lycée. "Carlo, c'est le jeune d'aujourd'hui, il pourrait être mon fils, il pourrait être votre frère", résume pour franceinfo Louise Normandeau, une enseignante québécoise à la retraite devenue spécialiste de Carlo Acutis à travers la réalisation d'une exposition itinérante sur son histoire. "Les derniers à avoir été canonisés ont vécu parfois il y a plusieurs siècles. Et voilà que soudain arrive cet ado !" s'exclame-t-elle. Selon le décompte de Courtney Mares, autrice de Bienheureux Carlo Acutis – un saint en baskets, parmi les 912 saints canonisés entre 2013 et février 2024 par le pape François, la date de naissance la plus récente remontait à 1926.
"Les jeunes catholiques sont touchés par son parcours parce qu'il leur ressemble : Carlo Acutis aurait 34 ans s'il vivait encore aujourd'hui."
Louise Normandeau, responsable d'une exposition itinérante sur Carlo Acutis au Canadaà franceinfo
Au cœur de l'attention portée par l'Eglise au jeune garçon, son usage des outils numériques, qui lui a permis de "communiquer des valeurs et de la beauté", avait déclaré le pape François durant son pontificat. Le jeune garçon, codeur autodidacte, s'est notamment évertué à recenser, sur un site dédié, 136 miracles eucharistiques (liés à une hostie ou du vin consacrés) à travers le monde, à une époque à laquelle de telles ressources étaient encore rares sur internet. Un travail que ses parents feront traduire en 15 langues. Le "cyberapôtre" construit également les sites d'institutions religieuses et dote sa paroisse d'un compte Facebook, ajoute Louise Normandeau. "C'était un petit visionnaire de l'évangélisation par le net", résume l'enseignante. Une aisance numérique qui conduit même le Vatican à envisager de le faire "saint patron des internautes", déclarait le cardinal Angelo Becciu, alors chef du département du Vatican chargé des procédures de béatification, au Los Angeles Times en 2020. De quoi faire de l'ombre à Saint Isidore, auquel revient aujourd'hui ce titre pour avoir révolutionné la classification par index... au VIIe siècle.
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La foi de Carlo Acutis ne s'exprimait pas seulement en ligne. On prête à l'adolescent une grande dévotion (il allait à la messe tous les jours avant ou après l'école) et une certaine précocité, ayant effectué sa première communion à 7 ans, alors qu'elle a plutôt lieu entre 9 et 10 ans en Italie. Lors de ses obsèques, des personnes pauvres auxquelles il était venu en aide sont venues lui rendre hommage. "Avec son argent de poche, il leur achetait des sacs de couchage", explique à franceinfo Emmanuel Rousselin, prêtre de la communauté Saint-Martin et curé de la paroisse de Douai (Nord). On lui prête aussi un rôle dans la conversion au catholicisme d'un employé de la maison familiale, un homme hindou, poursuit Emmanuel Rousselin, qui a décidé d'organiser à Douai un congrès en l'honneur de l'adolescent, à l'occasion de sa canonisation.
Dans sa courte biographie ne figure cependant aucune mention d'une mort en martyr ou de vertus exceptionnelles. Carlo Acutis était simplement un adolescent connecté et pieux. "On peut résumer sa vie en 20 minutes, il n'a rien fait d'extraordinaire, et pour moi, c'est une bonne nouvelle", salue pour franceinfo Clémence Pasquier, coautrice de l'ouvrage Jeunes et Saints ! (éditions Bayard). "Ça permet de dire que la sainteté, ce n'est pas un truc de star ou de héros". Une notion importante pour l'Eglise, qui a "le souci de donner à tous des modèles de sainteté qui nous ressemblent", poursuit-elle.
Le Vatican lui attribue deux miracles
Contrairement à la plupart des saints, l'adolescent ne faisait pas partie du clergé et, sur les assiettes à son image ou en couverture de livres, il est représenté sans bure, ni étole, mais dans des vêtements de son époque. A l'ouverture de la tombe, en octobre 2020, quelques jours avant sa béatification, l'évêque Domenico Sorrentino avait prévenu : "Pour la première fois dans l'histoire, vous verrez un homme béni vêtu d'un jean, de baskets et d'un sweat-shirt." Une image qui enthousiasme Clémence Pasquier : "C'est le premier saint qui a une adresse mail. Il ressemble aux jeunes d'aujourd'hui !"
Le Vatican a tout de même attribué deux miracles au jeune geek, condition indispensable à toute canonisation : la guérison d'un enfant brésilien, atteint d'une maladie du pancréas, et celle d'une jeune du Costa Rica, blessée dans un accident de la circulation. Dans les deux cas, les personnes souffrantes avaient demandé l'aide du "cyberapôtre". Un aspect miraculeux qualifié de "secondaire" par Clémence Pasquier :
"Les miracles, c'est presque une question de procédure ; sa sainteté, c'est avant tout la manière dont il a vécu. Les guérisons ne sont que la validation du ciel."
Clémence Pasquier, coautrice de l'ouvrage "Jeunes et Saints !'à franceinfo
Derrière l'aboutissment de cette procédure de canonisation, lourde et coûteuse (les frais sont réglés par celui qui porte la cause), se dessine toutefois la figure omniprésente de la mère de Carlo Acutis, Antonia Salzano Acutis. Au fil des années, cette dernière finance l'écriture d'ouvrages sur l'histoire de son fils et fait le tour des médias internationaux pour défendre la sainteté de son enfant mort précocement. Un engagement sans compter, qui comporte sa part d'ombre : un journaliste de The Economist décrit sa crispation apparente quand il l'interroge sur la discrétion de son fils au sujet de sa foi, relatée par certains de ses amis.
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"C'est assez nouveau d'entendre les parents de jeunes saints, souvent l'entourage est âgé ou décédé. Et, forcément, une maman a envie de dire à tout le monde que son fils est extraordinaire", observe Clémence Pasquier. Pour Julien Dupont, responsable du Jubilé des jeunes au sein de la Conférence des évêques de France, Antonia Salzano Acutis n'est pas la première à s'investir intensément dans sa tâche. Selon lui, "plus la canonisation est proche du décès, plus le risque d’une trop grande personnification est forte." "Je préfère, à titre personnel, lorsqu'il s'écoule plus de temps entre la mort et la canonisation", ose l'homme d'Eglise, admettant redouter tout "culte de la personnalité".
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