Pourquoi mesurer l'antisémitisme est un casse-tête
Après l'agression violente d'un jeune couple juif à Créteil, le président de la Licra constate que les actes antisémites "augmentent de façon exponentielle". Ces statistiques sont toutefois à manier avec précaution.
L'antisémitisme est-il en train d'exploser en France ? A chaque fait-divers antisémite, comme le drame de Créteil (Val-de-Marne), le débat est relancé. "Les chiffres augmentent de façon exponentielle", a dénoncé jeudi 4 décembre sur Europe 1 Alain Jakubowicz, le président de la Licra, la Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme. Il existe en effet un indicateur, collecté par le Service de protection de la communauté juive (SPCJ) à partir des données du ministère de l'Intérieur (le ministère et le Conseil français du culte musulman publient depuis 2010 le même indicateur pour les actes islamophobes).
Celui-ci montre bien une augmentation sur les sept premiers mois de 2014 : 527 actes antisémites, contre 276 à la même époque en 2013 (+91%).
Mais il faut toutefois nuancer ce constat. D'abord parce que des pics ont déjà été observés depuis que l'indicateur existe (936 actes antisémites sur toute l'année 2002, 974 sur l'année 2004). Ensuite parce que ces statistiques, comme toutes celles relatives au racisme, sont très difficiles à interpréter. Francetv info vous explique pourquoi.
Parce les chiffres regroupent des actes très différents
Ce chiffre de 527 actes n'est pas un tout uniforme. "Souvent les gens présentent le chiffre d'ensemble. On met dans le même panier une série de tags nazis sur les murs du carré juif d'un cimetière et les agressions violentes comme Créteil", constate pour francetv info Nonna Mayer, directrice de recherche au CNRS et spécialiste des questions de racisme et d'antisémitisme. "Les agressions aussi graves que celles de Créteil restent heureusement minoritaires", observe-t-elle.
Lorsque l'on regarde les statistiques dans le détail, les actes violents (violences, attentat ou tentative, homicide ou tentative) représentent en effet 14,9% des 527 faits recensés du 1er janvier au 31 juillet 2014. Les menaces représentent, elles, 70% des actes antisémites. Dans cette dernière catégorie, on trouve aussi bien des gestes menaçants que des messages antisémites sur des forums en ligne, comme le montre le rapport 2013 du SPCJ (PDF, page 43). La gravité de ces 527 actes est donc variable.
Parce que seuls les dépôts de plainte sont comptabilisés
Comme l'explique le préambule du rapport, "le recensement comptabilise les actes antisémites ayant fait l’objet d’une plainte auprès des services de Police et transmise au SPCJ". Or, pour la délinquance à caractère raciste, "le nombre de dépôt de plaintes est largement en deçà du nombre de faits effectivement commis", pointe la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNDH) dans son rapport 2013 (PDF, page 100).
La CNDH estime par exemple que, pour les injures racistes, "seuls 8 % des faits seraient signalés aux services de police et de gendarmerie et 3 % des faits seulement seraient enregistrés au titre de plaintes". Par conséquent, "on peut aisément imaginer qu’un grand nombre d’actes et menaces à caractère raciste ne sont pas comptabilisés dans les données du ministère de l’Intérieur".
Parce que la mesure dépend de l'activité policière
Ces statistiques sont autant une mesure des infractions que de l'activité policière. Des facteurs comme la publication de circulaires pour renforcer la lutte contre le racisme, une vigilance accrue ou l'installation de caméras aux abords de lieux de culte influencent la collecte de données. Nonna Mayer en veut pour preuve la différence entre les chiffres au Royaume-Uni et en France.
Quand les Britanniques enregistrent 47 678 incidents racistes signalés à la police (2011-2012), les Français affichent 1 539 actes et menaces à caractère raciste, antisémite et xénophobe (2012), note la CNDH. "Le Royaume-Uni n'est pas plus raciste que nous, mais les autorités ont vraiment fait des efforts sur la collecte statistique. Nous n'avons pas le même degré de précision", observe la chercheuse.
Pour pallier ces biais, la CNDH aimerait disposer "d'indicateurs alternatifs", comme des enquêtes de victimation ou des enquêtes de délinquance auto-déclarée. Elle "invite donc les pouvoirs publics à promouvoir les recherches qualitatives réalisées non seulement par des chercheurs et des universitaires mais aussi par des ONG sur l’ampleur et la nature de la criminalité et de la violence racistes".
Un avis partagé par le sociologue Laurent Mucchielli. "Ce serait intéressant d'avoir une grande enquête nationale sur toutes les formes de discriminations et de violences, faite sur la population générale où l'on interrogerait un échantillon représentatif de 10 000 personnes", explique-t-il à francetv info. "Mais cela coûte cher et ces questions-là sont trop politisées", déplore-t-il.
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