Définition pénale du viol : en ajoutant la notion de non-consentement, "on donne un outil supplémentaire aux juges", estime la députée Marie-Charlotte Garin

Une mission parlementaire a conclu, mardi, à la nécessité de faire évoluer la définition pénale du viol et des agressions sexuelles pour y introduire la notion de non-consentement. Franceinfo a interrogé la députée écologiste corapporteure du rapport, également cosignataire d'une proposition de loi en ce sens.

Article rédigé par Mathilde Goupil - propos recueillis par
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
La députée Les Ecologistes Marie-Charlotte Garin, le 1er juillet 2024 devant l'Assemblée nationale, à Paris. (BERTRAND GUAY / AFP)
La députée Les Ecologistes Marie-Charlotte Garin, le 1er juillet 2024 devant l'Assemblée nationale, à Paris. (BERTRAND GUAY / AFP)

"Il est temps d'agir". Un rapport parlementaire, publié mardi 21 janvier, préconise "d'intégrer la notion de non-consentement dans la définition pénale du viol et des agressions sexuelles". "Faute de définition claire" dans la loi, le "consentement est souvent instrumentalisé par les agresseurs (...), ce qui alimente les stéréotypes sur le viol, complique les dépôts de plainte et engendre de nombreux classements sans suite, au détriment des victimes", justifie la mission d'information, conduite par les députées Véronique Riotton (Ensemble pour la République) et Marie-Charlotte Garin (Les Ecologistes).

En Belgique, la notion de consentement est déjà présente dans le Code pénal ; en Espagne, un rapport sexuel sans consentement explicite constitue un viol depuis l'entrée en vigueur en 2022 de la loi dite "Seul un oui est un oui". En France, la question d'une redéfinition pénale du viol, à laquelle Emmanuel Macron s'est dit favorable, divise tant chez les professionnels du droit que dans les rangs des associations féministes.

Une proposition de loi, reprenant les conclusions du rapport parlementaire, a été déposée mardi après-midi par les deux députées et les présidents de leurs groupes respectifs. Comment le texte compte-t-il intégrer la notion de consentement dans le Code pénal ? Franceinfo s'est entretenu avec Marie-Charlotte Garin, corapporteure de la mission à l'origine du rapport et cosignataire de la proposition de loi.

Franceinfo : Après plus d'un an de travail, quelles sont les conclusions de la mission parlementaire sur la définition pénale du viol ?

Marie-Charlotte Garin : Notre conclusion, même si l'on n'a pas attendu la mission parlementaire pour le savoir, c'est qu'il existe un climat d'impunité sur les violences sexuelles dans notre pays. Et nous avons acquis la conviction ferme qu'il faut changer la loi, en modifiant le Code pénal pour y introduire la notion de consentement. Mais pas à tout prix.

C'est-à-dire ? Comment définissez-vous la notion de consentement dans votre proposition de loi ?

On propose d'introduire le consentement en respectant plusieurs axes, notamment en conservant les quatre critères de la définition actuelle du viol et des agressions sexuelles, c'est-à-dire le recours à la violence, à la menace, à la contrainte ou à la surprise, car ils ont déjà produit de la jurisprudence. Le non-consentement s'ajoute à ces quatre critères déjà existants.

On a un paragraphe entier sur ce qu'est le consentement. On précise qu'il doit avoir été donné librement, qu'il est spécifique, qu'il ne peut être déduit du silence ou de l'absence de résistance et qu'il peut être retiré avant ou pendant l'acte à caractère sexuel. Enfin, il doit s'apprécier au regard des circonstances environnantes : si la personne consent avec un pistolet sur la tempe, on imagine bien qu'elle ne consent pas réellement.

Cette nouvelle définition permettra-t-elle à la justice de se saisir de cas de violences sexuelles qui lui échappent aujourd'hui ?

En élargissant la définition du viol et des agressions sexuelles au-delà des quatre critères existant, on donne un outil supplémentaire aux juges pour mieux apprécier les situations auxquelles ils sont confrontés. Durant les auditions qu'on a menées, des magistrats nous ont expliqué qu'ils croyaient les victimes en face d'eux, mais qu'ils n'avaient pas de quoi caractériser les faits, car ils ne répondaient pas à l'un des quatre critères de violence, menace, contrainte ou surprise.

"L'ajout du critère de non-consentement permettra notamment de mieux apprécier le phénomène de sidération des victimes, qui concerne une majorité des viols."

Marie-Charlotte Garin, députée Les Ecologistes

à franceinfo

C'est aussi un critère qui permettra de mieux considérer les cas où les vulnérabilités des victimes sont exploitées, par exemple lorsqu'il y a un lien hiérarchique avec l'auteur des faits.

Certains estiment que ces situations sont déjà couvertes par le Code pénal. La loi prévoit déjà que la contrainte puisse être morale, par exemple. Qu'opposez-vous à cet argument ?

J'entends l'argument qui dit "c'est déjà pris en compte". Mais parfois, ça va mieux en disant les choses clairement. Les experts qu'on a auditionnés nous ont dit que le traitement judiciaire était aléatoire, et qu'en fonction des juges et de leur utilisation de la jurisprudence, vous n'obteniez pas le même jugement. Notre proposition vient clarifier la loi, pour que le traitement soit moins aléatoire, que tout le monde puisse avoir le même niveau de lecture et qu'il ne subsiste pas de doute.

La loi est le reflet de la société, il est normal qu'elle évolue avec la société et qu'elle reflète les valeurs qu'elle veut protéger. Il y a cinquante ans, le viol conjugal n'était pas dans la loi et on considérait qu'un mari avait le droit d'imposer des rapports sexuels à son épouse. Depuis, la loi a évolué. Aujourd'hui, après le procès des agresseurs de Gisèle Pelicot [durant lequel le non-consentement de la victime a été beaucoup discuté], il me semble évident qu'il faille qu'elle évolue de nouveau.

Des militantes féministes s'inquiètent que l'introduction de la notion de consentement concentre l'enquête sur le comportement de la victime et non sur celui de l'accusé. Et ce alors que le processus judiciaire est déjà éprouvant pour les victimes. Que leur répondez-vous ? 

C'est une crainte qu'on a entendue durant nos auditions. En réalité, le focus des enquêteurs est déjà sur la victime : comment s'est-elle comportée, comment était-elle habillée, etc. ? Par ailleurs, le choix d'écriture qu'on a fait dans la proposition de loi vient répondre à cette inquiétude, puisqu'on dit au juge qu'il faut s'intéresser à la manière dont le mis en cause s'est assuré qu'il avait obtenu le consentement de la personne en face de lui. L'attention est donc bien sur lui.

Des femmes manifestent en soutien aux victimes de violences sexuelles, place de la République à Paris, le 21 décembre 2024. (FIORA GARENZI / HANS LUCAS / AFP)
Des femmes manifestent en soutien aux victimes de violences sexuelles, place de la République à Paris, le 21 décembre 2024. (FIORA GARENZI / HANS LUCAS / AFP)

Est-ce que, comme le craignent certains juristes, ça n'est pas une "inversion de la charge de la preuve", si la personne accusée doit prouver qu'elle a reçu le consentement de la victime ?

Je suis toujours surprise d'entendre cet argument, car en France la charge de la preuve ne repose pas sur l'accusation, mais sur le ministère public [c'est-à-dire le magistrat du parquet, qui dirige l'enquête menée par les forces de l'ordre, et qui propose à son issue une qualification pénale. L'affaire est ensuite jugée par un magistrat du siège, qui est un juge qui n'a pas pris part à l'enquête]. Or, ce sera toujours au ministère public d'apporter les preuves de ce qu'il avance. Simplement, on lui donne un outil supplémentaire pour le faire, puisqu'on change l'objet de la preuve, c'est-à-dire ce qui est admissible pour caractériser l'infraction. On ajoute un objet supplémentaire de preuve, qui est le non-consentement.

Votre proposition de loi va-t-elle vers une "contractualisation des relations sexuelles", comme le dénoncent ses opposants ?

Non, il ne s'agit pas de signer un contrat, il s'agit de clarifier le droit existant et les valeurs qu'on protège dans la société. La culture du viol, c'est fini, charge à nous de construire la culture du consentement. Il ne s'agit pas de faire la morale, il s'agit de respect mutuel. En réalité, on mobilise déjà le consentement au quotidien.

"Quand on emprunte le stylo d'un collègue ou qu'on frappe avant d'entrer dans son bureau, on demande déjà son consentement, et ça s'appelle de la communication."

Marie-Charlotte Garin, députée Les Ecologistes

à franceinfo

On n'est pas là pour être dans la polémique, on est là pour clarifier, pour apaiser. On a tous envie de voir les prochaines générations évoluer dans un monde où il est normal de communiquer, de se respecter et où on sait ce qui est acceptable et ce qui ne l'est pas.

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