Témoignages "Je n'avais plus du tout de plaisir à avoir mon bébé" : le post-partum, enjeu de santé publique, encore trop peu pris en charge

Article rédigé par Audrey Abraham
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11min
97% des parents souhaitent être davantage accompagnés pendant la période du post-partum, d'après le dernier baromètre annuel OpinionWay pour Gallia. (SOD TATONG / MOMENT RF VIA GETTY)
97% des parents souhaitent être davantage accompagnés pendant la période du post-partum, d'après le dernier baromètre annuel OpinionWay pour Gallia. (SOD TATONG / MOMENT RF VIA GETTY)

Sans forcément aboutir à une dépression, la période du post-partum est souvent loin du fantasme de parentalité idyllique ancré dans l'inconscient collectif.

"Plus les semaines passaient, plus le curseur de la joie se déplaçait vers l'agacement, la tristesse, la nostalgie..." Comme Elise, 31 ans, près de 90% des jeunes parents (femmes et hommes) déclarent avoir éprouvé autant d'épuisement que de joie à l'arrivée de leur nouveau-né. C'est ce qui ressort du dernier baromètre annuel OpinionWay pour le laboratoire Gallia, publié fin 2024.

Le post-partum, qui signifie littéralement "après l'accouchement", est un bouleversement majeur pour les parents sur le plan physique, émotionnel et physiologique. Au point d'entraîner, parfois de simples baby-blues, parfois de véritables dépressions. Aussi appelé "4e trimestre de grossesse", il est désormais reconnu comme un enjeu de santé publique. Pourtant, sa prise en charge reste insuffisante, d'après de nombreux parents.

La détresse d'Elise s'est installée progressivement après la naissance de son fils, en août dernier : "Le premier mois, tout le monde vient te voir, tout le monde est aux petits soins, on te propose de l'aide. Les copains et la famille passent à la maison. Après, le deuxième mois, c'est la chute... Mon conjoint a repris le travail donc je me suis retrouvée un peu plus seule. Et là, il y a eu la phase de désenchantement. Je me suis dit : 'Mais en fait ce n’est pas moi, ce n’est pas ma vie, ce n’est pas ce que j'aime. Je ne suis pas heureuse.'"

"Tout était devenu un supplice"

Au point de tout remettre en question : "J'ai commencé à regretter. Je me suis demandé pourquoi j'avais fait ça, si c'était vraiment le bon moment. Je n'avais plus du tout de plaisir à avoir mon bébé, à m'occuper de lui. Je me forçais à le faire parce que c'était important pour lui, pour son bien-être. Par exemple, je me forçais à jouer avec lui, à faire des sourires pour ne pas lui montrer que j'étais triste, pour ne pas lui montrer que je ne voulais pas de lui. Dès qu'il dormait, je me mettais à pleurer. Je ne prenais plus de plaisir à être à la maison, à pouponner. Tout était devenu un supplice."

Comme 28% des mères (et 7% des pères), Elise prend alors la décision de se faire accompagner : "La psychologue m'a dit : 'Ne vous inquiétez pas, c'est totalement normal, vous êtes en pleine dépression post-partum.' Quand elle m'a dit ce mot, ça m'a rassurée, ça m'a fait beaucoup de bien, je me suis sentie moins seule et moins folle. Je me suis dit que ça ne pouvait qu'aller mieux J'ai compris que je pouvais être entendue, écoutée et conseillée."

"Je pensais que ça ne m'arriverait pas, parce que j'aime les enfants et parce que c'était un souhait depuis longtemps d'avoir un enfant."

Elise, 31 ans

à franceinfo

La jeune maman décide d'en parler autour d'elle : "Une fois que tu commences à lancer le sujet, tu te rends compte qu'il y a plein de femmes, surtout de notre génération, qui passent par là." Les tabous qui entourent la période du post-partum se lèvent peu à peu, ces dernières années. Émissions, podcasts, témoignages ou encore réseaux sociaux évoquent, sans complexe, le cataclysme que peut provoquer l'arrivée d'un enfant. Les représentations utopiques de la maternité sont de moins en moins persistantes : 77% des parents considèrent d'ailleurs que la sensibilisation de la société a progressé sur le sujet.

Cependant, une rupture persiste entre générations : "J'en ai parlé facilement avec mes copines mais avec l'ancienne génération, ça reste très compliqué, assure Elise. Je le vois avec ma grand-mère ou avec mes collègues qui sont beaucoup plus âgées au travail. Elles ne comprennent pas. Pour elles, avoir un enfant c'est un choix et il faut l'assumer."

Le poids de la culpabilité, aussi, reste important, témoigne Elise. Surtout quand il s'agit de la reprise du travail : "J'ai eu plein de réflexions : 'Reprendre le travail à deux mois et demi, c'est trop tôt. Tu ne profites pas de ton bébé, tu vas le regretter plus tard, c'est important pour son épanouissement.' Alors que chaque femme devrait faire en fonction de ce qu'elle ressent. C'est ok si elle veut retourner au travail et si elle a besoin de se sentir utile hors de la maison." C'est justement au moment où Elise a repris le travail qu'elle a pu retrouver un équilibre et s'épanouir pleinement dans sa nouvelle vie de famille.

"Une fois que bébé est là, on est livrés à nous-même"

D'après le baromètre annuel OpinionWay pour le laboratoire Gallia, 97% des parents souhaitent être davantage accompagnés après la naissance de leur enfant. Elise confirme : "On est très bien accompagnés pendant la grossesse : la préparation à l'accouchement, la préparation à l'allaitement... Tous les ateliers qui sont mis en place par la Sécu, par les maternités, par les sages-femmes, c'est vraiment génial. Mais une fois que bébé est là, on est livrés à nous-même. On rentre chez soi et c'est fini. C'est terrible parce que c'est là où on en a le plus besoin. C'est là où on a besoin que quelqu'un vienne nous voir pour nous demander comment ça va, comment va bébé, comment est ta relation avec bébé."

"Si j'en avais parlé plus tôt, je ne serais peut-être pas entrée dans cette phase de post-partum violente."

Elise, 31 ans

à franceinfo

De nombreux professionnels de santé s'accordent à dire que l'épuisement post-partum s'étend parfois bien au-delà du 4e trimestre. C'est pour ça que la cellule de soutien psychologique "Allo Parents Bébé", numéro vert national d'aide à la parentalité de l'association Enfance et Partage, répond aux appels des parents d'enfants de 0 à 3 ans. Du lundi au vendredi, quatre professionnelles de la petite enfance, psychologues cliniciennes et puéricultrices, se relayent au standard du siège de l'association à Créteil, en région parisienne.

"C'est ça être parent : c'est faire du mieux qu'on peut"

"Allo Parents Bébé, bonjour" : il est à peine 10 heures et le premier appel de la journée arrive sur le poste de Viviane Lefèvre. Cette professionnelle de santé est écoutante pour l'association, une journée par semaine, depuis huit ans. Au bout du fil, la mère d'un garçon de deux ans s'inquiète de ses crises à répétition et explique être à bout. "Vous vous occupez de lui toute la journée ? Qu'est ce qui est le plus difficile pour vous ?", demande Viviane Lefèvre. "Ce que vous me racontez là n'a rien d'exceptionnel, rassure l'écoutante. Ça ne me surprend pas du tout, c'est un classique. Vous êtes totalement dans les caractéristiques d'un enfant de son âge."

A Créteil, quatre écoutantes se relayent pour répondre aux appels sur la ligne d'écoute "Allo Parents Bébé". (AUDREY ABRAHAM / FRANCEINFO / RADIO FRANCE)
A Créteil, quatre écoutantes se relayent pour répondre aux appels sur la ligne d'écoute "Allo Parents Bébé". (AUDREY ABRAHAM / FRANCEINFO / RADIO FRANCE)

L'appel va durer 40 minutes : "Quand il fait une grosse colère, essayez d'être un petit peu à l'écoute de ce que ça vous fait, à vous. Comment ça vous touche, vous ? Est-ce que ça vous met en colère ? Est-ce que ça vous attriste ? Est-ce que ça vous fait peur ? C'est important qu'une partie de vous-même soit à l'écoute."

Viviane Lefèvre prend le temps d'échanger avec la mère en détresse, lui propose des techniques pour calmer l'enfant et, surtout, insiste pour la déculpabiliser : "Moi, mon objectif c'est de vous donner un guide que vous allez parfois appliquer et parfois pas. Ce n’est pas grave, c'est la vie, c'est ça être parent : c'est faire du mieux qu'on peut et c'est pour ça que vous nous appelez. Bravo d'avoir appelé. Vous avez vraiment bien fait ! "

Les appels sont parfois passés dans des grands moments de désarroi, l'écoutant doit alors faire preuve d'une vigilance particulière, souligne Viviane Lefèvre : "Ce qu'il faut surtout, c'est donner aux parents une alternative. Je sens que je vais secouer mon bébé, qu'est-ce que je peux faire ? Et il faut que la réponse soit automatique : vous déposez votre enfant dans son lit et vous quittez la pièce."

Lorsque cela est nécessaire, le centre d'appels redirige l'appelant vers des services adaptés, précise l'écoutante : "La question qu'on se pose, c'est de savoir si ça met en danger l'enfant ou la personne qui appelle. Et si cette personne a la capacité de surmonter seule ce moment-là." Le suicide est la première cause de mortalité maternelle jusqu'à un an après la grossesse, d'après Santé Publique France.

"Les pères sont de plus en plus sensibilisés"

Ces dernières années, la cellule "Allo Parents Bébé" a été témoin de la libération de la parole sur le sujet, assure Claude Bard, vice-président de l'association Enfance et Partage : "Les réseaux sociaux permettent de décloisonner ce qui pouvait être, à une époque, les perceptions de certaines jeunes mamans ou certains jeunes papas qui se disaient 'Je suis le seul, ça ne doit pas être normal', etc. Alors que c'est tout à fait normal : on peut être épuisé, fatigué, excédé. Ce qu'il faut c'est ne pas passer à l'acte et avoir un comportement qui aboutirait à un geste de violence."

"Il y a une libération de la parole progressive. Pour autant, le chemin est encore très long et on aimerait que ça évolue plus vite."

Claude Bard, vice-président d'Enfance et Partage

à franceinfo

L'implication croissante des hommes dans la parentalité se ressent aussi : "Sur la totalité des appelants, 14% sont des pères, un peu plus de 10% sont des appels mixtes, c’est-à-dire que père et mère appellent ensemble. Les pères sont de plus en plus sensibilisés. C'est un phénomène sociétal, il y a eu l'allongement du congé de paternité, les pères sont de plus en plus impliqués dans la préparation à l'accouchement et dans l'accompagnement périnatal."

L'association Enfance et Partage fait son combat majeur de la lutte contre le syndrome du bébé secoué, dont les victimes sont encore trop nombreuses, conclut Claude Bard. Le numéro d'écoute "Allo Parents Bébé" est joignable du lundi au vendredi, de 10h à 13h et de 14h à 18h.

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