"C'est du bricolage" : à Mayotte, une rentrée scolaire chaotique entre écoles fermées, grève des profs et manque de matériel

Article rédigé par Lucie Beaugé
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 9min
Des collégiens font leur rentrée, à Pamandzi (Mayotte), le 27 janvier 2024. (MARINE GACHET / AFP)
Des collégiens font leur rentrée, à Pamandzi (Mayotte), le 27 janvier 2024. (MARINE GACHET / AFP)

Plus de cinq semaines après le passage du cyclone Chido, certains établissements n'ont pas pu accueillir leurs élèves et d'autres ont fonctionné au ralenti.

Le fils de Fatima Mouhoussini est tracassé. "Maman, je pensais que j'allais à l'école ce matin ?" l'a interrogé Elianisse, lundi 27 janvier, constatant qu'ils ne se dirigeaient pas vers son école élémentaire à Chiconi. "Il ne comprend pas pourquoi certains ont fait leur rentrée et pas lui", explique sa mère, également vice-présidente de la FCPE de Mayotte. En raison des dégâts importants causés par le cyclone Chido, l'établissement dans lequel cet élève de CM1 est scolarisé n'a pas pu rouvrir ses portes. Seuls les CP et CE1 ont bénéficié d'un retour en classe dans les locaux de l'école maternelle. Pour les autres niveaux, une solution doit être arbitrée prochainement par le rectorat, selon Fatima Mouhoussini. "C'est compliqué pour Elianisse, et pour moi qui essaye de le calmer." En attendant, l'enfant est accueilli dans une école coranique, à quelques kilomètres de là.

La rentrée des 115 000 élèves de l'archipel, prévue initialement le 13 janvier et plusieurs fois décalée, aura finalement eu lieu avec deux semaines de retard. Malgré ce report, les dommages causés par la catastrophe naturelle et les pillages qui ont suivi ont empêché 45 écoles et 4 collèges et lycées d'accueillir leurs élèves, selon le ministère de l'Education nationale.

A Vahibé, l'école de Cécile* fait partie de cette liste. "Armoires, chaises, feuilles... On n'a plus rien !", rapporte cette directrice. Alors que ses 700 élèves devaient être accueillis lundi dans un établissement voisin à Passamainty, une levée de boucliers des familles a provoqué "une situation de statu quo". "D'un côté, on a des parents qui soulèvent des problèmes de transports. De l'autre, des parents qui sont réticents à la venue de nouveaux élèves", explique-t-elle. Et Cécile d'ajouter que les écoles du sud de Mamoudzou sont concernées par une problématique d'eau potable. 

Manque de classes et de bus

Les établissements de l'archipel non concernés par une fermeture totale fonctionnent ainsi au ralenti. Selon les plannings diffusés par le rectorat, les collégiens et lycéens n'ont cours qu'un à deux jours durant cette semaine de la rentrée. En raison de salles non sécurisées ou de l'accueil d'élèves d'autres établissements, les rotations sont privilégiées jusqu'à nouvel ordre, dans le premier comme le second degré. Ce système était déjà fréquent à Mayotte avant Chido, mais est désormais généralisé. Il consiste à utiliser une même classe pour faire cours à certains élèves le matin et à d'autres l'après-midi.

Laure, enseignante en CE1 à Hajangoua, était censée faire classe en rotation dès cette semaine, son école élémentaire étant fermée pour des raisons de sécurité. La semaine dernière, en concertation avec ses collègues, elle avait préparé un planning selon lequel elle accueillerait ses élèves dans une salle de l'école maternelle les lundi, mercredi et vendredi, de 12h30 à 15 heures. Mais dimanche soir, "l'inspecteur général a finalement refusé notre scénario de reprise. Il a considéré que 2h30 par jour, ce n'était pas suffisant". Ainsi, des rotations uniquement pour les CP, CE1 et CM2, jugées comme des classes prioritaires, devraient voir le jour dans la semaine.

Thierry Comte, professeur d'histoire-géo au lycée de Dembéni et représentant du Syndicat national des lycées, collèges, écoles et du supérieur à Mayotte, n'a pas fait sa rentrée lundi, en raison de son emploi du temps. Il refera classe mercredi et pointe une problématique logistique qui pourrait s'étaler dans le temps. Si son lycée tient encore debout, seul un tiers des élèves peuvent s'y rendre chaque jour à cause du manque de bus. "On ne sait pas si c'est à cause des dégâts ou s'il manque des chauffeurs", explique Thierry Comte. Or, les élèves sont "très dépendants" du ramassage scolaire. "Certains viennent de loin et il est dangereux pour eux de faire le trajet à pied."

Une reprise à la hâte

Lundi, la rentrée mahoraise a aussi été perturbée par une grève. Selon Mayotte La 1ère, une centaine d'enseignants se sont rassemblés devant le rectorat. Ce retour en classe est "précipité" et n'a "pas du tout été préparé", déplore Rivo Rakotondravelo, co-secrétaire départemental du syndicat FSU-Snuipp et directeur d'une école à Cavani, parmi les grévistes. Faute de locaux sécurisés, ses élèves ont tous été accueillis lundi par une école voisine. Au total, les effectifs de trois établissements se sont succédé dans le même lieu.

"On nous demande de reprendre le travail dans des conditions ultra-dégradées."

Rivo Rakotondravelo, co-secrétaire départemental de la FSU-Snuipp

à franceinfo

Rivo Rakotondravelo et ses collègues protestent aussi contre l'aide exceptionnelle accordée aux professeurs uniquement en dessous du point d'indice 448. "Le cyclone, tout le monde l'a subi. Cette annonce de la ministre [Elisabeth Borne] a créé une division entre collègues, et beaucoup de frustration", déplore le syndicaliste. 

Défendant le projet de loi d'urgence pour Mayotte à l'Assemblée nationale, le ministre des Outre-mer Manuel Valls avait reconnu samedi que la rentrée serait "progressive, complexe, difficile, avec des modalités adaptées". Pour Bouéni, mère de famille, "c'est du bricolage total".

"Jamais une telle situation n'aurait été acceptée dans l'Hexagone."

Bouéni, mère de trois enfants

à franceinfo

Aucune de ses trois enfants n'a eu cours lundi. Son aîné, en première générale au lycée professionnel de Chirongui, "a appris à la dernière minute" que sa rentrée aurait finalement lieu mercredi matin. Sa cadette, en 4e au collège de Bandrélé, retrouvera ses camarades pour la seule matinée de jeudi. Et sa dernière, en CM2 à Bambo ? "Elle s'est présentée à l'école mais celle-ci était fermée, tous les professeurs étant grévistes."

Lister les absents

Pour les professeurs qui ont retrouvé leurs élèves dans des conditions "normales", cette première journée a été l'occasion de parler du traumatisme que représente Chido. A Labattoir, sur l'île de Petite-Terre, Zalihata a accueilli sa classe de CP dans une salle sécurisée et sans système de rotation. Elle salue la diffusion d'un livret de préparation "très détaillé" conçu par l'Education nationale, qui lui a permis d'être plus confiante sur les questions à poser.

Zalihata a demandé à ses élèves "comment ils allaient et ce qu'ils voulaient raconter ?" La majorité d'entre eux ont raconté que leur maison avait été "cassée" par le cyclone. 

"Ils m’ont parlé de leurs angoisses, je leur ai dit que c’était normal, que leur maîtresse avait aussi eu peur."

Zalihata, enseignante en CP

à franceinfo

Cette journée de rentrée a aussi permis de faire le bilan des absences. "Sur mes 28 élèves, deux sont absents, mais je sais que l'un est rentré en métropole. Quant à l'autre, je n'ai aucune nouvelle et suis très inquiète", rapporte Zalihata. Concernant les enseignants, le ministère estime que 85% des personnels du premier degré et 75% dans le second sont présents sur l'archipel pour la rentrée. Mais la grève, surtout si elle s'éternise, pourrait modifier ces chiffres.

L'enjeu des semaines à venir pour l'école mahoraise est celui de la continuité pédagogique. "Avant le cyclone, beaucoup lisaient déjà de petits mots, certains même des phrases. Aujourd'hui, les élèves sont stressés car ils n'ont pas pu travailler", souligne Zalihata. Pour les élèves dont le retour en classe est perturbé, le ministère exhorte les parents à se brancher sur Mayotte La 1ère, où des cours sont diffusés.

"Je n'ai toujours pas la télé, donc comment je peux avoir accès à ça ? Cette solution n'est absolument pas en adéquation avec la réalité du terrain !"

Fatima Mouhoussini, vice-présidente de la FCPE de Mayotte

à franceinfo

Alors que beaucoup de fournitures ont pris l'eau, l'Education nationale a par ailleurs promis dimanche soir la livraison progressive "dès la rentrée" de cahiers et stylos, ainsi que de tables et de chaises. Mais encore faut-il avoir les locaux pour les recevoir. Manuel Valls et Elisabeth Borne seront en déplacement jeudi et vendredi à Mayotte, une visite durant laquelle des garanties nouvelles sont attendues par les parents comme les professeurs.

* Le prénom a été modifié.

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