Des millions de spectateurs, plus de 20 jours de diffusion en direct... L'étonnant succès d'une émission suédoise de "slow TV" sur la migration des élans

En Suède, une téléréalité bien particulière connaît le même succès depuis 2019. Diffusée 24/24h pendant trois semaines, sans voix off, sans humains, elle passionne chaque année des millions de Suédois pour la migration des élans vers les pâturages d'été dans le nord du pays. L'édition 2025 de La Grande Migration des Élans s'est terminée, dimanche 4 mai, sur la plateforme du diffuseur national SVT Play. L'émission fait partie de ce que l'on appelle la "slow TV", ou télévision lente, qui vise à proposer des contenus calmes, à l'inverse des programmes devenus la norme sur les chaînes et plateformes du monde entier.

Dans La Grande Migration des Elans, on voit par exemple une femelle traverser une rivière dans le nord de la Suède avec ses deux petits. Ce genre de moment, c’est l’apogée du programme, car la plupart du temps, il ne se passe pas grand-chose. Mais c’est justement là tout le concept, comme l'explique Cait Börjesson, une adepte de la première heure. "J’ai passé les trois dernières heures à regarder des élans qui se reposent et ruminent au soleil. La première chose que je fais quand je me réveille, c’est mettre cette émission. Ça m’apaise tellement. Je vous le dis franchement, ne gaspillez pas vos sous chez le psychologue, regardez plutôt cette émission pendant 15 minutes et après vous vous sentirez bien."

Une soixantaine de caméras disposées dans la forêt

Pour ne rien manquer de cette 7e édition, elle a même posé des vacances : "Il y avait un cygne qui s’est fait pincer le derrière par un autre cygne pendant qu’il était en train de manger sous l’eau. C’était vraiment trop drôle !" Si Cait doit aller faire des courses par exemple, elle suit l'émission sur son téléphone : "Et puis j’ai activé les notifications sur Facebook, donc je reçois "ÉLANS EN APPROCHE" en majuscule sur le groupe."

Le groupe compte plus de 80 000 personnes. Une communauté très active dont le producteur de l’émission, Stefan Edlund, fait également partie : "Il n’y a personne dans la forêt sinon ça ferait peur aux élans. On a disposé 35 caméras, dont 8 nocturnes, et 25 autres qu’on peut diriger à distance avec un joystick. Ce programme va à l’encontre de la télévision moderne, on le voit plutôt comme un tableau vivant."

La slow TV, "une espèce de rituel où les gens se retrouvent"

La "slow TV" est un genre qui a décollé en 2009 avec la diffusion en temps réel, sur une chaîne norvégienne, d'un voyage en train, de sept heures, de Bergen à Oslo. Depuis, des diffusions de marathons de tricot de 12 heures, un voyage en mer de 134 heures ou encore le flux d'un feu crépitant ont dominé les classements de visionnage.

Le chercheur français Minh-Xuan Truong étudie le phénomène de près à l’université d’Uppsala : "Ça devient une espèce de rituel annuel où les gens se retrouvent. Le contemplatif et l’ennui sont si peu présents dans nos vies alors que ça a été montré que l’ennui est tellement important dans tous les processus, de récupération, dans les processus créatifs, d’acquis cognitifs. En plus de ça, le contexte dans lequel on s’inscrit maintenant, de la superoptimisation, de doomscrolling, de Donald Trump et de la guerre, fait qu’on a besoin d’aller mieux. Je pense qu’on a tous besoin d’un break, on a tous besoin de souffler."

"Ça permet à des millions de gens d’avoir leur dose de forêt dans leur salon, leur fenêtre ouverte sur la nature."

le chercheur français Minh-Xuan Truong

à franceinfo

Cette émission au format unique, sans narration ni musique, est diffusée dans les écoles et les maisons de retraite du royaume. Car observer des élans, rois des forêts suédoises, offre une expérience immersive méditative et authentique de la nature suédoise. Un lieu, comme une bulle, épargnée par l’homme.