"On parle de l'antisémitisme, mais rien ne change et la haine continue de croître", déplore Delphine Horvilleur, écrivaine et femme rabbin

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Article rédigé par France 2 - L. Salamé. Édité par l'agence 6Medias
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Invitée du "20 Heures", mardi 7 octobre, Delphine Horvilleur, écrivaine et femme rabbin, est revenue sur le deuxième anniversaire des attaques du Hamas, la montée de l'antisémitisme et les défis de l’empathie et de la réconciliation, dans un contexte de violences et de tensions au Moyen-Orient.

Ce texte correspond à une partie de la retranscription de l'interview ci-dessus. Cliquez sur la vidéo pour la regarder dans son intégralité.


Léa Salamé : Deux ans après le 7 octobre, quel sentiment vous traverse en ce jour de souvenir des plus de 1 200 victimes de cette tragédie ?

Delphine Horvilleur : Évidemment, je ressens les mêmes émotions que lorsque je regarde aujourd’hui les images de votre reportage. À travers ces images et ces souvenirs, on perçoit à quel point le temps semble ne pas avoir passé. Il y a quelque chose qui s’est figé il y a deux ans, comme si une nuit était tombée et que le jour ne pouvait revenir. On pense aux familles endeuillées, à celles dont les proches ont été enlevés, à celles qui attendent encore les dépouilles. On pense à tous ces morts, à tous ces enfants, à tous ces deuils qui raisonnent à l’infini. C’est comme si l’espace-temps s’était rompu et que nous étions encore plongés dans cette nuit, incapables de passer à autre chose.

Le 7 octobre a provoqué une explosion de l’antisémitisme, en France et dans le monde entier. Vous avez souvent dénoncé le manque d’empathie, voire la jouissance de certains face à ces attaques. Deux ans après, parvenez-vous à rester optimiste pour les Juifs de France ?

C’est difficile. J’ai l’impression de parler de l’antisémitisme depuis des années, pas seulement depuis deux ans, et parfois je me demande si cela sert à quelque chose. On en parle, mais rien ne change, et cette haine semble même croître de façon exponentielle. Tous les jours, je reçois des témoignages d’enfants juifs français qui se cachent, mentent sur leur identité, vivent dans la peur constante de révéler qui ils sont et sont contraints de justifier à distance ce qui se passe à des milliers de kilomètres.

Il y a un paradoxe troublant dans l’antisémitisme : on pourrait penser que le meurtre de Juifs susciterait de l’empathie pour les victimes. Mais très souvent, c’est l’inverse qui se produit : ces violences nourrissent encore plus l’incitation au passage à l’acte antisémite. C’est extrêmement préoccupant et nous ne savons pas toujours comment lutter.

Je pense aussi que parler ne suffit plus, car l’antisémitisme est devenu une sorte de mode, particulièrement visible sur les réseaux sociaux. Et je me demande si ce ne serait pas plus efficace que les leaders de la jeunesse, tiktokeurs, influenceurs, footballeurs, s’engagent contre cette haine, comme ils le font déjà pour de nombreuses causes nobles, contre le racisme ou l’homophobie. Pourquoi pas contre l’antisémitisme ?

Cette semaine, vous évoquiez dans Le Nouvel Observateur la radicalité croissante au sein même de la communauté juive, certains "vrillant" dans une soif de vengeance. Vous avez été critiquée pour avoir dénoncé Israël, que vous avez décrit comme s’égarant "dans une déroute politique et une faillite morale face à cette guerre sans fin et aux dizaines de milliers de morts de Gaza". Avez-vous eu le sentiment que votre propre communauté vous reprochait votre empathie pour les Palestiniens ou votre critique d’Israël ?

La radicalité n’est pas un phénomène nouveau, elle monte partout dans notre société et touche toutes les communautés. Il devient presque impossible de tenir un discours nuancé. Dès que vous exprimez de la mesure, de l’empathie pour l’autre, même un instant, on vous accuse d’être lâche ou traître à votre cause.

Aujourd’hui, chacun semble enfermé dans son propre récit, incapable de percevoir la douleur de l’autre. C’est épuisant. On n’arrive plus à être en empathie les uns avec les autres, surtout à des milliers de kilomètres de distance.

Les négociations de paix en Égypte entre Israël et les représentants du Hamas pourraient-elles permettre la libération des otages et mettre fin à cette guerre ? Pensez-vous qu’un jour le pardon ou même la réconciliation sera possible, et que vous le verrez de votre vivant ?

Je veux toujours y croire, même si certains jours le doute est plus fort que jamais. Comme beaucoup, je choisis l’espoir, parce qu’on n’a pas d’autre choix. Je parle quotidiennement avec mes amis en Israël, des amis palestiniens, des amis arabes israéliens. Il faut s’ancrer dans l’espoir.

Je lisais hier les publications de groupes judéo-arabes comme Standing Together. Ils utilisent à la fois l’hébreu et l’arabe, et je fais exprès de le rappeler, car il me semble plus que jamais essentiel de laisser résonner différentes voix, différentes langues.

Il y a quelques jours, lors de Yom Kippour dans ma synagogue, j’ai invité une Israélienne et une Palestinienne, une Arabe israélienne, pour réciter ensemble une prière en hébreu et en arabe, pour les mères et pour la paix des enfants. Je ne vois rien de plus important, de plus sacré et de plus urgent à faire aujourd’hui.

Ce texte correspond à une partie de la retranscription de l'interview ci-dessus. Cliquez sur la vidéo pour la regarder dans son intégralité.

Parmi Nos Sources : 

Rabbin et philosophe

Delphine Horvilleur a été journaliste à France 2 en 1998

Liste non exhaustive

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